Depuis que la ville existe, les arbres ont fait partie de la cité. L’arbre a toujours accompagné le développement urbain et l’a structuré. Souvent, l’identité d’une ville, ce sont ses arbres, d’espèces différentes selon les régions et les climats : platanes, érables, sycomores jalonnent ainsi nos rues. Mais si l’on revenait à une tradition ancestrale ? Si l’on plantait des forêts comestibles dans la ville ? Certaines cités le font déjà, d’autres leur emboîtent le pas. Alors, pommiers, poiriers, ou cerisiers plantés dans les squares, les jardins et le long des avenues, offerts à la gourmandise des habitants des villes ? Pourquoi pas ?
Les arbres expliquent parfois l’histoire d’une ville. Sous Henri IV, l’agronome Olivier de Serres plante 15 000 mûriers dans le jardin des Tuileries pour abriter les vers dont la soie fait fureur à l’époque. À Cordoue, les califes du IXe siècle font planter 40 000 bigaradiers. Ces arbres ne font pas seulement, encore aujourd’hui, la personnalité de la ville ; ils produisent suffisamment de fruits pour produire chaque année la marmelade légendaire de la cité andalouse. Au XVIIIe, en France, on plante des arbres à tour de bras dans les villes, le long des routes et des canaux. La construction navale bat son plein, il faut du bois pour les charpentiers de marine.
Mais rapidement, la fonction utilitaire des arbres est délaissée au profit de l’ornementation des villes et des espaces. Les voyages lointains font découvrir de nouvelles espèces que l’on acclimate sous nos contrées. Plus près de nous, dans les années 1980, la prise de conscience écologique incite les villes à développer des « infrastructures vertes ». On découvre la valeur écosystémique d’un arbre dans la ville. On prend conscience que les arbres améliorent la qualité de l’air et, par voie de conséquence, ont un effet positif sur la santé publique.
Dans le livre dirigé par Guillaume Morel-Chevillet, Agriculteurs urbains, qui vient de paraître aux éditions France Agricole, les auteurs rappellent que la ville de Londres a prouvé que les huit millions d’arbres qui poussent sur son espace urbain permettent d’économiser 132 millions de livres chaque année en frais de santé des londoniens. Les arbres améliorent la qualité de l’air mais ils remplissent une foule de services à haute valeur écologique. Leur ombre permet d’économiser environ 20 % des coûts liés à la climatisation, leur système racinaire évite de coûteux investissements d’assainissement des sols, leur présence améliore la biodiversité et la qualité de vie. Et qui dit amélioration de la qualité de vie, dit pour les financiers, augmentation de l’attractivité d’un territoire.
Les arbres des villes remplissent des services, mais ils sont encore peu utilisés pour une destination essentielle : nourrir les hommes. Les forêts comestibles sont encore rares, même si un mouvement semble lancé depuis quelques années, un peu partout dans le monde. En Indonésie, la ville de Jakarta a ainsi lancé, en 2013, un programme de plantation de 40 000 arbres fruitiers le long des rues et avenues : manguiers, jambosiers, litchis … façonnent déjà la physionomie de la capitale.
Ce mouvement vers une arboriculture urbaine comestible trouve son moteur dans des initiatives citoyennes qui émergent partout dans le monde. Elles sont difficiles à quantifier mais la dynamique incite nombre de municipalités à changer leur attitude sur l’opportunité de planter des arbres fruitiers dans la cité. Apparaissent alors des cartes interactives des lieux de glanage, et des collectifs s’organisent pour inciter, favoriser, voire prendre l’initiative de créer des vergers urbains. Objectif : que l’arbre fruitier soit pleinement intégré dans la forêt urbaine, qui devient alors comestible.
La pratique du glanage urbain est récente. Elle est née en 2005 aux Etats-Unis à Seattle, avec le mouvement Community Fruit Tree Harvest. Dans Agriculteurs urbains, on apprend que des bénévoles récoltent pommes, poires et prunes jusqu’à deux fois par semaine en période de production. Entre 2005 et 2009, ce sont plus de sept tonnes de fruits qui ont été ainsi récoltés et distribués dans une quinzaine d’épiceries solidaires.
Ces mouvements font aussi écho à ceux qui s’activent pour développer des réseaux d’entraide, qui dénoncent le gaspillage alimentaire et luttent contre la pollution générée par le transport de denrées alimentaires.
En France, le phénomène s’observe, mais il est plus récent. A Paris, l’association Vergers urbains a été créée en 2012 pour stimuler la plantation d’arbres fruitiers dans Paris. Les arguments en faveur de cette initiative sont d’abord d’ordre social. Non seulement cette action stimule la convivialité, mais aussi elle participe à la sensibilisation du public pour une alimentation saine et locale. La municipalité de Paris soutient ces mouvements et encourage diverses initiatives comme celle de l’association Verger itinérant qui dispose dans la ville, de façon éphémère, une centaine de conteneurs d’arbres fruitiers. Selon l’agronome D. Huet, « L’arbre fruitier possède un statut particulier dans la flore de nos cités : c’est un « être domestique » qui bénéficie d’une vraie proximité avec les humains. En l’intégrant dans l’espace public, les habitants se montrent peut-être plus cléments, plus respectueux vis-à-vis du vivant. »
Dès lors, les exemples se multiplient, illustrant l’implication des collectivités en faveur de l’introduction d’arbres fruitiers en milieu urbain. L’ouvrage Agriculteurs urbains recense ainsi des « stations gourmandes » à Nantes, des vergers pédagogiques dans les écoles à Paris, des ronds-points plantés de fruitiers et de vignes à Toulouse, des vergers linéaires le long des pistes cyclables à Londres, le remplacement des arbres d’ornement par des fruitiers à Lausanne en Suisse, ou la création d’une forêt comestible de 1.5 hectare, la Beacon Food Forest, à Seattle.
Bien sûr, la plantation de fruitiers en ville n’atteindra jamais les rendements d’une arboriculture professionnelle, mais elle satisfait aussi bien le citadin que le gestionnaire d’espaces urbains. En effet, les espèces fruitières se prêtent parfaitement à de nombreux espaces de la ville : ils peuvent être courbés, palissés, érigés, de plein-vent, etc., à volonté. Des formations à l’arboriculture urbaine commencent à apparaître dans les écoles, des pépiniéristes se spécialisent dans la production de variétés spécialement destinées à la ville. Le rôle des paysagistes-concepteurs est à cet égard important pour les intégrer dans l’espace public. Ces derniers servent souvent de relais avec les associations de citadins pour créer du lien social en catalysant les habitants autour de la création d’un verger ou d’une avenue arborée de fruitiers.
Ces initiatives introduisent un renouveau végétal bienvenu dans les espaces urbains. Un renouveau qui reconnecte deux mondes apparemment opposés : l’urbain et l’agricole. Serions-nous alors au début d’une nouvelle ère qui remettrait, au cœur des villes, les hommes en prise directe avec les grands enjeux alimentaires, paysagers, environnementaux, économiques et sociaux ?
Source : Livre Agriculteurs urbains, sous la direction de Guillaume Morel-Chevillet, Éditions France Agricole, collection TerrAgora, septembre 2017
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