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Le Washington Post muselé par Jeff Bezos : la presse américaine aux ordres de Trump et de ses oligarques

Le Washington Post muselé par Jeff Bezos : la presse américaine aux ordres de Trump et de ses oligarques

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L’annonce fracassante de Jeff Bezos, fondateur d’Amazon et propriétaire du Washington Post depuis son rachat en 2013 pour 250 millions de dollars, a fait l’effet d’un séisme dans le monde du journalisme. L’homme d’affaires a décidé de restreindre les opinions publiées dans la rubrique d’opinion du journal à celles favorisant les « libertés individuelles » et le « libre marché ». Cette orientation éditoriale exclut désormais les tribunes s’opposant à ces principes, ce qui a immédiatement conduit à la démission du responsable de la section, David Shipley. Le trumpisme est-il en train de mettre la grande presse américaine à ses ordres ?

Un virage idéologique radical

Si les propriétaires de médias influencent souvent les lignes éditoriales, la décision de Bezos va bien au-delà de la norme. En France, des cas similaires ont été observés, notamment avec Vincent Bolloré, dont l’influence sur les lignes éditoriales de CNews et Europe 1 a été maintes fois critiquée, ou encore Bernard Arnault, propriétaire du groupe Les Échos-Le Parisien, dont certaines décisions ont soulevé des débats sur l’indépendance des rédactions. Contrairement à ses engagements précédents en faveur d’une presse indépendante, Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, l’un des hommes les plus riches du monde, impose une vision unilatérale et orientée à droite, en phase avec ses propres intérêts commerciaux et ses nouveaux liens avec Donald Trump. En effet, il s’était opposé à Trump lors de son premier mandat sur des contrats de défense, mais son récent rapprochement avec le Républicain laisse entendre un calcul stratégique.

La conséquence directe de cette nouvelle politique éditoriale a été le départ de plusieurs figures emblématiques du journal. Outre David Shipley, Ann Telnaes, caricaturiste primée, a démissionné après le rejet d’un dessin critiquant Bezos et sa relation avec Trump. Ce climat de tension soulève des interrogations sur l’avenir du quotidien et sur l’intégrité journalistique du Washington Post.

Une atteinte à l’indépendance journalistique

Le changement de cap du Washington Post ne se limite pas à la section opinion, qui regroupe les tribunes et éditoriaux exprimant diverses perspectives sur l’actualité. En décidant d’en restreindre l’accès aux seules opinions alignées sur sa vision des libertés individuelles et du libre marché, Bezos transforme cette section en un outil de promotion idéologique, excluant ainsi les voix critiques et pluralistes. Avant l’élection présidentielle de novembre 2024, Bezos avait déjà empêché la publication d’un éditorial appelant à voter pour la candidate démocrate Kamala Harris, une pratique pourtant courante aux États-Unis. L’intervention directe d’un propriétaire dans les choix éditoriaux remet en question la liberté de la presse et la mission du journal. Jeff Stein, responsable des pages économiques du Washington Post, a dénoncé « un empiétement massif » de Bezos dans la section opinion. Il a toutefois affirmé que cette ingérence ne s’étendait pas encore aux articles d’information, mais a prévenu que si tel était le cas, il démissionnerait immédiatement.

Une menace pour la démocratie américaine ?

L’indépendance des médias est un pilier fondamental de la démocratie. Historiquement, le Washington Post a joué un rôle crucial dans des affaires comme le Watergate et les Pentagon Papers. La réduction de la diversité des opinions publiées constitue donc une rupture avec l’héritage du journal et une menace pour la pluralité de l’information.

Le virage conservateur du Washington Post pourrait aussi affecter sa stabilité financière. Le journal avait déjà perdu 300 000 abonnés après l’interdiction de l’éditorial pro-Harris. Cette nouvelle politique éditoriale risque d’accélérer la désertion de lecteurs attachés à une information équilibrée et critique.

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Une presse à la merci des oligarques

La concentration des médias entre les mains de quelques milliardaires inquiète de nombreux observateurs. Bernie Sanders a dénoncé « la détention oligarchique des médias », soulignant qu’un seul homme peut déterminer l’orientation d’un journal influent comme le Washington Post. Ce contrôle posera inévitablement la question de la régulation de la presse et de la liberté d’information. Sous l’administration Trump, plusieurs cas d’interventions contre les médias ont été documentés. En 2018, la Maison-Blanche avait temporairement retiré l’accréditation du journaliste Jim Acosta de CNN après une confrontation avec le président. Trump a également qualifié les médias comme le New York Times et CNN d’« ennemis du peuple », attisant la méfiance du public envers la presse. Son administration a tenté de bloquer la fusion entre AT&T et Time Warner, propriétaire de CNN, dans ce qui a été perçu comme une tentative de pression politique. Plus récemment, des médias critiques de Trump ont vu leurs journalistes exclus de certains événements, comme récemment avec l’agence Associated Press (AP), dont les journalistes sont exclus de la salle de presse de la Maison-Blanche après avoir refusé de débaptiser le Golfe du Mexique dans leurs articles. Des caprices de Trump qui se traduisent en attaques déconcertantes contre la liberté de la presse.

Alors que des personnalités comme Elon Musk applaudissent la décision de Bezos, les réactions négatives affluent du côté des journalistes et du public. Martin Baron, ancien rédacteur en chef du Washington Post, a exprimé son « dégoût » face à cette décision, rappelant que Bezos défendait auparavant la liberté de la presse face à Trump.

Quel avenir pour le Washington Post ?

En se transformant en outil politique et économique à son service, Jeff Bezos sacrifie la réputation et l’indépendance du Washington Post. La fuite des talents, la désaffection des abonnés et la perte de crédibilité risquent de fragiliser l’avenir du journal. Reste à voir si les journalistes en place résisteront à cette pression et si le public américain continuera de faire confiance à un média autrefois réputé pour son indépendance.

Le Washington Post était historiquement une vigie de la démocratie. Sera-t-il demain un simple instrument au service d’un oligarque, vassal d’un Président omnipotent ? Seul l’avenir le dira. Cependant, la nouvelle présidence de Trump accentue déjà les tensions entre le pouvoir exécutif et les médias. En s’attaquant régulièrement aux journalistes, en excluant des organes de presse critiques de ses événements et en promouvant des médias favorables à sa ligne politique, Trump fragilise chaque jour davantage la liberté de la presse aux États-Unis. La polarisation médiatique risque de s’intensifier, réduisant l’accès du public à une information équilibrée et indépendante, ce qui affaiblit le débat démocratique et favorise la désinformation. En contrôlant les médias et en limitant la diversité des opinions, une présidence autoritaire comme celle de Trump possède toutes les cartes en main pour manipuler l’opinion publique, restreindre la transparence gouvernementale et réduire la démocratie comme une peau de chagrin.

Avec AFP, The Guardian

Image d’en-tête : Illustration Eric Faison/The Daily Beast

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