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Cette nouvelle étude est en train de remettre en cause nos certitudes sur les bactéries et le monde microbien. Nous pensions jusqu’à présent que ces petites bestioles ne pouvaient se déplacer qu’en utilisant un véhicule : un homme ou un animal. Leur durée de vie à l’extérieur de leur hôte était très courte, limitée à quelques éternuements ou postillons. Des chercheurs nous apprennent tout le contraire. Les bactéries seraient capables de se déplacer, toutes seules, en empruntant un véritable « pont aérien », sur des milliers de kilomètres à travers le globe. Une découverte qui remet en question tout ce que l’on sait sur les épidémies et la propagation des bactéries résistantes aux antibiotiques.
Une équipe scientifique internationale comprenant des chercheurs de l’Académie des sciences de Russie, de l’Institut Skolkovo des sciences et de la technologie en Russie, de l’Institut Pasteur en France, de l’Université de Santiago du Chili et de l’Institut Weizmann des sciences en Israël ont étudié une bactérie qui ne vit que dans des régions particulièrement inhospitalières de la planète : dans les graviers brûlant de l’Etna en Sicile, dans la région d’El Tatio au nord du Chili et celle des Termas del Flaco au sud du Chili, et enfin dans la caldeira bouillante Uzon au Kamchatka en Russie. Les microbes recherchés sont des bactéries Thermus thermophilus qui vivent dans des eaux dont la température moyenne est de 70°C. Ces milieux sont tellement reculés et inhospitaliers qu’il est impossible d’imaginer que ces bactéries puissent être transportées par des animaux, des oiseaux et encore moins des humains.
Les bactéries récoltées dans ces lieux devaient être là depuis longtemps et en toute hypothèse ne s’être jamais rencontré. Logiquement, ces bestioles auraient dû avoir une évolution propre à chacun de leur milieu, un peu comme l‘a remarqué Darwin avec son fameux pinson des Galapagos. Ce qui semblait gravé comme une certitude, c’est que la bactérie trouvée au Chili ne devait avoir strictement jamais voisiné avec celle du Kamtchatka. Comment aurait-elle pu le faire tant les distances entre les deux lieux sont grandes ?
Cette certitude vole aujourd’hui en éclat. Les bactéries de ces lieux aussi éloignés l’un de l’autre ont une histoire commune. Elles ont toutes été à un moment de leur évolution été attaquées par un virus bactériophages dont on retrouve la trace dans la mémoire génétique des T. thermophilus. À un moment donné de leur vie, ces bactéries ont vécu le même événement et se sont ensuite, au fil du temps, séparées pour voyager à travers le monde. Voyager seules. Car les scientifiques sont formels, aucun agent de transport n’a pus les amener là où on les a trouvées. Elles ont voyagé par leurs propres moyens, par les airs. Les chercheurs vont même jusqu’à imaginer qu’elles ont emprunté une sorte de « pont aérien ».
« Nos recherches suggèrent qu’il doit y avoir un mécanisme à l’échelle de la planète qui assure l’échange de bactéries entre des endroits éloignés », a déclaré l’auteur principal Konstantin Severinov, chercheur principal à l’Institut Waksman de microbiologie et professeur de biologie moléculaire et de biochimie à la School of Arts and Sciences à la Rutgers University-New Brunswick. « Comme les bactéries que nous étudions vivent dans de l’eau très chaude – environ 70 degrés Celsius – dans des endroits reculés, il est impossible d’imaginer que des animaux, des oiseaux ou des humains les transportent », poursuit M. Severinov. « Elles doivent être transportées par voie aérienne et ce mouvement doit être très important pour que les bactéries des endroits isolés partagent des caractéristiques communes. »
Pour en arriver à ces conclusions publiées dans la revue Philosophical Transactions of the Royal Society B., les scientifiques ont étudié les » mémoires » enregistrées dans l’ADN bactérien – des dossiers laissés par les rencontres que la bactérie avait eues avec des virus (bactériophages) dans le passé. Il faut se souvenir que les bactériophages – virus des bactéries – sont les formes de vie les plus abondantes et les plus omniprésentes sur la planète. Ces virus ont une influence profonde sur les populations microbiennes, la structure des communautés et l’évolution.
Dans les cellules bactériennes infectées par des virus, les mémoires moléculaires sont stockées dans des régions spéciales d’ADN bactérien appelées réseaux CRISPR. Les cellules qui survivent aux infections transmettent les souvenirs – de petits morceaux d’ADN viral – à leur progéniture. L’ordre de ces mémoires permet aux scientifiques de suivre l’histoire de l’interaction bactérienne avec les virus dans le temps. Un peu comme le ferait un climatologue en étudiant des carottes glaciaires.
Quand une bactérie est infectée par un virus bactériophage, si elle survit à l’attaque, elle va stocker des brins d’ADN du virus dans sa mémoire moléculaire. En fait, elle les stocke dans des réseaux d’ADN bactérien, les réseaux CRISPR (ceux-là même qui sont utilisés dans les fameuses manipulations génétiques dont les médias parlent beaucoup). La bactérie se souvient donc des infections virales ou bactériophages parce que les cellules survivantes transmettent l’ADN viral à la génération suivante. Ce mécanisme est une forme d’autodéfense : en découpant des échantillons des virus au fur et à mesure qu’ils sont rencontrés, les bactéries peuvent mieux y résister la prochaine fois.
L’équipe de chercheurs a constaté que certains de ces morceaux d’ADN viral étaient similaires dans les échantillons de bactéries provenant de tous ces sites distants de milliers de kilomètres les uns des autres. Il semble donc évident que des souches de T. thermophilus aient traversé de vastes distances intercontinentales sans avoir reçu aucune aide d’autres êtres vivants.
« Ce que nous avons découvert, cependant, c’est qu’il y avait beaucoup de souvenirs partagés – des morceaux identiques d’ADN viral stockés dans le même ordre dans l’ADN de bactéries provenant de sources chaudes éloignées », affirme M. Severinov. « Notre analyse peut éclairer les études écologiques et épidémiologiques de bactéries nocives qui partagent globalement des gènes de résistance aux antibiotiques et qui peuvent aussi être dispersées par voie aérienne au lieu d’être transportées par des humains ».
Il reste à voir comment les bactéries se déplacent exactement. Des recherches antérieures ont montré que les micro-organismes présents dans les éternuements peuvent parcourir de courtes distances en résistant à la décomposition biologique qui les tuerait normalement à l’extérieur du corps d’un hôte. Des courtes distances mais pas des milliers de kilomètres.
Pour comprendre comment les bactéries se déplacent dans l’air sur de longues distance et valider l’hypothèse d’un « pont aérien », les chercheurs vont s’atteler à prélever des échantillons d’air à différentes altitudes et à différents endroits dans le monde pour identifier les bactéries qui s’y trouvent, les comparer et rechercher leurs antécédents.
Une étape importante dans cette recherche dont l’enjeu nous concerne tous : en comprenant la façon dont les bactéries – et la résistance aux antibiotiques – se propagent dans le monde entier, nous serions dans une meilleure position pour les gérer. « Notre analyse pourrait éclairer les études écologiques et épidémiologiques de bactéries nocives qui partagent mondialement des gènes de résistance aux antibiotiques et qui peuvent aussi être dispersées par voie aérienne au lieu d’être transportées par des humains », promet M. Severinov.
Sources : Philosophical Transactions of the Royal Society B., Rutgers University, Science Daily
Image d’en-tête : Thermus thermophilus
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