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Agriculteurs et écologistes : dialogue de sourds ?
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Agriculteurs et écologistes : dialogue de sourds ?

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Les uns veulent nourrir une planète surpeuplée, les autres la maintenir habitable : entre agriculteurs et écologistes, les positions semblent irréconciliables dans le contexte de l’explosion de colère du monde paysan. Est-ce si vrai ?

Pourtant, l’agriculture française, responsable de 19% des émissions nationales de gaz à effet de serre, est la première victime du changement climatique, qui menace les rendements, grignotés par les sécheresses et les inondations. La question environnementale n’est pas taboue, au contraire, assure le syndicat majoritaire FNSEA. De fait, l’agriculture ne représente plus en France que 3 % de la population active mais elle occupe toujours plus de 50 % du territoire. Pour les agriculteurs, l’intégration de la dimension environnementale est incontournable. Ils ne sont pas seulement les producteurs de denrées agricoles, ils font aussi partie intégrante de la gestion et la protection des ressources territoriales.

Chaque agriculteur serait prêt à supprimer « tous les pesticides » s’il avait « une autre solution », tous planteraient des haies, refuge de biodiversité et barrage contre l’érosion, s’il ne fallait pas franchir une course d’obstacles administrative avec « 14 textes réglementaires », argumente Arnaud Rousseau, président de la FNSEA. « On n’est pas des empoisonneurs ! On demande juste de vivre librement et d’être payé pour notre travail », résumait mardi Thierry Sénéclauze, céréalier dans la Drôme.

L’Europe repoussoir

L’Europe et son Pacte vert, avec sa stratégie de réduction des pesticides, font figure de repoussoir. C’est « le plus petit dénominateur commun » d’un monde paysan aux revendications éparses, sectorielles ou territoriales, relève Pierre-Marie Aubert, de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

De leur côté, les ONG environnementales dénoncent un travail de sape permanent des lobbys agricoles à Bruxelles, Greenpeace soulignant que les normes environnementales « sont mises en place pour assurer la viabilité de notre système alimentaire et ainsi la survie des agriculteurs ».

Sur les pesticides, « ils (les syndicats majoritaires) veulent des évaluations du risque plus rapides, plus light, pour pouvoir amener des nouveaux pesticides sur le marché. On est exactement dans la demande inverse« , souligne François Veillerette, porte-parole de l’ONG Générations Futures. « On est face à un monde agricole qui est complètement désemparé parce qu’on fait reposer sur lui l’urgence et la nécessité du changement, alors que la question est au moins autant industrielle et sociétale qu’agricole« , estime Pierre-Marie Aubert.

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Trois points sont particulièrement urticants pour la FNSEA :

– le Pacte vert européen et sa « trajectoire de décroissance de l’ordre de 15% » (de la production agricole), et le refus de Bruxelles de prolonger en 2024 la dérogation permettant de mettre en culture les terres en jachère (environ 4% des terres arables) alors que « la tension alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine se poursuit ».

– l’imposition de contraintes environnementales par une Europe négociant des traités de libre-échange qui promettent de nouvelles importations de produits moins chers et moins-disants au plan environnemental (viande et soja sud-américains avec le Mercosur).

– la diminution de produits phytosanitaires disponibles alors que les alternatives ne sont pas encore là, précipitant les producteurs « dans une impasse qui conduit à importer plus et à détruire l’agriculture française », selon Arnaud Rousseau.

Les céréaliers en particulier rejettent d’emblée le plan gouvernemental Ecophyto, qui vise à réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici 2030 (par rapport à 2015-2017), estimant avoir déjà réduit leurs usages « de 46% en 20 ans ».

Des arguments insoutenables pour Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace, qui estime que seules des mesures environnementales permettront « d’assurer la résilience de l’agriculture à long terme » en enrayant un « effondrement de la biodiversité et l’appauvrissement des sols » liés aux pratiques de l’agro-industrie intensive depuis l’après-guerre.

« Fracture »

Le chercheur Pierre-Marie Aubert souligne un paradoxe dans le rejet du Pacte vert européen qui « n’a eu en fait aucune incidence ». « Il y avait 27 projets de réformes, de réécriture ou de nouveaux textes dans la déclinaison agricole du Green deal : 8 textes ont été publiés sous la forme de communication de la Commission à l’adresse du Parlement et du Conseil, ce qui n’engage à rien ; il y a eu une révision de la réglementation sur les produits phytopharmaceutiques pour faciliter les préparations naturelles peu préoccupantes comme les purins d’ortie, ce qui n’est pas structurant ; tout le reste n’a pas abouti », détaille-t-il.

La question de la « réduction de la production » est selon lui un point de blocage « parce qu’une majorité du monde agricole veut croire que le système actuel va faire le job par rapport aux défis qu’on a devant nous : adaptation au changement climatique, compétitivité des filières, renouvellement des générations… ».

« La fracture tient notamment à cela : plus on met de la biodiversité dans les champs, plus on augmente les contraintes de production« , dit-il, estimant que l’Europe doit mieux prendre en compte les difficultés de la transition et la question de la viabilité économique pour les agriculteurs.

Seuil de pauvreté

Car c’est là le fond du problème. L’enjeu de la colère paysanne actuelle n’est pas tant la transition écologique que le manque de revenus. Le site Reporterre cite les propos de la députée Aurélie Trouvé : « Ce ne sont pas tant les normes environnementales ou sanitaires qui sont dénoncées que le sentiment qu’il y a de plus en plus de normes alors même que les agriculteurs n’arrivent pas à vivre de leur travail », « on leur demande plus d’efforts mais on ne les protège pas des importations de produits qui ne respectent pas ces normes, on ne leur garantit pas des prix qui leur permettent de vivre correctement et de s’engager dans la bifurcation écologique ». À l’automne dernier, le gouvernement a ainsi refusé de financer l’agroécologie et il a balayé les 600 millions d’euros d’aides supplémentaires demandées en soutien à l’agriculture bio.

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Résultat : les agriculteurs ne s’en sortent plus — selon l’Insee, 18% d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté — et leur mouvement de colère est un mouvement de survie. Le syndicat Confédération paysanne, qui a été reçu ce 23 janvier par le Premier ministre Gabriel Attal, appelle à ne pas opposer rémunération et écologie. « Moins de normes, c’est aussi plus de libéralisation, moins de protection sociale, économique et donc moins de revenu ! » fait valoir le syndicat. Julien Tallec, porte-parole du comité breton de la Confédération paysanne explique que « le fond du problème repose sur ce système défendu par le modèle agricole dominant, qui encourage une production tournée vers l’export pour nourrir à bas prix, tout en polluant… »

Il y a ainsi un détournement des véritables raisons des difficultés des agriculteurs : pour ne pas remettre en cause le système économique productiviste et ultralibéral défendu par les politiques des gouvernements successifs, auxquels les syndicats agricoles majoritaires comme la FNSEA ont toujours été associés, d’autres responsables sont désignés. L’écologie faisant ainsi figure de parfait bouc émissaire.

Un pansement sur une jambe de bois

Face au mécontentement, le gouvernement a dit ce mercredi 24 janvier avoir « entendu l’appel » des agriculteurs. L’exécutif fera des annonces « dans les jours à venir », a indiqué la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot, assurant qu’il n’était « pas question de venir empêcher » les blocages routiers. Elle a évoqué des pistes à l’étude sur la fiscalité du gazole non routier (GNR) et « les avances de trésorerie ».  Gabriel Attal « s’est engagé à se rendre très rapidement sur le terrain », a-t-elle ajouté. Ce dernier avait dit mardi plancher sur la rémunération des agriculteurs par les industriels et les grandes surfaces, ainsi que sur une simplification administrative.

Autant de pansements sur une jambe de bois car la vraie question n’est pas effleurée : celle de l’évolution de l’ensemble du modèle agricole, avec en point central, une réorientation de la PAC qui répartirait autrement les aides, privilégiant l’actif agricole humain en valorisant l’ensembles des services rendus par l’agriculteur plutôt que le nombre d’hectares et les rendements économiques.

Alors que les autres grands pays agricoles européens connaissent des mouvements similaires, la Commission européenne réunira jeudi organisations agricoles, secteur agroalimentaire, ONG et experts.
Avec AFP

Pour aller plus loin

  • Livre Qui va nous nourrir ?, de Amélie Poinssot – Coédition éditions Actes sud/Solin, 7 février 2024
  • Livre « L’histoire aberrante de l’alimentation« , de Mark Bittman – Editions Actes sud, 3 janvier 2024

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