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Manger sain et durable : entraves des lobbies et défaillances des politiques publiques

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La France s’est dotée d’un plan ambitieux pour la santé : le Plan National Nutrition Santé (PNNS), ainsi que de nombreux plans concernant l’agriculture sous l’égide du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Et pourtant, faute d’induire des changements de comportement suffisants, les pratiques alimentaires des Français restent désastreusement éloignées des recommandations du PNNS. A partir de six exemples, nous analysons les causes de cet échec, en montrant les défaillances des politiques publiques qui n’accompagnent pas correctement les bons choix de consommation ainsi que le verrouillage dus aux lobbies qui ont intérêt à semer le doute et la confusion chez le consommateur.

Le Plan National Nutrition Santé n’induit pas des changements de comportements suffisants

Le PNNS4 (2029-2024) élaboré sous la tutelle du ministère de la Santé et de la Prévention incite à consommer plus de fruits et légumes, légumineuses et produits issus de l’agriculture biologique (AB), ainsi qu’à réduire la consommation de viande (excepté le poulet), et de produits ultra-transformés. Les scénarios de l’Ademe (sous la tutelle des ministères de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires), en phase eux aussi avec la littérature scientifique, soulignent la nécessité de consommer moins de produits animaux pour respecter les engagements de la Stratégie Nationale Bas Carbone.

Cependant :

Pourtant, le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire (MASA) a mis en place plusieurs politiques qui devraient entrainer le consommateur dans la bonne voie. Il s’agit du plan Ambition bio en 2018, de la stratégie nationale pour les protéines végétales (2018) et plus récemment, de la Stratégie nationale pour l’alimentation, La nutrition et le climat (SNANC, avril 2023) et du Plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes (mai 2023). Les raisons de ces écarts qui interrogent sont nombreuses.

Consommation trop importante de viandes à cause des lobbies et de l’incohérence des politiques publiques

La consommation excessive de viande va à l’encontre des engagements pour diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre (SNBC) et d’azote (Farm to fork). Mais les lobbies de la viande sèment le doute sur la nécessité de cette baisse, par exemple en dévoyant le concept de régime flexitarien. Le syndicat agricole majoritaire a même voté contre cette mesure lors de l’instruction de la SNANC. La croissance des importations de viande de bœuf, dont la consommation baisse moins vite que la production, et de poulet dont la consommation explose et nécessite maintenant d’importer 40% de notre consommation justifie la colère des agriculteurs. Cette croissance est surtout à l’initiative de la restauration hors domicile (RHD) et des industries agroalimentaires qui s’approvisionnent à plus de 50% par des produits importés pour la viande de bœuf et les produits laitiers (beurre et fromage). Enfin, les accords commerciaux en cours inquiètent les éleveurs car ils laissent la porte ouverte à des importations de viande depuis des pays aux standards plus bas alors qu’aujourd’hui les conditions de production pèsent peu, l’essentiel venant des pays européens. Malheureusement les politiques publiques n’ont pas mis en place de système de traçabilité qui pourrait informer le consommateur.

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Dans ce contexte, on ne peut que regretter l’absence de message clair du MASA pour réduire notre consommation de produits animaux en cohérence avec le PNNS : le rapport de la Cour des comptes qui suggère de réduire la consommation de viande pour les plus gros mangeurs est vivement critiqué, les députés ayant tardé à voter la fin de l’expérimentation du repas végétarien hebdomadaire et pour les cantines gérées par l’Etat seule une option végétarienne est retenue.

Trop de produits ultra transformés à cause des lobbies et de demi-mesures

En cohérence avec les avancées scientifiques, les politiques publiques ont mis en avant le Nutriscore qui incite en effet à consommer des produits moins salés, moins gras et moins sucrés. Cependant, le Nutriscore ne tient pas compte à ce jour du degré de transformation des aliments. Les traitements physiques ou chimiques dénaturant les matières premières ou leur ajoutant des additifs ont des effets néfastes sur la santé qui sont maintenant démontrés. Cette information partielle :

  • Est un moindre mal pour certains industriels qui ont modifié la formulation de leur produit pour obtenir une meilleure note. Mais cela conduit parfois à un aliment ultra-transformé. Les réflexions en cours pour en tenir compte risquent de subir des assauts encore plus grands que ceux ayant eu lieu pour le Nutriscore.
  • Crée de la confusion chez le consommateur qui est souvent déjà alerté sur la nocivité de ce type d’aliment mais ne peut se fier à un logo qui ne permet pas de les reconnaître.

Stagnation du bio du fait de signaux contradictoires

La forte croissance de la surface cultivée observée depuis 2014 a commencé à fléchir en 2020. Des raisons économiques comme l’inflation sont invoquées mais le récent label Haute Valeur Environnementale (HVE) a été perçu comme concurrent légitime alors que le cahier des charges est bien moins exigeant pour les pesticides et le bien-être animal qu’il ne l’est pour la bio. En outre, ce label d’état est éligible aux écorégimes et le différentiel d’aide entre HVE et AB n’est que de 30€/ha. Or le montant global des aides étant fixe, ce choix politique a réduit le montant des aides affectées à l’AB.

D’autres décisions comme l’absence de mention de l’AB dans le Plan de souveraineté pour la filière fruits et légumes ne vont pas non plus dans le bon sens. En effet, les seuls ajustements à la marge de l’utilisation des pesticides sont insuffisants car les fruits et légumes cultivés en conventionnel nous exposent le plus aux résidus de pesticides.

Récemment, trois décisions constituent des freins au développement de l’AB : le glyphosate a été ré-autorisé pour 10 ans, et le parlement européen ainsi que la FNSEA se sont opposés à des textes visant la réduction des pesticides.

Ces tergiversations et divergences qui noient le poisson entretiennent le doute chez le consommateur sur le bien-fondé d’une agriculture sans pesticides.

Pas assez de légumineuses car un message confus

Le nouveau plan « protéines végétales » vise tout autant à augmenter l’autonomie protéique des élevages qu’à accroître notre consommation de légumineuses. Il risque cependant d’avoir peu d’effet pour une alimentation saine et durable comme d’autres par le passé, parce que c’est leur utilisation pour l’alimentation animale qui a été privilégiée par rapport à l’alimentation humaine. D’autre part, le risque est grand de substituer au soja américain des protéines françaises ce qui conduira à intensifier les céréales ou à en réduire les exportations ; deux choix non compatibles avec les objectifs environnementaux et économiques.

De plus, il n’y a pas de lobby fort pour promouvoir des légumineuses malgré les atouts qu’elles présentent pour notre santé, à la différence de ce qui existe pour la viande, les produits ultra transformés et les pesticides.

Des demi-mesures concernant les fruits et légumes

Le plan souveraineté pour ces filières vise la réduction des importations. Il ne mentionne pas en revanche qu’il faudrait aussi et surtout, eu égard à notre santé, augmenter la consommation en quantité et en diversité : il en faudrait 25 différents par semaine de façon à ingérer une large gamme de polyphénols d’intérêt pour la santé. Personne ne communique cette donnée et le plan est bien en deçà de ce qu’il conviendrait de conseiller d’après la science.

L’étrange paradoxe des fruits à coque 

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Le PNNS recommande de consommer une poignée de fruits à coque par jour (noix, noisettes, amandes….), soit environ 7kg/an. Or les noix sont l’exemple même du fruit emblématique de qualité produit en France : 17000t en poids décortiqué, auquel il faut soustraire 1000 t exportées en net. La production locale est donc là assurée. Mais la consommation ne correspond qu’à 260g/an/adulte, à comparer au 2,5 kg/an qui seraient nécessaires si on estime à un tiers la part des noix dans les fruits à coque recommandés.

Or, en 2022, les prix ont même chuté, du fait de bons rendements, au point que les agriculteurs, qui ne disposent pas d’un lobby fort comme les éleveurs, ont arraché symboliquement un noyer pour alerter le MASA ! Étrange paradoxe que rien ne soit fait pour (re)lancer la consommation des noix et soutenir nos agriculteurs alors qu’on tient là un aliment-santé idéal facilement disponible et produit localement.

Pour des politiques fortes et cohérentes

Si l’alimentation actuelle n’est encore ni saine ni durable, on ne peut incriminer le seul comportement fautif des consommateurs. Leurs choix inadaptés sont surtout le résultat d’une information pas assez mise à jour ou biaisée par les lobbies et pas assez rectifiées par des politiques inappropriées. Il importe donc :

  • De renforcer la cohérence, voire de la créer, entre les politiques des ministères de l’agriculture, de la santé et de la transition écologique et de l’économie. C’est particulièrement vrai pour les plans « par problème » du MASA qui passent à côté des véritables enjeux ;
  • De développer des politiques fortes et claires non soumises aux lobbies pour ce que nous surproduisons et surconsommons : viande, aliments ultra-transformés, aliments contenant trop de résidus de pesticides. Les argumentaires partiels dont usent les lobbies génèrent de fausses controverses, finissant par semer le doute chez le consommateur. L’État ne joue donc pas son rôle d’arbitre en ne mettant pas en place des mesures ad hoc telles des scores nutritionnels et environnementaux pertinents, des taxes sur les pesticides ou des réductions TVA sur les légumes… 

L’Etat devrait aussi rétablir la balance en accentuant son soutien lorsque font défaut les lobbies qui soutiendraient les aliments-santé que nous produisons et consommons insuffisamment : fruits à coque, fruits et légumes, légumineuses. Avec les acteurs privés, il devrait aussi mettre en œuvre les modifications nécessaires dans les environnements alimentaires (grande distribution, entreprises…) afin de rendre les pratiques vertueuses faciles. Faute de politiques fortes, les coûts cachés de l’alimentation pour l’environnement et la santé, qui équivalent au prix de la nourriture en Europe, risquent encore de grimper !

Michel Duru, directeur de recherche, actuellement chargé de mission à INRAE

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