La crise du lait mobilise les éleveurs contre les géants de l’industrie laitière. Le secteur est en difficulté un peu partout dans le monde. Les américains en venant même, en plein pays du libéralisme, à faire acheter par l’État des millions de litres de lait pour le transformer en fromages à distribuer aux plus démunis. C’est dans ce contexte tendu qu’une société de Berkeley annonce pouvoir fabriquer du lait sans lait. Un produit ayant strictement les mêmes qualités que le lait de vache, mais produit à partir de levures.
La nouvelle alternative laitière, présentée par la startup Perfect Day basée à Berkeley aux États-Unis, prétend produire des protéines de lait mais sans avoir besoin des vaches. Selon les chercheurs à la tête de cette découverte, leur produit a exactement le même aspect et le même goût que des produits laitiers réels, mais sans que des animaux soient impliqués dans leur fabrication.
Depuis longtemps déjà on sait fabriquer des produits laitiers sans lait, avec différents types d’ingrédients comme des fèves de soja, des amandes ou du riz. Cela fait le bonheur des végétariens et adeptes du régime vegan mais les produits n’ont rien à voir avec du vrai lait.
L’invention que propose Perfect Day est du vrai lait, fabriqué à partir de protéines de lait. Mais au lieu d’être produites par des vaches, ces protéines sont produites par de la levure.
Le lait Perfect Day est prévu pour un lancement commercial d’ici la fin 2017
La société productrice de ce nouveau lait affirme que son lait présente les mêmes qualités nutritionnelles, le même goût que du lait réel. Ses dirigeants soulignent que leur lait est respectueux de l’environnement puisque son empreinte carbone est 84 % moins forte que celle du lait classique. Les fondateurs de la société annoncent aussi que leur lait leur permettra de produire toute une ligne de fromages et yaourts dès l’année prochaine.
Alors comment peut-on fabriquer du lait sans lait ? Quel est le secret de fabrication de cette innovation ?
Perfect Day fait partie de cette nouvelle génération d’entreprises évoluant dans le secteur de l’ « agriculture cellulaire ». Les scientifiques de la startup partent d’une levure alimentaire à laquelle ils ajoutent quelques séquences d’ADN. Ces séquences, qui peuvent être imprimées en 3D en utilisant les techniques de biologie synthétique, instruisent la levure pour produire de la caséine, la protéine principale présente dans le lait. En réalité, le laboratoire produit quatre caséines différentes agrégées dans une micelle. La levure modifiée produit aussi deux autres protéines que l’on retrouve en abondance dans le lactosérum du lait de vache : la lactoglobuline et la lactalbumine.
Les levures sont introduites dans des cuves de fermentation dans lesquelles on rajoute du sucre de maïs et d’autres nutriments. Les microbes se mettent alors au travail dans cette bio-rafinerie, exactement selon le mème processus que celui de la fabrication de la bière par exemple.
Une fois cette phase de fermentation terminée, les scientifiques récoltent les protéines par un procédé mécanique et y ajoutent de l’eau, des minéraux et des graisses et sucres issus des plantes. Vous avez obtenu ainsi du lait de vache, sans vache.
Les responsables précisent que le sucre ajouté est du galactose issu de végétaux et non du lactose, ce qui permet à leur produit de résoudre les questions de tolérance au lactose que l’on retrouve assez abondamment dans la population.
Le lait produit par Perfect Day, même s’il ressemble par de multiples propriétés à du vrai lait, est un produit non naturel, pour ne pas dire parfaitement synthétique. Les fondateurs de la société s’en défendent en déplaçant la question sur un autre registre pour expliquer que leur lait est au contraire une solution aux problèmes de l’environnement. L’un des fondateurs de la société, Ryan Pandya, souligne que le processus de fabrication de son produit se veut totalement transparent aussi bien sur les registres environnementaux qu’éthiques. Il fait observer que le lait ainsi produit est beaucoup plus respectueux de l’environnement. Son empreinte carbone est incomparable par rapport à du lait de vache ; comme l’est son besoin en eau.
Ryan Pandya se sent aussi assez à l’aise sur la question des OGM. La levure qui sert à produire son lait est certes modifiée génétiquement. Mais elle ne se retrouve pas dans la protéine produite. Pour lui, son produit est parfaitement non-OGM. A ce titre il n’est pas soumis, aux USA, à l’obligation d’étiquetage des produits OGM que le Président Obama vient de signer. Il tient toutefois à affirmer une position éthique par rapport à sa production. Pour lui, il n’est pas question de cacher quoi que ce soit au consommateur sur le produit. Il s’agit d’un lait différent, qui possède les mêmes caractéristiques que le lait de vache, mais il n’y a aucune raison de le cacher. Au contraire, Ryan Pandya souhaite affirmer son originalité : « Nous voulons créer un produit laitier nouveau. Nous ne voulons pas que les gens découvrent ce produit parce qu’il a été introduit de manière cachée dans une barre de chocolat. Nous voulons être franc à ce sujet. Nous voulons que les gens achètent nos produits délibérément parce qu’ils sont faits de manière différente et non en dépit du fait qu’ils sont faits de manière différente ».
Les co-fondateurs de Perfect Day, Perumal Gandhi (à gauche) et Ryan Pandya
La communication des fondateurs de Perfect Day sur leur produit n’est pas aisée. En effet, ils ne peuvent et ne veulent pas dire que leur produit est « synthétique » ; ils craignent l’étiquette de FrankenMIlk que l’on pourrait associer à leur lait. En revanche, ils savent aussi que leur innovation pourra séduire tous ceux qui veulent s’éloigner de la consommation de produits animaux. Ils pensent pouvoir aussi séduire les défenseurs du développement durable, intéressés par les performances environnementales de leur produit. Selon des informations confiées par la startup à FastCompany, « Les premières données suggèrent que le processus fabrication de lait sans animaux pourrait utiliser 98 % d’ eau en moins et 91% en moins de terres, et pourrait émettre 84 pour cent en moins de carbone par rapport à la production laitière traditionnelle ».
Il n’en demeure pas moins qu’une question subsiste : pourquoi ? Quel est l’intérêt de reproduire du lait de vache sans vache ? Il est actuellement impossible de prédire si le lait de Perfect Day aura les mêmes effets sur le métabolisme que le lait naturel. Les protéines générées par l’agriculture cellulaire sont certainement des reproductions fidèles, des prouesses de la technologie, mais il leur manquera toujours leur dimension « naturelle ». Ce ne sont que des ersatz. On entrevoit déjà certaines productions de la biologie synthétique, copies quasi parfaites des originaux naturels mais qui laissent de côté un détail infime : la relation qu’entretient la cellule avec son environnement et qui fait toute sa spécificité. Ce petit détail, impossible à reproduire en biologie de synthèse, fait toute la différence et change la façon d’ont l’organisme réagit par rapport au produit.
Cependant, ces prouesses technologiques sont abondamment encouragées parce qu’elles peuvent bousculer radicalement les marchés. La société Perfect Day n’a pas échappé à cette logique business, financée généreusement par plusieurs fonds d’investissements comme le fonds Horizon Ventures ou le milliardaire végétalien Li Ka-Shing. Il faut dire que le marché des produits laitiers représente des milliards et suscite des convoitises et des stratégies de croissance parfois aventureuses.
La petite société inventrice du lait sans vache promet que, en phase industrielle, son lait reviendra moins cher que le lait naturel. Il est donc normal qu’elle intéresse déjà les trois plus grandes compagnies mondiales de l’industrie laitière. Y voient-elles un moyen de se débarrasser du facteur encombrant et souvent ingérable de leur modèle d’affaires, le facteur humain ? Le bras de fer que l’on observe en France entre les producteurs de lait et un géant comme Lactalis ne trouve-t-il pas une de ses inspirations dans ces nouveaux modèles qui se profilent à l’horizon ? Les industriels n’y voient que des avantages alors que, pour les producteurs, ce pourrait être le signe de la fin.
Image d’en-tête : AFP/JEAN-PIERRE MULLER
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