Par amendement au projet de loi de finances rectificative pour 2015, l’Assemblée nationale a adopté vendredi 4 décembre une disposition interprétative précisant que le taux de TVA super-réduit existant pour la presse (2,1%) s’applique à la presse en ligne dès le 12 juin 2009. Le principe en est la stricte neutralité technologique qui prévient toute discrimination entre presse imprimée et presse en ligne. Il résulte d’un raisonnement juridique rigoureux et respectueux du législateur. Son maintien dans le texte lors de l’examen qui commence au Sénat est donc essentiel.
C’est en effet dès la loi n°86-897 du 1er août 1986 qu’a été adoptée une définition de la presse, neutre en termes de support, englobant à dessein tant la presse imprimée que la presse “télématique”. C’est ensuite par précision apportée à cette loi par la loi n°2009-669 du 12 juin 2009 qu’a été défini le “service de presse en ligne”. Le droit de la presse a ainsi aligné clairement les droits et devoirs de la presse numérique sur ceux de la presse imprimée.
En matière de TVA, ce n’est pourtant qu’en février 2014 qu’a été mise en oeuvre l’harmonisation des taux applicables aux deux modes de diffusion de la presse. Sur la période antérieure, le droit fiscal n’avait pas été mis explicitement en cohérence avec le droit de la presse. Or, comme l’indique Me Philippe Charron, avocat au Barreau de Paris, “La loi est une et d’application générale et la définition de ce qu’est une publication de presse relève de dispositions civiles et pénales, au même titre que la définition des actes de commerce et des commerçants relève du code de commerce et s’impose aux services fiscaux” (lire sa tribune sur le site de Légipresse).
L’inadaptation du droit fiscal est d’autant plus paradoxale que son alignement sur le droit de la presse avait justement présidé à la création de la notion de service de presse en ligne. En conclusion des États généraux de la presse en écrite le 23 janvier 2009, le président de la République Nicolas Sarkozy déclarait ainsi que “Le statut d’éditeur de presse en ligne ouvrira droit au régime fiscal des entreprises de presse”.
Que le législateur procède aujourd’hui à cette mise en cohérence du droit fiscal par une disposition interprétative n’est donc en aucun cas une “amnistie fiscale” auprès de titres s’étant “auto-appliqué” le taux de 2,1%, comme on a pu le lire ces derniers jours, mais un rétablissement de la presse en ligne dans les droits qui étaient les siens de par les votes du Parlement de 1986 et 2009.
C’est de plus :
• Non pas une mesure d’exception, mais une pratique courante en matière fiscale :
Comme l’a souligné sur son blog le 9 novembre dernier l’ancien Directeur national des enquêtes fiscales, Roland Veillepeau, qui était il y a encore 15 mois l’un des plus hauts fonctionnaires de Bercy, “il arrive régulièrement que des dispositions fiscales mettant un terme à une situation confuse soient qualifiées « d’interprétatives ”.
• Non pas la défense d’intérêts particuliers, mais d’un intérêt général, transcendant les barrières politiques :
Huit députés de tous bords ont adressé le 12 novembre un courrier au président de la République pour défendre les sites de presse en ligne qui ont appliqué avant 2014 le même taux de TVA que la presse imprimée, estimant que « les titres de presse en ligne sont des entreprises de presse, avant d’être des services en ligne » et rappelant que « Notre République a, depuis le XIXe siècle, réservé à la presse des droits particuliers, parce qu’elle sert la démocratie ». En aucun cas, on ne peut, de fait, confondre la presse en ligne (lemonde.fr, lepoint.fr ou rue89.com) avec un service en ligne dont l’activité est uniquement commerciale comme Voyages-Sncf.com, Amazon, Apple, lastminute.com, ou bien d’autres.
Les amendements déposés pour introduire la disposition législative interprétative l’ont été par des sénateurs et députés écologistes, par des députés socialistes, centristes et Les Républicains (les amendements de ces derniers ayant été toutefois retirés par la suite conformément à la position du président du groupe à l’Assemblée).
• Une sortie par le haut des redressements fiscaux en cours :
La conduite des redressements fiscaux à l’encontre de trois éditeurs de presse en ligne (Arrêt sur images, Indigo Publications et Mediapart) ayant appliqué avant 2014 le taux de TVA de 2,1% à la vente de leurs services de presse en ligne témoigne d’un « réel défaut de gouvernance » de l’administration fiscale, selon Roland Veillepeau.
• Une stricte application du principe d’égalité devant l’impôt prévu par la Constitution :
Comme indiqué par Me Philippe Charron, “si le principe d’égalité face à l’impôt est bien en cause dans cette affaire (articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789), c’est au détriment de la presse en ligne, en ce qu’elle n’a pas bénéficié, depuis le 12 juin 2009, des taux réduits de 2,1% et 1,05%, contrairement à la presse imprimée.”
• Une volonté partagée au niveau communautaire :
Contrairement au cas du livre numérique, aucune décision de la Cour de justice de l’Union européenne n’est à ce stade intervenue pour confirmer l’interprétation faite par la Commission européenne de la directive TVA, fondée sur une directive de 1991, comme interdisant l’application du taux super-réduit de TVA à la presse en ligne en France.
Le Président de la Commission européenne s’est au contraire déclaré le 6 mai 2015 en faveur de la neutralité complète du taux de TVA entre la presse écrite et la presse numérique : « Si la Commission – la précédente Commission – ne s’est pas aperçue qu’il y a eu une petite révolution depuis et s’en tient à ces règles, alors cela sera changé » ; « Que le contenu soit lu sur papier ou en version numérique ne fait pas de différence ».
(Source : CP SPIIL – 9 décembre 2015)
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