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Tribunal Monsanto
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Le monde selon les anti-Monsanto

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« Le procès qui s’ouvre aujourd’hui est fictif mais le droit lui, est bien réel ! » Corinne Lepage qui ouvre les deux jours du Tribunal Monsanto, ces 15 et 16 octobre à La Haye,  indique la portée de l’exercice juridique. « Poser des questions en droit car celui ci est insuffisant pour répondre aux atteintes écologiques, sanitaires et économiques que subissent trop de peuples dans le monde ». Tout aussi réels et compétents, interviendront les cinq juges qui ont accepté de recueillir les plaintes de trente victimes de la multinationale aujourd’hui vendue à Bayer : il s’agit d’Eleonore Lamm, Argentine, directrice des droits humains à la Cour suprême de justice de Mendoza, du canadien Steven Shrybman qui fait partie de l’Institut pour l’agriculture et la politique des marchés (IATP), le mexicain Jorge Abraham Fernandez Souza, la sénégalaise Dior Fall Sow et Françoise Tulkens, spécialiste belge du droit criminel. L’implication des acteurs n’est pas une plaisanterie comme le souligne la lettre de réponse du Comité d’organisation en réponse à la lettre ouverte envoyée par Monsanto qui n’entend pas prendre au sérieux cette initiative.

Une fronde de gens qui se sentent floués

Pourtant, la mobilisation a pris de l’ampleur depuis la parution en 2008, du film de Marie-Monique Robin, marraine de la manifestation. Des réseaux différents font cause commune, des leviers sont actionnés à un niveau politique, des témoignages du sud bouleversent les acteurs du nord. Ainsi René Lehnherr, issu de la Coopérative européenne Longo Maï est un de ceux qui ont conçu l’idée d’un Tribunal Monsanto :« Quand j’ai su ce qui s’est passé en Colombie, où les paysans ont été contraints par leur propre gouvernement de remplacer leurs semences par les OGM de Monsanto, je me suis dit qu’on ne pouvait pas laisser faire cette dépossession »
 
Un militant à La Haye ce 15 octobre 2016 ©Dorothée Browaeys – UP’magazine
 
Les alarmes se multiplient comme au Burkina Faso où les semences de coton OGM de Monsanto – vendues 18 fois plus chères que les graines traditionnelles – se sont avérées être néfastes car générant du coton de piètre qualité. Un échec qui a conduit au désastre de nombreux cultivateurs au point que le pays a décidé de refuser désormais tout produit du géant de St Louis (Missouri). Le gouvernement demande réparation au semencier et a annoncé hier le bannissement de la multinationale.
 
Et le Nigerian Nnimmo Bassez d’ajouter : « Cela n’empêche pas mon  pays d’autoriser la commercialisation du même coton résistant aux pestes et à permettre des essais sur un maïs OGM ». Le documentaire intitulé « OGM, mensonges et vérités » de Frédéric Castaignède – diffusé le 5 octobre dernier sur Arte – aggrave les constats. Les OGM n’ont pas été au rendez-vous des promesses : les rendements ne sont pas miraculeux et les résistances des insectes ou aux herbicides se sont propagées.

La référence au crime d’écocide

Mais l’armature de l’initiative est à chercher du côté des juristes.  On a vu durant l’année 2003 se déployer la campagne End ecocide on earth inspirée des démarches de Polly Higgins. En 2014,  35 experts réunis à Bruxelles ont proposé un amendement au statut de Rome qui régit la Cour pénale internationale pour lui ajouter le traitement non plus seulement des crimes de guerre, de génocide, contre l’humanité ou crime d’agressivité mais celui d’écocide.
 
Le terme d’écocide a été défini selon 17 articles, en référence aux principes directeurs des Nations Unies qui énoncent que les entreprises doivent respecter l’ensemble des droits humains, comme le droit à la vie, à l’alimentation, à la santé et à un environnement sain. Pour Valérie Cabanes, juriste en droit international et porte-parole du mouvement End Ecocide on Earth, « nous devons démontrer que le droit n’est pas assez outillé pour protéger l’habitabilité de la terre ; aujourd’hui les plaintes ne peuvent être traitées ». Celle-ci vient de publier Un nouveau droit pour la terre (Le Seuil), livre plaidoyer pour de nouvelles formes de responsabilité et de solidarité.
La militante sait qu’il faut passer par le droit pénal pour que les entreprises répondent de leurs actes. Valérie Cabanes s’enthousiasme de la décision de Fatou Bensouda, Procureure générale de la Cour Pénale Internationale (TPI) de La Haye qui, le 15 septembre dernier, a décidé d’élargir son interprétation du crime contre l’humanité à des cas d’atteintes graves à l’environnement.
Là encore, ce nouveau cap ne surgit pas par hasard. La procureure gambienne a été saisie du cas de paysans cambodgiens spoliés de leurs terres par des achats d’entreprises avec la complicité de l’Etat. C’est l’association Global Witness qui a déposé plainte en 1995 à ce sujet. Aujourd’hui, un Cambodgien sur dix a été forcé à se déplacer, suite à l’accaparement des terres. « Il suffit d’un procès qui soit mené jusqu’au bout pour lancer un cadre contraignant » insiste Valérie Cabanes.
C’est ce qui se passe dans le domaine climatique, depuis qu’en juin 2015, un juge des Pays-Bas s’est déclaré compétent pour exiger le respect des recommandations du GIEC. Depuis les affaires pleuvent à Lahore (Pakistan) ou aux Etats-Unis.

Attention aux mots

On le comprend, ces nouvelles considérations obligent à une révolution dans nos rapports au monde vivant. Et l’on découvre que tous les mots concernant les usages des organismes vivants sont piégés. Comme si le Pangloss de Voltaire gardait sa petite ritournelle en nous. Non, nous ne sommes pas les détenteurs de biens naturels, ni de biens communs. « Mieux vaut parler de Communs planétaires » considère Valérie Cabanes. De même, le terme de Services écosystémiques est très anthropocentré ! La juriste propose de parler de cycles écologiques.
 
La coalition est donc « armée » juridiquement avec un soutien de taille, celui d’Olivier de Schutter, juriste belge qui a assuré le mandat de rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme à l’ONU. Ce dernier a préparé – avec ses étudiants basés à Louvain, Yale et Bordeaux – les mémos juridiques en lien avec Emilie Gaillard, spécialiste du droit des générations futures.

La sécurité alimentaire en question

Dans les couloirs, les participants discutent de l’acquisition toute récente de Monsanto par Bayer donnant au paysage des semences le spectacle de trois mastodontes ( ChemChina-Syngenta/ Dupont- Pioneer HiBred / Bayer-Monsanto) maîtrisant 50% de l’alimentation mondiale. Certains, comme l’ex-députée allemande Renate Künast, évoquent les démarches de députés européens qui ont envoyé une lettre ouverte à la Commission européenne pour examiner les règles de la concurrence. « De toute façon l’achat de Monsato par Bayer devra recevoir l’aval des autorités anti-trust ».
 
Aujourd’hui, Monsanto provisionne des sommes faramineuses pour faire face à des sanctions au civil. Ces condamnations sont peu connues… Le Tribunal amorce un bras de fer, en situation quasiment de guerre idéologique sur les modèles agricoles du futur. Ce n’est sans doute pas un hasard si le précédent Tribunal de ce type ait été le Tribunal Russel conçu pour mobiliser l’opinion publique sur l’impunité de l’Etat d’Israël et les atteintes aux droits de l’Homme.
Dans le film de Marie-Monique Robin Le Monde selon Monsanto, il était question des revolving doors, montrant le caractère systémique des complicités. Avec le Tribunal, commence l’exploration d’une autre cohérence. Sachant que, comme le souligne Christine Noiville, présidente du Haut Conseil aux biotechnologies, « le débat est très émotionnel mais pas pour autant irrationnel !
 
 

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