Jusqu’à ce que le changement climatique ne perturbe l’état de la planète, l’eau était une ressource abondante mais inégalement répartie. La question d’en faire un bien commun fait l’objet depuis des années de nombreux débats mais la question de l’eau sous nos latitudes n’était pas prioritaire. Cependant, avec leurs successions de canicules et de sécheresses, les dix dernières années ont démontré l’importance non seulement vitale mais stratégique de l’eau. L’hiver 2023 que nous venons de traverser va laisser des traces, et d’ores et déjà le niveau des cours d’eau et des nappes phréatiques laisse présager des pénuries graves pour cet été. Le président Macron a donc voulu lui-même présenter le plan de son gouvernement destiné à améliorer la gestion de l’eau. Objectif : répondre à une sérieuse inquiétude : une diminution de 30 à 40% de la ressource en eau dans notre pays à l’horizon 2050.
Une cinquantaine de mesures ont été égrenées par le chef de l’Etat ce jeudi 30 mars sur les rives du lac de Serre-Ponçon, le plus grand réservoir d’eau douce d’Europe de l’Ouest. Première piste évoquée : la réutilisation des eaux usées traitées, actuellement pratiquée pour moins de 1% des volumes en France, contre 8% en Italie, 14% en Espagne et 85% en Israël. L’objectif annoncé par Emmanuel Macron est de passer à 10% des eaux usées réutilisées d’ici 2030. Une perspective qui suscite beaucoup d’enthousiasme, notamment parmi les industriels, mais qui a aussi ses limites. Aux yeux de spécialistes de l’environnement la solution du traitement des eaux usées n’est pas miraculeuse : pertinente dans les zones littorales, elle est en revanche inopportune en zone continentale car les eaux usées traitées sont rejetées dans les milieux naturels, où elles contribuent au cycle de l’eau et à la préservation des écosystèmes. L’exemple de l’Espagne est, à cet égard, très critiqué car des régions entières sont en train de devenir arides.
Autre point-clé du discours présidentiel : la chasse aux fuites d’eau. Dans certaines régions, les canalisations vétustes laissent échapper dans la nature jusqu’à 50 % de l’eau. Un gâchis que le gouvernement entend résorber par l’injection de 180 millions d’euros dans les zones où les fuites sont les plus importantes.
Le point sensible de l’agriculture
Un autre volet était spécialement scruté : la gestion de l’eau pour l’agriculture. Cette dernière est la première consommatrice d’eau via l’irrigation (plus de 2 milliards de m3 par an), pratiquée seulement sur 7% des surfaces cultivées, mais le plus souvent en été, quand la ressource est rare. Premier consommateur d’eau, le secteur agricole représente 58 % de la consommation totale d’eau en France, un chiffre qui passe à 60 % les seuls mois de juin, juillet et août. Plus de 40% des volumes de l’irrigation sont concentrés pour la culture du maïs à grains et semences, 20% pour le blé, 7% pour le fourrage, 7% pour les légumes frais, 6% pour les vergers et 2% pour les vignes. Pour réduire ces consommations, le gouvernement entend inciter, notamment par des aides, les agriculteurs à développer des cultures plus résistantes à la sécheresse et à s’équiper de systèmes d’irrigation plus économes.
Il faut toutefois noter que pendant que le président de la République tenait ces propos vertueux dans les Hautes-Alpes, le ministre de l’Agriculture, Marc Fresneau s’adressait au syndicat majoritaire FNSEA à Angers afin de rassurer les agriculteurs et plus particulièrement les dirigeants de grandes exploitations. « Je suis heureux de l’arbitrage qu’on a, qui est un arbitrage “stabilisation des prélèvements”, donc on ne redemande pas un effort supplémentaire » aux agriculteurs, a déclaré M. Fesneau au dernier jour du congrès de la fédération agricole majoritaire. S’empressant toutefois de brièvement esquisser mezza voce qu’avec le changement climatique, « sans doute on aura besoin de plus de surfaces à irriguer » donc, à prélèvements constants, il faudra consommer moins d’eau à l’hectare, une forme de « sobriété à l’hectare ». On est loin de la refondation du modèle agricole actuel.
La question ultra-sensible du stockage de l’eau a fait l’objet de clarifications de la part du président. Au lendemain des événements violents de Sainte-Soline, qui ont vu les forces de l’ordre mater manu militari des manifestants voulant dénoncer, dans les équipements de « mégabassines », des projets d’ « accaparement d’un bien commun » par une poignée d’exploitations agro-industrielles, le chef de l’Etat a tenu à préciser que ces ouvrages de stockage sont nécessaires mais ne doivent en aucun cas « privatiser l’eau ». Les nouvelles constructions devront répondre à plusieurs critères, selon Emmanuel Macron : être adaptées aux scénarios d’avenir pour faire face aux impacts du changement climatique, contribuer à la préservation de la biodiversité et à d’autres usages locaux et être conditionnées à des changements de pratiques agricoles significatifs d’économies d’eau et de réduction des pesticides. Pour ce qui concerne le changement du modèle agricole, Emmanuel Macron a fait part de sa volonté « de maximiser la capacité de notre principal outil de stockage de l’eau, qui sont nos sols, des sols en meilleure santé avec plus d’arbres, qui stockent mieux l’eau et qui favorisent la recharge des nappes ».
Ces précisions seront-elles suffisantes pour calmer la colère des tenants de l’agriculture paysanne qui se battent pour changer radicalement de modèle agricole ? Rien n’est moins sûr tant le ressentiment est grand.
Inciter à la sobriété
Emmanuel Macron, qui a dit redouter des « situations de grand stress à l’été prochain » dans certaines communes, a annoncé qu' »un plan de sobriété sur l’eau » serait demandé « à chaque secteur » d' »ici l’été ». Appelant à la responsabilisation de chacun, le président a ressorti une mesure qui était déjà une promesse de campagne de François Hollande : elle prévoit une « tarification progressive et responsable de l’eau ». Son but est d’inciter les Français à la sobriété. Ainsi « les premiers mètres cubes seront facturés à un prix modeste, proche du prix coûtant » et « ensuite, au-delà d’un certain niveau, le prix du mètre cube sera plus élevé », a-t-il expliqué. Le remplissage des piscines se fera ainsi au prix fort alors que les besoins élémentaires seront facturés à un prix beaucoup plus faible. Reste que le président n’a donné aucune indication quant aux délais ou aux modalités d’entrée en vigueur de cette tarification. Ni si elle allait concerner, au-delà des ménages, les utilisations industrielles de l’eau. Tout juste a-t-il déclaré : « depuis 2017, nous avons lancé des expérimentations sur cette tarification de l’eau et nous nous souhaitons qu’elle soit généralisée. »
Le président a enfin cité le problème des centrales électriques. Leur refroidissement représente 64% de l’eau prélevée (15,3 milliards de m3), essentiellement utilisée pour les centrales thermiques et nucléaires. Des volumes qui sont ensuite très rapidement restitués à la nature à l’endroit où ils ont été prélevés, mais laisse une quantité relativement significative d’eau effectivement consommée (12%). « On doit adapter nos centrales nucléaires au changement climatique en engageant un vaste programme d’investissements pour faire des économies d’eau et permettre de fonctionner beaucoup plus en circuit fermé », a expliqué le chef de l’Etat, sans toutefois s’avancer dans le chiffrage de telles mesures qui devraient grever encore les comptes d’EDF.
« On aura des difficultés »
Ces mesures suffiront-elles, alors que la situation des nappes phréatiques, en ce moment en France, est des plus inquiétantes ? La conséquence de l’épisode inédit de sécheresse hivernal que notre pays vient de traverser, c’est qu’aujourd’hui 80 % de nos nappes ont un niveau bas ou très bas. Du côté des cours d’eau (ruisseaux, rivières, fleuves…), les indicateurs à la fin février étaient tout aussi préoccupants. Selon les dernières données de février 2023, une majorité des cours d’eau affichait un débit moyen de 40 % seulement par rapport à la normale. Sur plus de 200 points mesurés, le débit moyen pour février 2023 ne dépassait même pas les 20 %.
Semblant lucide face à l’aggravation prévue de la situation, le Président l’assure : « On aura des difficultés. Toutes les crises ne seront pas évitées dès cet été. » Surtout sur certaines communes isolées où l’eau n’a plus coulé au robinet l’été dernier : « On ne peut pas exclure de nouvelles situations de grand stress. » Pour y faire face, le président assure être prêt à sortir le carnet de chèque : 100 millions d’euros en urgence pourront être mobilisés. Un colmatage qui ne pourra demeurer éternellement, la situation obligeant à revoir non seulement la politique de l’eau en France mais aussi et surtout les pratiques gourmandes en eau. Une révolution devenue cruciale pour adapter nos pratiques au climat de demain et considérer l’eau comme un bien précieux, que nous avons jusqu’à présent laissé inconsciemment filer entre nos mains.