Sans biodiversité, pas de bien-être, pas de prospérité, pas de résilience face aux crises. Or la nature disparaît aujourd’hui plus vite que jamais à un rythme sans précédent, accéléré par nos modes de production et de consommation. L’OCDE publie un nouveau rapport qui montre comment des outils économiques – de la taxe verte aux paiements pour services écosystémiques, en passant par les compensations et les crédits de biodiversité – peuvent contribuer à stopper l’hémorragie pour atteindre les objectifs internationaux de protection du vivant.
Les mesures économiques incitatives en faveur de la biodiversité sont un outil essentiel pour enrayer et inverser la perte de biodiversité. Lorsqu’elles sont bien conçues et mises en œuvre, elles contribuent à lutter contre la déforestation, à promouvoir une agriculture et une pêche plus durables et à réduire la pollution.
Ce nouveau rapport de l’OCDE, intitulé « Renforcer les incitations positives pour la biodiversité : atteindre l’objectif 18 du Cadre mondial pour la biodiversité », met en lumière leur potentiel et fournit des informations spécifiques aux instruments politiques ainsi que dix recommandations transversales pour renforcer efficacement les incitations positives pour la biodiversité.
Toutes les activités économiques dépendent de la nature, ce qui fait de la perte de biodiversité un risque macroéconomique et financier grave. Pourtant, ce déclin s’accélère. Les populations d’animaux sauvages ont diminué de 73 % depuis 1980, et environ un million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction. La dégradation des écosystèmes menace des services essentiels, tels que la pollinisation, la purification de l’eau et la régulation du climat.
Pour faire face à cette crise, il est nécessaire de prendre des mesures urgentes et coordonnées. Le Cadre mondial de Kunming-Montréal pour la biodiversité (KMGBF) établit une feuille de route visant à enrayer et à inverser la perte de biodiversité d’ici 2030. Parmi ses 23 objectifs, l’objectif 18 exige des gouvernements qu’ils réduisent les incitations néfastes et renforcent les incitations positives en faveur de la conservation et de l’utilisation durable de la biodiversité. Le rapport se concentre donc sur les incitations positives pour la biodiversité et propose des bonnes pratiques pour accroître leur ampleur et leur efficacité.
Defaillance du marché
La perte de biodiversité reflète une défaillance fondamentale du marché : de nombreux avantages offerts par la nature ne sont pas pris en compte dans les prix ou sont sous-évalués. Les incitations positives pour la biodiversité veulent contribuer à corriger cette situation en intégrant les coûts et les avantages environnementaux dans les décisions économiques. Ces instruments comprennent les taxes ou redevances sur la pollution et l’utilisation des ressources naturelles, les subventions positives pour la biodiversité, les paiements pour les services écosystémiques (PSE), les permis négociables, les compensations pour la biodiversité et un instrument plus récemment conceptualisé, les crédits de biodiversité.
Le renforcement de ces incitations est non seulement essentiel à la réalisation de l’objectif 18, mais peut également contribuer à la réalisation de nombreux autres objectifs du KMGBF. Par exemple, les incitations fiscales en Afrique du Sud permettent d’étendre les zones protégées (objectif 3), tandis que les taxes sur les pesticides et le plastique au Danemark et en Turquie réduisent la pollution (objectif 7). Les permis négociables favorisent une pêche plus durable dans des pays comme l’Islande et la Nouvelle-Zélande, tandis que les PSE au Costa Rica et en Irlande encouragent des pratiques forestières et agricoles plus durables (objectif 10).
En modifiant les coûts relatifs des activités nuisibles et bénéfiques, les incitations favorables à la biodiversité sont également essentielles pour harmoniser et mobiliser les ressources financières en faveur de la biodiversité (objectifs 14 et 19). Certaines, telles que les subventions, les PSE et les crédits de biodiversité, canalisent directement les financements vers la biodiversité. D’autres, telles que les taxes et les redevances, réduisent les dommages et les besoins de financement tout en générant des recettes qui peuvent potentiellement financer la biodiversité. Rien que dans les pays de l’OCDE, les taxes favorables à la biodiversité rapportent plus de 10,6 milliards de dollars par an et ont encore un potentiel de croissance.
Des mesures incitatives limitées
Malgré des engagements politiques affirmés, le recours à ces mesures reste faible : la majorité des pays ne disposent toujours pas de régulations sur les compensations écologiques, et les subventions positives représentent une infime part des aides publiques. Dans 54 grandes économies agricoles, à peine 0,6 % du soutien budgétaire aux agriculteurs vise des objectifs environnementaux. Par ailleurs, des instruments efficaces, tels que les permis échangeables ou la fiscalité, restent peu utilisés pour ralentir la perte de biodiversité.
Il est donc essentiel d’améliorer l’efficacité. Les incitations bien conçues montrent des effets positifs : elles peuvent réduire la déforestation et la pollution, protéger les écosystèmes terrestres, d’eau douce et marins, et restaurer les milieux naturels. Cependant, la variabilité des résultats souligne la nécessité d’une utilisation plus cohérente des bonnes pratiques dans la conception et la mise en œuvre des mesures incitatives. Une efficacité accrue favorisera également la crédibilité et la confiance nécessaires pour atteindre l’échelle souhaitée.
Face à la détermination que commande l’Agenda 2030, la réponse des dirigeants politiques doit enfin libérer le plein potentiel des incitations positives : inverser la spirale de la perte de biodiversité et garantir un futur florissant pour la nature et les communautés.
S’appuyant sur des expériences menées à travers le monde, le rapport met en évidence les principaux défis et opportunités pour renforcer efficacement et équitablement les incitations favorables à la biodiversité. Il propose des informations spécifiques à chaque instrument et dix recommandations transversales pour atteindre l’objectif 18 du Cadre mondial de Kunming-Montréal pour la biodiversité.
Les recommandations
1. Impliquer les parties prenantes dès le début
Il est essentiel de collaborer dès le départ avec les propriétaires fonciers, les communautés, les peuples autochtones et les autres parties prenantes pour concevoir des incitations efficaces, qu’il s’agisse d’une taxe sur la pollution ou de paiements pour les services écosystémiques. Un engagement significatif peut renforcer la confiance, aider à adapter les incitations et promouvoir des processus et des résultats équitables. Il peut accroître les taux de participation aux subventions, aux PSE et aux marchés de la biodiversité, et améliorer la conformité.
2. Assurer l’additionnalité
Pour réaliser leur potentiel et maintenir la confiance, les incitations positives pour la biodiversité devraient générer des bénéfices supérieurs à ce qui se produirait sans elles. La non-additionnalité des systèmes de paiement gaspille des ressources rares, tandis que dans le cas des compensations de biodiversité, elle pourrait entraîner des pertes nettes de biodiversité liées aux projets de développement tout en maintenant l’illusion de bénéfices.
3. Évaluer et atténuer les risques de fuite et de substitution
La conception des mesures incitatives doit anticiper et atténuer le risque de déplacement d’activités néfastes ou de remplacement d’une pratique préjudiciable par une autre. Cela nécessite une meilleure évaluation des risques, un suivi étendu au-delà des interventions à risque élevé et l’adoption de mesures d’atténuation.
4. Améliorer la transparence et la vérification
La transparence et la vérification sont essentielles pour rendre les incitations crédibles et efficaces. Les registres publics peuvent faciliter l’accès à des informations importantes, telles que les allocations de permis négociables, les calculs de compensation et les transactions de crédits, tandis que des audits indépendants permettent de vérifier que les incitations atteignent les objectifs et les résultats escomptés.
5. Utiliser les ressources publiques de manière stratégique et efficace
Il est essentiel d’accroître les dépenses publiques consacrées à la biodiversité. Cet objectif peut être atteint en partie sans aggraver la pression budgétaire, en réorientant les subventions néfastes et en augmentant les recettes provenant des taxes et redevances positives pour la biodiversité. Les fonds publics peuvent également encourager l’investissement privé en couvrant les coûts initiaux et en atténuant les risques financiers, notamment sur les marchés émergents.
6. Renforcer la transparence et la vérification
La transparence et la vérification sont essentielles pour garantir la crédibilité, l’efficacité et l’efficience des mesures incitatives. Des outils tels que les registres publics peuvent améliorer l’accès à des informations clés, telles que l’attribution des permis, le calcul des compensations et les transactions de crédits. Les mécanismes de vérification (par exemple, les audits indépendants) permettent de s’assurer que les mesures incitatives atteignent les objectifs et les résultats escomptés.
7. Renforcer la conformité et l’application
Un suivi efficace est essentiel pour identifier les cas de non-conformité et doit s’accompagner de mécanismes d’application prévoyant des sanctions proportionnées et des mesures correctives. Souvent, les sanctions sont trop faibles pour dissuader les violations. Les principaux défis à relever sont l’insuffisance des ressources financières et humaines, les limites des données disponibles et le manque de capacité juridique. Les progrès technologiques peuvent réduire le coût et accroître l’efficacité du suivi.
8. Utiliser les ressources publiques de manière stratégique et efficace
Il est essentiel d’augmenter les dépenses publiques consacrées à la biodiversité, sans pour autant grever les budgets. La réorientation des subventions néfastes et l’augmentation des recettes provenant des taxes et redevances favorables à la biodiversité peuvent libérer des ressources tout en réduisant les besoins de financement. Les fonds publics peuvent catalyser les financements privés en couvrant les coûts initiaux et en atténuant les risques, mais il convient de veiller à ne pas évincer les capitaux privés ou à ne pas subventionner les profits privés. En ce qui concerne les paiements directs, le ciblage spatial, la différenciation des taux et les approches fondées sur les résultats peuvent accroître la rentabilité.
9. Renforcer les autres politiques en matière de biodiversité et promouvoir la cohérence des politiques
D’autres politiques influencent l’évolutivité et l’efficacité des incitations favorables à la biodiversité. Les réglementations sur la qualité de l’eau ont contribué à stimuler les PSE des entreprises, tandis que des évaluations d’impact environnemental rigoureuses sont essentielles pour garantir l’efficacité des compensations en matière de biodiversité. La cohérence entre les politiques environnementales, fiscales et sectorielles est essentielle pour minimiser les contraintes pesant sur les incitations favorables à la biodiversité et réaliser les avantages connexes des politiques.
10. Tirer parti de la coopération au développement
La coopération au développement peut soutenir la mise à l’essai de nouvelles incitations favorables à la biodiversité et contribuer à étendre celles qui existent déjà, tant au niveau des projets que des politiques. Elle peut renforcer les capacités institutionnelles et techniques, faciliter le partage des connaissances et, en fin de compte, accroître la capacité des pays bénéficiaires à mobiliser des financements nationaux en faveur de la biodiversité.
À l’heure où la biodiversité vacille sous le poids des crises climatiques, agricoles et industrielles, il est urgent que les décideurs politiques embrassent une stratégie audacieuse : se nourrir des retours d’expérience les plus aboutis à l’échelle planétaire, tout en insufflant une ambition à la hauteur du défi que représente l’Agenda 2030. C’est en osant des politiques fondées sur la rigueur — des objectifs clairs, des indicateurs solides, une participation citoyenne réelle et des mécanismes adaptatifs — qu’il sera possible de déployer et d’amplifier les instruments économiques à même de renverser la vapeur : inverser les mécanismes qui appauvrissent la nature, restaurer ce qui a été détruit, et, simultanément, bâtir un avenir harmonieux pour les hommes et les écosystèmes. En conjuguant ressources publiques et responsabilité collective, nous pouvons transformer ces mesures incitatives en leviers puissants qui, loin de rester symboliques, engageront vraiment le monde sur le chemin d’une justice climatique et écologique. Car, pour détourner la perte inexorable de biodiversité, il est désormais temps de mobiliser toutes nos forces en faveur d’une planète vivante et d’un futur prospère pour toutes et tous.
On pourrait croire qu’avec les outils à disposition — taxes vertes, paiements pour services écosystémiques, permis échangeables, subventions positives — les pays de l’OCDE seraient en mesure d’enrayer la destruction du vivant. Pourtant, la réalité est tout autre : ces instruments existent, mais restent à la marge. Pourquoi ? Parce que les gouvernements n’ont pas encore eu le courage de s’attaquer aux rentes établies et aux intérêts économiques puissants qui bénéficient des subventions nocives à la biodiversité. Parce que la logique court-termiste — garantir des prix bas, préserver des secteurs électoralement sensibles, ménager les lobbies — l’emporte encore trop souvent sur la sauvegarde de notre capital naturel. Parce que les politiques restent éparpillées, expérimentales et mal évaluées, incapables de créer une dynamique de transformation systémique. Autrement dit, on entretient la façade de l’action tout en continuant à financer la destruction.
Et qu’en est-il du Cadre mondial de Kunming-Montréal, censé tracer une feuille de route pour stopper et inverser la perte de biodiversité d’ici 2030 ? Sa faiblesse est criante : il n’est pas contraignant. Les États signataires se sont offert une belle vitrine politique, mais sans obligations fermes ni sanctions en cas de manquement. La souveraineté nationale reste brandie comme un bouclier pour éviter tout transfert de pouvoir à une gouvernance internationale de la biodiversité. Résultat : de grands objectifs — comme protéger 30 % des terres et mers — qui séduisent sur le papier, mais qui se heurtent à des financements insuffisants, des indicateurs flous et une mise en œuvre inégale selon les pays.
Il est temps de dire les choses clairement : tant que les incitations positives ne seront pas généralisées, financées à la hauteur des enjeux et inscrites dans un cadre juridiquement contraignant, elles resteront des cautères sur une jambe de bois. Tant que les gouvernements préféreront préserver les privilèges d’aujourd’hui plutôt que la vie de demain, nous continuerons à perdre nos forêts, nos sols, nos océans et les espèces qui les peuplent.
L’histoire le montre : ce n’est pas le manque de solutions qui bloque, mais le manque de volonté politique. Les décideurs ont désormais un choix simple : transformer les belles paroles en obligations réelles ou rester complices de l’effondrement du vivant. La société civile, elle, n’a plus le luxe d’attendre.
Source : OCDE Environnement
Comment l’investissement vert peut-il stimuler l’action climatique et la résilience économique à long terme ?
Participer à la 12e édition du Forum sur la finance et l’investissement verts est l’événement phare de l’OCDE sur la finance verte et durable. Les 7 et 8 octobre 2025, cette nouvelle édition réunira de hauts représentants des gouvernements, des institutions financières, du secteur privé et de la société civile afin de promouvoir le dialogue, l’élaboration de politiques et l’action concrète en faveur du climat et, plus largement, de l’agenda environnemental.
Cette année, le Forum se déroulera sous la forme d’une série de séances plénières de haut niveau et de sessions parallèles, notamment des tables rondes, sur le thème « Investir dans la durabilité, investir dans la résilience économique ».
Lieu : OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) 2 rue André-Pascal, 75775 Paris Cedex 16, France







