L’accès à de nombreux médicaments, comme des analgésiques courants ou des traitements anticancéreux, est menacé par la vague d’extinction de la biodiversité dans le monde. Car soixante mille plantes et champignons sont utilisés pour leur valeur médicinale. 40 % d’entre eux sont directement menacés d’extinction, mettant en péril nos approvisionnements et la santé humaine.
Sans les 60 000 plantes et champignons que nous utilisons dans nos médicaments, l’avenir de la santé humaine est sérieusement menacé. C’est ce qu’affirment des chercheurs botanistes dans une enquête approfondie de la chaîne publique allemande Deutsche Welle. Plus d’un tiers des médicaments modernes sont en effet dérivés directement ou indirectement de produits naturels, tels que des plantes, des microorganismes et des animaux, et entre 60 et 80 % des antibiotiques et des médicaments anticancéreux proviennent de composés chimiques trouvés dans le monde naturel.
Loin d’être la chasse gardée des shamans, phytothérapeutes et autres médecines de niche, les plantes médicinales et les champignons sont essentiels à la pharmacologie moderne, déclare Joao Calixto, professeur de pharmacologie et directeur du Centre d’innovation et d’essais précliniques au Brésil. « Si nous regardons l’histoire du développement de la médecine moderne, elle était presque entièrement basée sur l’étude des plantes médicinales et des microorganismes – en particulier pour la fabrication d’agents anti-infectieux », précise-t-il.
La morphine et la codéine, certains des analgésiques les plus utilisés, par exemple, étaient dérivés de la fleur de pavot. Le paclitaxel (taxol) est un médicament de chimiothérapie couramment utilisé, issu de l’écorce de l’if du Pacifique. La pénicilline, l’un des premiers antibiotiques, provient d’une moisissure. Et les médicaments hypocholestérolémiants sont basés sur des propriétés que l’on trouve dans les champignons.
Ils constituent une ressource vitale pour une industrie pharmaceutique mondiale évaluée à près de mille milliards d’euros, et un commerce mondial d’espèces de plantes aromatiques et médicinales d’une valeur de plus de trois milliards.
Alors que des écologistes inquiets comme Danna Leaman, présidente de l’UICN, organisme qui dresse la liste rouge des espèces de plantes médicinales menacées, sonnent l’alarme depuis longtemps sur l’extraction non durable, elle affirme que ce n’est qu’une partie de ce qui explique leur déclin. « La perte d’habitat est la principale menace qui pèse sur ces espèces », alerte-t-elle. La déforestation et le défrichement menés sans limite pour faire place à l’agriculture et l’expansion des villes, dans des régions riches en biodiversité comme le Brésil, l’Éthiopie, l’Inde et l’Amérique du Nord, ont décimé de grandes étendues de forêts et d’habitats sauvages où l’on trouve ces plantes et ces champignons. « Il y a eu très, très peu de prise de conscience de la menace réelle et potentielle qui pèse sur l’approvisionnement de ces espèces dont dépendent ces entreprises pharmaceutiques et phytothérapiques et dont les gens dépendent pour leur santé », déplore-t-elle.
Étant donné que 80 % de ces plantes sont récoltées dans la nature à partir de sources qui s’épuisent rapidement, une solution apparemment logique est d’en mettre davantage en culture.
Bien que cela soit efficace et nécessaire pour un petit pourcentage des plantes médicinales très demandées dans le monde, comme l’échinacée, Danna Leaman estime qu’il est à la fois risqué et irréaliste de proposer la culture comme panacée pour répondre à la demande croissante et à la diminution des environnements naturels. « Si l’on pense aux ravages causés par la conversion des habitats naturels à l’agriculture, la mise en culture d’un si grand nombre d’espèces indigènes des forêts et d’autres habitats sauvages créerait une pression encore plus grande sur ces habitats », remarque la botaniste, ajoutant que le temps et les efforts nécessaires à la recherche et à l’élevage de ces espèces sont « énormes » et totalement en contradiction avec le niveau actuel d’attention mondiale accordée aux plantes médicinales et aux champignons. Sans parler des problèmes inhérents au fait de se fier à un échantillon génétique limité d’une espèce, surtout si l’on tient compte du fait que leurs parents sauvages sont mal protégés, explique Donna Leaman.
Comme l’ont récemment souligné les Nations unies dans leur évaluation historique de la biodiversité, le monde n’a atteint aucun des 20 objectifs en matière de biodiversité fixés il y a dix ans. Or une population humaine en bonne santé est totalement dépendante d’écosystèmes sains et riches en biodiversité.
En endommageant ces écosystèmes et les espèces de plantes médicinales qui y vivent, non seulement l’accès aux matières premières pour la découverte de médicaments, la biotechnologie et les modèles médicaux est réduit, mais les conditions sont créées pour la propagation des virus de la faune sauvage aux humains.
La protection d’environnements sains est « absolument essentielle » à la découverte de médicaments potentiels, déclare Mme Leaman. « D’où viendra le prochain traitement contre la leucémie ? Et le traitement pour le Covid-19 ? » Protéger la biodiversité « détermine notre capacité à avoir accès non seulement aux sources de médicaments dont nous dépendons et que nous connaissons, mais aussi aux sources que nous ne connaissons pas encore », ajoute-t-elle.