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Voyage au cœur de la glace : la Terre dévoile 1,2 million d’années de secrets climatiques

Le projet antarctique Beyond EPICA-Oldest Ice extrait une carotte de glace historiquement unique, vieille de plus de 1,2 million d'années

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C’est une découverte extraordinaire qui ouvre une fenêtre sur l’histoire profonde de notre planète. Sur le plateau glacial de l’Antarctique, une équipe internationale de chercheurs, représentant douze institutions dont la France, le CNRS et l’Institut polaire français, a réussi un exploit scientifique monumental : forer une carotte de glace atteignant le substrat rocheux, révélant une archive climatique vieille de plus de 1,2 million d’années. Ce projet, mené dans des conditions extrêmes, marque une avancée majeure dans la compréhension des cycles glaciaires et de l’évolution de notre climat. À travers cette carotte, les scientifiques espèrent percer les mystères du passé et éclairer les enjeux climatiques de demain.

Équipe du projet « Beyond EPICA – Oldest Ice ». Crédit ©PNRA IPE, 2024

Il s’agit d’une étape historique pour la recherche climatique : une équipe de recherche internationale, à laquelle participe l’Institut Alfred Wegener, a réussi à forer une carotte de glace de 2 800 mètres de long, atteignant ainsi le substrat rocheux sous la calotte glaciaire de l’Antarctique, sur le site de Little Dome C. Au cours de la quatrième saison antarctique du projet « Beyond EPICA – Oldest Ice », financé par la Commission européenne, l’équipe a pu forer de la glace qui contient un enregistrement continu de l’histoire de notre climat remontant à 1,2 million d’années, et probablement au-delà. Le précédent enregistrement d’âge provient de la carotte EPICA forée en 2004, qui décrit l’atmosphère des 800 000 dernières années.
Coordonné par l’Institut des sciences polaires du Conseil national de la recherche italien (Cnr-Isp), le projet vise à résoudre l’un des mystères les plus complexes de la science du climat.

« Nous avons marqué un moment historique pour la science du climat et de l’environnement », commente Carlo Barbante, professeur à l’Université Ca’ Foscari de Venise, membre associé principal de l’Institut des sciences polaires du Conseil national de la recherche d’Italie et coordinateur de Beyond EPICA. « Il s’agit du plus long enregistrement continu de notre climat passé à partir d’une carotte de glace, et il peut révéler le lien entre le cycle du carbone et la température de notre planète. Cette réalisation a été rendue possible grâce à la collaboration extraordinaire de diverses institutions de recherche européennes et au travail dévoué des scientifiques et du personnel logistique sur le terrain au cours des dix dernières années. »
Le projet bénéficie également de la synergie avec le projet ITN DEEPICE financé par l’UE, qui a fourni trois doctorants à cette campagne de terrain.

« D’après les analyses préliminaires enregistrées au Petit Dôme C, nous avons une forte indication que les 2 480 mètres les plus hauts contiennent un enregistrement climatique qui remonte à 1,2 million d’années dans un enregistrement à haute résolution où jusqu’à 13 000 ans sont compressés dans un mètre de glace », rapporte Julien Westhoff, scientifique en chef du domaine, postdoctorant à l’université de Copenhague.

Frank Wilhelms, chercheur principal sur le terrain, glaciologue à l’Institut Alfred Wegener, Centre Helmholtz pour la recherche polaire et marine (AWI) et professeur à l’Université de Göttingen, raconte depuis l’Antarctique : « Il est fascinant de constater que nous avons pu forer de la glace vieille de 800 000 à 1,2 million d’années exactement là où nous l’avions prévu sur la base de nos explorations préliminaires : à une profondeur comprise entre 2 426 et 2 490 mètres. »
Cette période correspond à la transition du Pléistocène moyen, lorsque les cycles glaciaires ont ralenti, passant d’intervalles de 41 000 à 100 000 ans. Les paramètres orbitaux de la Terre, tels que l’angle d’inclinaison, le rayonnement solaire et l’albédo de la glace, déterminent ces cycles. Mais la raison pour laquelle la réaction du système terrestre s’est soudainement décalée de cette manière reste l’un des plus grands mystères de la science climatique, que ce projet vise à résoudre. Comprendre la fréquence des cycles glaciaires est non seulement important pour l’histoire passée de la planète et de l’humanité, mais aussi pour notre avenir. Frank Wilhelms poursuit : « L’identification de l’emplacement exact dans la première phase de Beyond EPICA – Oldest Ice à l’aide de technologies de pointe en matière d’écho-sondeur radio et de modélisation de l’écoulement des glaces a extrêmement bien fonctionné. Nous avons maintenant ajouté une phase importante de l’histoire de la Terre aux données de carottes de glace EPICA que nous avons obtenues il y a vingt ans. »

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Sous la glace qui abrite les archives climatiques de plus de 1,2 million d’années , les 210 mètres les plus bas de la carotte de glace au-dessus du substratum rocheux sont constitués de glace ancienne, fortement déformée, peut-être mélangée ou recongelée et d’origine inconnue. Des analyses avancées pourraient aider à tester les théories précédentes sur le comportement de la glace recongelée sous la calotte glaciaire de l’Antarctique et révéler l’histoire de la glaciation de l’Antarctique de l’Est.

Les équipes européennes sur le terrain ont accompli un exploit impressionnant : plus de 200 jours de forage et de traitement des carottes de glace au cours de quatre saisons de terrain dans l’environnement hostile du plateau central de l’Antarctique, à une altitude de 3 200 mètres et avec une température estivale moyenne de -35 °C.

Les précieuses carottes de glace qui ont été forées seront ramenées en Europe à bord du brise-glace Laura Bassi. Maintenir la chaîne du froid à -50 °C sera un défi logistique. Le consortium de recherche a construit des conteneurs frigorifiques spéciaux, que le programme national italien de recherche antarctique (PNRA) prévoit d’utiliser pour le transport vers l’Europe. Matthias Hüther, maître foreur local et glaciologue de l’AWI, se réjouit déjà : « Lorsque les carottes arriveront à l’AWI au début de l’été pour être traitées dans notre laboratoire de glace de Bremerhaven, nous accueillerons de nombreux scientifiques internationaux et de chers amis. Et nous sommes sûrs de faire ensemble de nombreuses autres découvertes passionnantes et imprévues. » L’équipe de recherche quittera l’Antarctique en avion fin janvier.

Les premières sections de la carotte de glace Beyond EPICA – Oldest Ice ont déjà été analysées dans le laboratoire de glace de l’AWI en juillet 2024. Dans les parties les plus basses de la carotte, il pourrait même y avoir de la glace plus ancienne, datant d’avant la période quaternaire. Les roches sous-jacentes seront datées pour déterminer quand cette région de l’Antarctique a été libre de glace pour la dernière fois.

Étudier la glace en profondeur pour remonter le temps

La glace extraite au cours de cette quatrième campagne débutée en novembre 2024 a préservé un enregistrement de l’histoire du climat de la Terre, offrant un aperçu direct des températures atmosphériques et des concentrations en gaz à effet de serre au cours des derniers 1,2 million d’années.

« Grâce au système d’analyse isotopique préparé pour le terrain et géré par Amaëlle Landais, chercheuse du CNRS au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, nous sommes capables de voir quasiment en temps réel pendant le forage la succession des cycles glaciaires – interglaciaires enregistrés dans la glace et ainsi confirmer la datation préliminaire. » explique Frédéric Parrenin, chercheur CNRS à l’Institut des géosciences de l’environnement.

Une fois revenues en Europe, les carottes de glace seront analysées dans l’objectif de reconstruire l’histoire climatique de la Terre et la composition de son atmosphère au cours de cette longue période jusqu’à notre ère.

Plus particulièrement, ces analyses devraient permettre d’élucider les raisons de la mystérieuse transition survenue au cours du mi-Pléistocène, une période entre 900 000 ans et 1,2 million d’années dans le passé, durant laquelle les cycles glaciaires ont vu leur amplitude augmenter et leur période passer de 41 000 ans à 100 000 ans. En effet, seules les glaces polaires permettent de reconstruire les concentrations de CO2 de manière fiable, un gaz que l’on soupçonne d’avoir joué un rôle déterminant dans cette transition. Par ailleurs, le champ magnétique de la Terre s’est inversé et s’est effondré plusieurs fois durant cette période et les scientifiques espèrent que ces événements auront été enregistrés dans la glace.

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Les scientifiques espèrent également pouvoir extraire des roches présentes sous la glace, dont les analyses pourraient indiquer quand le continent a été déglacé pour la dernière fois. Ce projet pharaonique prendra fin en mai 2026.

Une collaboration européenne

Camp de Little Dome C

Le projet a été financé par l’Union européenne et soutenu par des agences de financements nationales, comme l’ANR en France qui a financé le projet Towards Beyond EPICA (ToBE).

Frédéric Parrenin, directeur de recherche du CNRS à l’Institut des géosciences de l’environnement (CNRS/Université Grenoble Alpes/INRAE/IRD) coordonne la partie française de « Beyond EPICA – Oldest Ice », en collaboration avec le coordinateur du projet Carlo Barbante. Du même laboratoire, Catherine Ritz, directrice de recherche du CNRS, a coordonné la recherche de site et Olivier Alemany, ingénieur de recherche CNRS, spécialisé dans les techniques de forage glaciaire et responsable de la Plateforme française de forage glaciaire (F2G), y a participé avec son équipe.

En France, quatre laboratoires gérés par le CNRS et ses partenaires sont impliqués dans ce projet aux côtés de l’Institut polaire français : l’Institut des géosciences de l’environnement (CNRS/Université Grenoble Alpes/INRAE/IRD), le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (IPSL2 , CEA/CNRS/Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines), le Centre de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement (Aix-Marseille Université/CNRS/INRAE/IRD) et le Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (CNRS/Université de Lorraine).

Vue en surplomb du toit de la tente de forage, 20 décembre 2024. © Lawer/PNRA/IPEV

David Renault, directeur scientifique de l’Institut polaire français, souligne que ce projet a fait l’objet d’un développement technique et d’un savoir logistique spécifique pour permettre la mise en place et le fonctionnement du camp isolé de Little Dome C. Le camp a en effet été déployé et maintenu grâce à la proximité de la station Concordia gérée conjointement par l’Institut polaire français et l’ENEA3 . Les organismes ont intégré le fonctionnement du camp de Beyond EPICA au fonctionnement annuel de Concordia ce qui impliquait, en plus des connaissances spécifiques de l’environnement antarctique, des moyens de transports très importants : des avions depuis la station antarctique italienne Mario Zucchelli pour les personnes, le raid entre Dumont d’Urville et Concordia pour transporter des charges lourdes, et les navires français et italiens, l’Astrolabe et le Laura Bassi pour les voyages et le fret, un défi logistique colossal renouvelé chaque année depuis décembre 2020.

Par ailleurs, quinze bourses de thèse ont été financées par l’Union européenne au travers de l’International Training Network DEEPICE, coordonné en France par Amaëlle Landais, chercheuse du CNRS au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement et Emilie Capron, chercheuse du CNRS à l’Institut des géosciences de l’environnement. Trois étudiants en thèse ont participé à cette quatrième campagne de forage.

Projet Beyond EPICA Oldest Ice

Ce projet a reçu un financement du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne au titre de l’accord de subvention n° 815384. Le projet a également été soutenu par des partenaires nationaux et des agences de financement en Belgique, au Danemark, en France, en Allemagne, en Italie, en Norvège, en Suède, en Suisse, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.

Consortium :

  • ISP-CNR – Institut des Sciences Polaires du Conseil National de la Recherche d’Italie (Italie) – Chef de file
  • AWI – Institut Alfred-Wegener, Centre Helmholtz pour la recherche polaire et marine (Allemagne)
  • BAS – British Antarctic Survey (Royaume-Uni)
  • IPEV – Institut Polaire Français (France)
  • ENEA – Agence nationale pour les nouvelles technologies, l’énergie et le développement économique durable (Italie)
  • CNRS – Centre national de la recherche scientifique (France)
  • UU – L’Université d’Utrecht (Pays-Bas)
  • NPI – Institut polaire norvégien (Norvège)
  • SU – Université de Stockholm (Suède)
  • UBERN – Université de Berne (Suisse)
  • UCPH – Université de Copenhague (Danemark)
  • ULB – L’Université de Bruxelles (Belgique)

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