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Covid-19, maladie de l’anthropocène et de la biodiversité

La « santé globale » est en jeu

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La pandémie de coronavirus pose encore de nombreuses questions sur son origine comme sur ses impacts sanitaires. Sa complexité vient de son intrication dans un écosystème humain en plein bouleversement : dérèglement climatique, pollutions, maladies chroniques comme le diabète et l’obésité, qui aggravent les effets du Covid-19. Plus encore, la pandémie se développe sur le terreau de notre système alimentaire dont les bouleversements relatifs à la globalisation et à l’industrialisation de l’agriculture, de la transformation et de la distribution ne cessent de produire des effets délétères pour la santé humaine. Autant de facteurs qui impactent la « santé globale » et augmentent la vulnérabilité des organismes humains confrontés à l’émergence des pandémies virales.

La pandémie actuelle, due au coronavirus responsable du COVID-19 avec ses multiples conséquences, n’est pas simple à interpréter tant pour son origine que pour ses impacts sanitaires, les seuls considérés ici. Il est pourtant indispensable de le faire pour guider et orienter en amont le choix des politiques publiques, tout autant que ceux des acteurs économiques et des citoyens et consommateurs.

Cette pandémie vient rendre encore plus urgent l’agenda des politiques à mener pour faire face aux différentes composantes des changements globaux qui caractérisent l’anthropocène : le dérèglement climatique, la pollution des eaux et de l’air, qui ne s’infléchissent pas malgré des politiques dédiées, ainsi que les maladies chroniques comme le diabète et l’obésité dont l’expansion actuelle est déjà elle-même une pandémie. Largement dépendantes de notre système alimentaire, les causes multiples de ces bouleversements sont interconnectées : elles sont relatives à la globalisation et à l’industrialisation de l’agriculture, de la transformation et de la distribution, ainsi qu’à l’occidentalisation de l’alimentation.

Deux causes majeures de zoonoses1 pandémiques à effet délétère pour notre santé ont été identifiées. D’une part le risque de zoonoses est accru par la consommation et le commerce d’animaux sauvages mais aussi par le changement d’utilisation des terres via la déforestation et l’agriculture itinérante. D’autre part, l’organisme humain est plus vulnérable à certaines de ces zoonoses du fait d’une baisse de l’efficacité de notre système immunitaire. Ces causes apparemment indépendantes ont comme caractéristique commune, une baisse, voire un effondrement de la biodiversité, aussi bien dans les écosystèmes naturels où les occasions de rencontre entre la faune sauvage, les animaux domestiques et les hommes se sont accrues, mais aussi dans notre intestin. En effet, notre microbiote intestinal, lorsqu’il se trouve en mauvais état ou dysbiose nous protège mal des maladies infectieuses ou de leurs complications. Enfin la baisse de la biodiversité dans les écosystèmes cultivés entre aussi en synergie avec les deux effondrements cités pour en accentuer les effets, ou bien pour créer des conditions favorables à leur développement. Ainsi déforestation dans le monde, pollution et dégradation de l’air et des terres localement, dysbiose intestinale au sein de notre organisme, toutes dégradations qui semblent n’avoir rien à voir entre elles font pourtant « système » et sont autant de symptômes de dysfonctionnements de notre système alimentaire.

Nous examinerons pour chacun des domaines (écosystèmes naturels, écosystème intestinal, écosystèmes cultivés) les composantes de notre système alimentaire qui contribuent à la baisse de biodiversité et leurs conséquences sur le développement de pandémies.

Baisse de la biodiversité dans les écosystèmes naturels : déforestation et zoonoses

La déforestation a augmenté depuis les années 50 : cinq millions d’ha ont été déforestés par an entre 2001 et 2015, principalement au Brésil et en Asie du Sud Est, à un rythme qui ne faiblit pas depuis 50 ans. La raison en est la forte demande de soja pour élevage et d’huile de palme pour l’alimentation industrielle et les biocarburants.

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Les plantations de palmiers à huile couvrent actuellement plus de 27 millions d’hectares de la surface de la Terre. Le faible prix de cette huile sur le marché mondial et ses propriétés spécifiques la rendent surtout demandée pour la fabrication d’aliments ultra-transformés (pizzas surgelées, biscuits, margarine…). Près de la moitié de l’huile de palme importée dans l’UE sert de biocarburant, et le reste est utilisé pour l’alimentation animale et humaine.

Par ailleurs, ces 50 dernières années, la production du soja a décuplé passant de 27 à 267 millions de tonnes. L’augmentation de la demande de consommation de viande dans l’UE, et plus récemment en Chine, est à l’origine de cette croissance puisque près des ¾ du soja produit dans le monde est utilisé pour nourrir les animaux. Or cette augmentation dans les pays occidentaux ou développés n’est pas calée sur les besoins réels, car la consommation de viande y dépasse de beaucoup les recommandations de l’OMS pour la santé. Ce dépassement a entrainé la destruction d’habitats naturels au travers de l’explosion de l’élevage industriel. En tant que première source d’alimentation animale au monde, le soja est ainsi devenu un élément indispensable du modèle d’agriculture et d’élevage industriel. Cette évolution soutenue par le faible coût relatif des produits animaux issus de ce type d’élevage, est par la déforestation à l’origine directe des récentes zoonoses.

Baisse de la biodiversité dans notre intestin : « malbouffe », dysbiose et maladies chroniques, facteurs de comorbidité pour les maladies infectieuses

Au cours des 50 dernières années, les décès liés aux maladies infectieuses ont baissé grâce à progrès sanitaires et à l’utilisation d’antibiotiques. En revanche, les maladies chroniques non transmissibles ont fortement augmenté, notamment en raison de la « malbouffe », dont la conséquence est le surpoids, l’obésité, qui sont la porte d’entrée du diabète avec les pathologies associées. La pandémie du Covid-19 révèle que ce sont aussi des facteurs de risque pour le développement de formes graves de la maladie puisqu’on constate que le nombre de patients en réanimation, de même que le pourcentage de ceux qui meurent ont quasiment tous une ou plusieurs maladies chroniques (obésité, diabète etc…). Ce constat fait dans des pays aussi différents que la Chine, l’Italie la France et les USA signifie que la prévention des maladies chroniques devrait jouer aussi un rôle clé dans la prévention des maladies infectieuses ou de la létalité de leurs complications.

Notre microbiote est un facteur clef de la santé et des maladies. En effet, les humains et les microbes ont établi une association symbiotique au fil du temps, et les perturbations de cette association sont à l’origine de maladies inflammatoires à médiation immunitaire. Ces maladies chroniques très invalidantes affectent différents systèmes organiques. Ainsi les perturbations du microbiote constituent des facteurs de risque pour les maladies inflammatoires de l’intestin, l’obésité, le diabète, les cancers, la polyarthrite rhumatoïde, l’asthme, mais aussi les maladies du cerveau ; une part considérable de leur pathologie étant due à notre alimentation et à notre environnement. Les processus en jeu sont l’inflammation, le stress oxydatif causés par un manque de certains nutriments (fibres, omega 3), l’excès d’autres (omega 6, produits ultra-transformés, riches en gras, sucres et contenant des additifs) ainsi que les contaminants (pesticides, perturbateurs endocriniens). Des données récentes suggèrent que le microbiote des sociétés industrialisées diffère considérablement du microbiote ancestral récent des humains, car les communautés microbiennes associées à l’homme se sont adaptées aux pressions environnementales. La modernisation rapide des pratiques médicales (antibiotiques, césariennes, à l’issue desquelles le nourrisson ne bénéficie pas de l’exposition au « bon » microbiote maternel) et évidemment les changements délétères de notre alimentation ont entraîné une détérioration progressive du microbiote, facteur, on l’a vu, du développement des maladies chroniques dans les sociétés industrialisées.

Par ailleurs, on sait que la réponse immunitaire innée aux virus inhibe leur réplication, favorise leur élimination, induit la réparation des tissus, et déclenche une réponse immunitaire adaptative prolongée. Ainsi, dans la plupart des cas, les réponses inflammatoires pulmonaires et systémiques associées aux Covid-19 sont déclenchées pour notre bien par le système immunitaire inné lorsqu’il reconnaît les virus et tente de les circonvenir. Mais plusieurs facteurs peuvent rendre cette réponse démesurée, inadaptée et même fatale. Outre le vieillissement, qui impacte la diversité du microbiote, la moins bonne efficacité de notre système immunitaire dépend des facteurs de comorbidité que sont les maladies chroniques. Le développement de l’antibiorésistance acquise via l’air, les eaux etc. aggrave la situation, et il est maintenant reconnu comme un problème majeur pour les infections par des bactéries : indépendamment du Covid-19 les infections pulmonaires résistantes aux antibiothérapies existantes sont de plus en plus un facteur important de mortalité pour la grippe saisonnière.

Baisse de la biodiversité dans les sols et les paysages : systèmes agricoles industriels, pollutions et réduction de l’offre alimentaire dans les territoires

Les dynamiques de biodiversité observées dans les écosystèmes naturels et dans notre intestin sont aussi concomitantes à la baisse de la biodiversité dans les sols et paysages agricoles. La simplification des systèmes de cultures comme la spécialisation des exploitations et des régions engendrent un surcroît d’utilisation d’intrants de synthèse (engrais azotés, pesticides) dans une tentative toujours moins efficace pour compenser la perte de services fournis par la « nature ». Par exemple, on cultive très peu de légumineuses qui permettent de fixer l’azote de l’air, du fait d’une spécialisation des exploitations pour le blé, le colza, le maïs et le tournesol. Et nous importons une grande partie des légumineuses à graine pour notre alimentation alors que nous n’en consommons pas suffisamment pour notre santé.

Nous importons aussi beaucoup de légumes, parfois de loin, souvent avec un fort impact environnemental, alors que notre consommation est déjà très insuffisante pour notre santé, que notre climat est parfaitement adapté à ces cultures, et qu’ils sont d’excellents pourvoyeurs d’antioxydants et de vitamines.

Par ailleurs, dans certaines régions, la forte concentration d’élevages intensifs dépendant du soja ou d’intrants exogènes à la région est aussi associée à des émissions élevées dans l’eau de nitrates et dans l’air d’ammoniac. Elle se traduit aussi par un usage excessif en antibiotiques qui contribue, avec les antibiotiques utilisés en médecine humaine, au développement de l’antibiorésistance dont on a vu les méfaits.

La santé globale pour comprendre et agir

La biodiversité étant menacée ou ayant atteint des seuils critiques dans de nombreux domaines très différents les uns des autres, il convient de la restaurer de manière coordonnée et à des fins de prévention afin d’assurer les conditions de ce qu’on appellera une santé « unique » ou « globale ». En conséquence, les politiques sectorielles par domaine, agriculture, environnement, alimentation, santé, commerce international, qui visent seulement à réduire les impacts sans toucher au système ne sont plus suffisantes. La vision actuelle du monde comme illimité en ressources, la compartimentation des politiques « en silo », qui abordent les problèmes isolément, tout autant que la croyance mirifique dans la capacité des seules nouvelles technologies à sauver le monde, sont donc insuffisantes et inadaptées.

Le développement de politiques systémiques est la seule réponse, à donner en urgence, à cette crise systémique. C’est la condition nécessaire pour réduire non seulement l’impact et les risques de futures pandémies mais aussi pour faire face aux conséquences catastrophiques de notre système alimentaire sur la santé et l’environnement. Sa contribution au dérèglement climatique monte à environ 25 % des émissions des gaz à effet de serre via les engrais azotés, le méthane (ruminants, rizière) et la déforestation. Comment faire pour réduire les émissions de 50% de façon à atteindre la neutralité carbone en 2050 ?

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Prendre vraiment au sérieux les enjeux d’environnement et de santé (maladies chroniques, mais aussi zoonoses) nécessite de recomposer les relations entre les différents acteurs pour penser et mettre en œuvre une transition du système alimentaire dans sa globalité. Il importe de tenir compte de difficultés et/ou défaillances telles que la gestion de dynamiques trans-échelles, les inégalités persistantes quant aux droits alimentaires, les déséquilibres de pouvoir ainsi que les valeurs et interprétations contradictoires de la sécurité alimentaire.

Écrire un nouveau récit autour de la santé des organismes et des populations (les Hommes, les animaux) et de leurs habitats (le sol, les écosystèmes…) est une voie pour refonder l’action publique et donner des perspectives à l’action collective.

Sur le terrain, une multitude d’initiatives (Amap, plans alimentaires territoriaux, circuits courts, restauration collective responsable, marché paysan…) s’engagent vers une transition agroécologique des systèmes alimentaires. Cependant les effets à l’échelle de la France peinent à apparaître car ces initiatives parfois s’ignorent ou se concurrencent, ont du mal à capitaliser les compétences, et souvent n’embarquent qu’une partie des changements à opérer : elles portent sur l’agriculture ou l’alimentation, mais rarement les deux. Les coordinations déjà en cours doivent donc être renforcées de façon à changer l’échelle et rendre ces initiatives visibles au plus grand nombre d’acteurs possibles. A cette fin les scénarios de systèmes alimentaires élaborés par les chercheurs fournissent des référentiels convaincants pour développer des systèmes alimentaires territorialisés et crédibiliser les choix faits. Toutefois, au- delà de ces initiatives, il importe que les acteurs du système alimentaire « dominant » s’attellent ensemble à des changements de rupture, qu’il s’agisse des firmes pour les fournitures agricoles (semences, engrais, pesticides), des relais de proximité des agriculteurs, coopératives ou conseil agricole, mais aussi des grands acteurs de la transformation et de la distribution, car les seuls changements à la marge tels que pratiqués usuellement ne sont plus suffisants. Si cela est connu des chercheurs de longue date, le Covid-19 vient d’en enseigner l’urgence à tous.

Michel Duru, Directeur de Recherche en agronomie à l’INRAE. Ses travaux ont d’abord porté sur l’agriculture (culture, élevage) et l’environnement. Actuellement, il travaille sur la « transition agroécologique des systèmes alimentaires ». L’enjeu est de définir des innovations systémiques pour une alimentation saine et durable en tenant en compte de la finitude des ressources (terre, phosphore…), tout en réduisant nos impacts pour faire face au dérèglement climatique et aux pandémies telles l’obésité et certaines maladies infectieuses.

[1] Maladie d’origine bactérienne, virale ou fongique transmissible de l’animal à l’homme

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