L’invasion de l’Ukraine par les armées de Poutine a créé une onde choc mondial et provoqué une révolution dans les doctrines des pays européens. C’est le cas de l’Allemagne qui a non seulement suspendu le projet de gazoduc russe Nord Stream 2, mais aussi met en œuvre les moyens de limiter sa dépendance énergétique avec la Russie. Dans le même temps, elle opère un revirement historique dans sa politique étrangère et de défense en augmentant de 100 milliards d’euros son budget militaire et en fournissant des armes à l’Ukraine assiégée.
L’Allemagne a décidé d’adopter des lois visant à garantir des réserves stratégiques d’énergie afin de limiter sa dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou. « D’autres mesures sont en préparation pour l’hiver prochain, notamment la constitution d’une réserve de gaz organisée de telle sorte que les propriétaires des installations de stockage soient obligés de les remplir avant le début de l’hiver », a expliqué le vice-chancelier allemand, Robert Habeck.
L’Allemagne entend se libérer de la dépendance énergétique russe
Cette réticence historique de l’Allemagne à dépendre des exportations énergétiques russes, ne se limitent pas au gaz. « L’Allemagne dépend à 50 % des importations de charbon russe », a-t-il noté, ajoutant que l’Allemagne procéderait de la même manière avec les réserves de charbon qu’avec le gaz.
Bien que 35 % des importations de pétrole du pays proviennent de Russie, une réserve nationale permettrait de garantir l’approvisionnement pendant 90 jours même si celui-ci venait à être interrompu, a-t-il indiqué. De plus, même si l’Allemagne dépend à 55 % des importations de gaz russe, les niveaux de stockage se sont stabilisés. « Nous pouvons désormais affirmer que nous passerons cet hiver en toute sécurité. L’approvisionnement en gaz est sécurisé, même si les prix continuent à monter en flèche ou si la Russie réduit ou interrompt complètement l’approvisionnement en gaz », a affirmé M. Habeck.
En ce qui concerne le charbon, environ la moitié des importations de l’Allemagne proviennent de Russie, et le gouvernement mettrait en place une réserve stratégique pour garantir la sécurité de l’approvisionnement. L’attaque russe contre l’Ukraine a montré que l’Allemagne devait devenir indépendante des importations de combustibles fossiles « aussi rapidement que possible » et accélérer le développement des énergies renouvelables. La crise actuelle pourrait pousser Berlin à faire rapidement le nécessaire, a estimé M. Habeck.
D’ici là, l’Allemagne devra diversifier son approvisionnement. « Cela inclut la construction de terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL) supplémentaires en Allemagne afin que nous puissions gérer l’approvisionnement énergétique sur notre propre territoire national et garantir la souveraineté », a annoncé M. Habeck.
L’Allemagne a commencé à évaluer ses options, la sécurité de son approvisionnement en gaz naturel avec des importations russes pouvant être menacée en raison de l’attaque russe en Ukraine. Lorsqu’on lui a demandé si l’Allemagne pouvait faire face à un arrêt complet des importations de gaz en provenance de Russie, M. Habeck a répondu : « Oui, elle le peut ». « Il existe des options pour que l’Allemagne puisse acquérir suffisamment de gaz et d’autres ressources sans la Russie », a-t-il continué, ajoutant que cela entraînerait probablement une hausse des prix.
Un élément clé des nouvelles sources d’importation sera le GNL, dont les livraisons à l’Europe en provenance de pays comme le Qatar ou encore les États-Unis ont déjà augmenté rapidement ces derniers mois.
Dans le charivari énergétique causé par la guerre de Poutine, l’Algérie pourrait être un acteur important pour alléger la dépendance des européens. Sonatrach, le géant public algérien des hydrocarbures, s’est dit ainsi prêt à fournir davantage de gaz à l’Europe, en cas de baisse des exportations russes liée à la crise ukrainienne, en l’acheminant notamment via le gazoduc Transmed reliant l’Algérie à l’Italie. Sonatrach est « un fournisseur fiable de gaz pour le marché européen et est disposé à soutenir ses partenaires de long terme en cas de situations difficiles », a déclaré ce dimanche 27 février son PDG, Toufik Hakkar, au quotidien Liberté. L’Europe est le « marché naturel de prédilection » pour l’Algérie, qui contribue actuellement à hauteur de 11 % à ses importations de gaz, a-t-il souligné.
Le gaz pourrait également être liquéfié et envoyé à travers des méthaniers, sachant que les unités de liquéfaction qui existent en Algérie ne sont exploitées qu’à 50/60 % de leurs capacités. Abdelmajid Attar, ancien ministre algérien de l’énergie et ancien PDG de Sonatrach a déclaré à l’AFP qu’à « moyen terme, dans quatre ou cinq ans, l’Algérie pourra envoyer de plus grandes quantités ». Néanmoins, il sera selon lui nécessaire au préalable de « développer de nouvelles réserves essentiellement constituées de gaz non conventionnel » (gaz de schiste). L’Algérie prévoit d’investir 40 milliards de dollars (environ 35,5 milliards d’euros) entre 2022 et 2026 dans l’exploration, la production et le raffinage de pétrole, ainsi que dans la prospection et l’extraction de gaz.
Source AFP
Revirement de la doctrine de défense allemande
Cette volonté d’indépendance énergétique par rapport à la Russie s’accompagne d’un revirement complet de la doctrine allemande en matière de défense et de politique étrangère. Poutine a réussi à faire en quatre jours ce que l’Europe n’est jamais parvenu à réaliser depuis des décennies.
Jusqu’à présent, la politique étrangère allemande était principalement fondée sur la promotion de la paix par des moyens diplomatiques et sur une réticence à investir dans ses capacités militaires. Une position qui ne cessait de contrarier les alliés et partenaires de l’Allemagne surtout en période de crise. Mais aujourd’hui, « Au vu du tournant que représente l’agression de M. Poutine, notre approche est la suivante : Ce qui est nécessaire pour garantir la paix en Europe, nous le ferons », a déclaré dimanche le chancelier allemand Olaf Scholz.
« C’est une guerre qui nous oblige à redessiner les fondements de nos actions en matière de politique étrangère », a déclaré la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, lors de son discours devant le Bundestag dimanche 27 février.
Avant l’escalade de la guerre en Ukraine, l’Allemagne misait sur une solution diplomatique à la situation et refusait de livrer des armes défensives à l’Ukraine en raison de sa « politique de paix » et de sa position restrictive sur les armes. Elle a même bloqué les livraisons d’armes de son alliée, l’Estonie, vers l’Ukraine. Dans les premiers jours qui ont suivi l’invasion russe, l’Allemagne a continué à s’en tenir à cette approche. Cependant, samedi soir, le gouvernement allemand a complètement changé de cap et a annoncé qu’il enverrait 1000 armes antichars et 500 missiles. « En cette période historique, face à l’attaque brutale contre l’Ukraine, nous opterons pour un soutien qui, en plus de notre grand engagement économique et humanitaire, soutient désormais aussi l’Ukraine par la fourniture de matériel militaire et d’armes », a souligné Mme Baerbock.
Pendant des années, la politique allemande a adopté une attitude conciliante à l’égard de la Russie. Sa dépendance aux ressources énergétique délivrées par le Kremlin était inévitablement le ressort des politiques menées au moins depuis les 15 dernières années marquées par le mandat de la chancelière Merkel.
En mettant en œuvre une politique de dégagement de sa dépendance aux ressources énergétiques russes du fait de la guerre en Ukraine, l’Allemagne change aussi de paradigme en matière de défense. L’Allemagne s’est ainsi engagée à investir en permanence plus de 2 % de son produit intérieur brut dans la défense et prévoit de créer un fonds spécial de défense de 100 milliards d’euros pour financer la transition vers une armée plus performante. « Nous allons lancer les augmentations les plus importantes et les plus rapides des dépenses de défense de notre histoire récente », a déclaré le ministre des Finances Christian Lindner la semaine dernière, ajoutant que la question des « capacités de défense passe d’une question marginale à un projet central pour l’avenir. »
Source Euractiv