« Il faut savoir tourner les pages, mais seulement après les avoir lues ». La sagesse de Desmond Tutu rappelle la nécessité de réfléchir avant d’agir, un rappel poignant pour une nation comme le Liban, marquée par un passé tourmenté. Cette métaphore résonne particulièrement dans un pays où l’histoire est à la fois un lourd fardeau et une source d’enseignements cruciaux. Chaque page, chaque épisode de son passé, mérite une lecture attentive avant de tourner la suivante.
Oser semer dans un sol appauvri
« Vous voulez semer, et votre main tremble ; mais ce n’est pas la semence qui vous manque, c’est la confiance dans le printemps. » (Alphonse de Lamartine)
Cette citation saisissante capture le dilemme du Liban contemporain : oser planter les graines du renouveau dans un sol appauvri par des années de corruption, de conflits et de désillusions. Joseph Aoun, le nouveau président élu, semble reconnaître cette réalité dans son discours inaugural, promettant de puiser dans les leçons du passé. Mais la grande question demeure : ces promesses de réflexion et de détermination peuvent-elles se transformer en action décisive dont le Liban a désespérément besoin
Le poids de l’Histoire libanaise : des leçons souvent ignorées
L’histoire du Liban est une tapisserie complexe de résilience et de désillusions. Des cicatrices de la guerre civile de 15 ans à l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth en 2020, chaque événement met en lumière une gouvernance défaillante, un système confessionnel paralysé, et une corruption endémique.
« Là où les civilisations s’enchevêtrent, là où la mer reflète les ruines et les rêves des empires, un peuple demeure – debout malgré les tempêtes. » (Amin Maalouf)
Ces mots résument parfaitement la condition libanaise : un carrefour de civilisations, mais aussi un champ de ruines laissées par des dirigeants qui ont souvent préféré fuir les responsabilités plutôt que de confronter les vérités difficiles.
Une présidence marquée par le pragmatisme militaire
Joseph Aoun, ancien commandant de l’armée libanaise, offre une alternative aux politiciens traditionnels. Son expérience militaire apporte discipline et pragmatisme, deux qualités essentielles dans un pays fracturé. Ses priorités incluent :
- Sécurité et souveraineté : L’armée, relativement neutre dans un paysage politique divisé, joue un rôle crucial dans la stabilité intérieure, notamment face à des défis comme le trafic transfrontalier, les tensions avec Israël, et la présence de milices armées.
- Crédibilité internationale : En tant que figure pragmatique, il est mieux placé pour rétablir la confiance des partenaires internationaux, notamment la France, qui entretient des liens historiques avec le Liban.
- Réformes institutionnelles : Sa promesse de réformes économiques et structurelles est cruciale pour briser les blocages systémiques du système confessionnel.
Un président entre héritage et espoir
Cette image symbolise un Liban piégé entre ses échecs accumulés et sa volonté de survivre, où Beyrouth, marquée de cicatrices visibles et invisibles, reste debout, fragile mais résiliente. Elle incarne à la fois le poids du passé et la lumière vacillante de l’espoir, refusant de succomber complètement à l’effondrement. C’est le récit d’un peuple et d’une ville qui, malgré tout, aspirent à un renouveau, à un printemps où les graines d’un avenir meilleur pourraient enfin germer dans un sol appauvri, mais fertile de résilience.
Comme les cèdres du Liban, ces sentinelles intemporelles, le pays témoigne d’une résilience enracinée. Les cèdres, qui surplombent les montagnes, évoquent la capacité du Liban à se tenir debout malgré les tempêtes de l’histoire. Leur silhouette immuable reflète à la fois le poids du passé et l’espoir fragile d’un avenir renouvelé. Tout comme la lumière du soleil traverse les forêts, la lumière de l’espoir pénètre les ombres d’un passé troublé, offrant une voie vers un renouveau possible.
Ces mots résonnent puissamment avec le défi actuel du Liban : transcender les divisions, reconstruire des institutions affaiblies, et briser le cycle des crises répétées. À ce carrefour critique, Joseph Aoun, le nouveau président élu, incarne une promesse rare, mais cette promesse s’accompagne d’un fardeau immense. Contrairement à Michel Aoun, dont le mandat fut souvent critiqué pour son inaction face aux crises, Joseph Aoun semble prêt à dépasser les clivages confessionnels pour bâtir un État plus cohérent, s’appuyant sur les leçons du passé, comme s’il en avait lu chaque page pour éviter de répéter les erreurs d’hier.
Michel Aoun et Joseph Aoun : une évolution des attentes
« Chaque homme porte en lui une lumière qui vacille et qui brûle, selon la force des vents du destin. » (Amin Maalouf)
Michel Aoun, président de 2016 à 2022, a gouverné durant une période marquée par des crises multiples. Sous son mandat, le pays a sombré dans une crise économique sans précédent. Les institutions ont été vidées de leur substance, et la gouvernance a cédé à l’immobilisme. Cette approche, parfois perçue comme distante des réalités quotidiennes, n’a pas su capitaliser sur les opportunités pour redresser le pays.
En revanche, l’élection de Joseph Aoun, ancien commandant des Forces armées libanaises, marque un tournant potentiel. Face à une élite politique discréditée, il offre une image de discipline et de pragmatisme. À son actif :
- Réforme institutionnelle : L’insistance sur la transparence et la lutte contre la corruption reconnaît l’urgence d’un renouveau des institutions publiques.
- Unité nationale : Son appel à dépasser les divisions confessionnelles résonne comme une rupture avec les discours traditionnels.
- Stabilité économique : Les réformes économiques promises seront un test crucial de sa capacité à apporter des changements structurels.
Cependant, ce contraste ne doit pas être interprété comme une condamnation. Michel Aoun, confronté à des luttes politiques complexes et enfermé dans un système confessionnel paralysant, a vu ses marges de manœuvre se réduire. Joseph Aoun, bien que confronté à une crise encore plus aiguë, adopte une posture pragmatique et résolue, laissant entrevoir un leader conscient des défis. Mais une question demeure : cette promesse de réflexion et de détermination saura-t-elle se transformer en l’action décisive dont le Liban a désespérément besoin ?
Tourner la page avec prudence
« Et quand l’avenir est incertain, c’est dans la lumière du passé qu’il faut chercher des guides. » (Alphonse de Lamartine)
Comme le rappelle Desmond Tutu, tourner une page exige que l’on en ait d’abord lu chaque mot. Joseph Aoun semble avoir pris cette leçon à cœur. Son discours inaugural montre qu’il ne cherche pas à effacer les cicatrices du Liban, mais à les reconnaître comme des étapes nécessaires à sa reconstruction.
Pourtant, les défis qui l’attendent sont immenses :
- Le poids du système confessionnel : Héritage de l’accord de Taëf, ce système perpétue les divisions et les inefficacités, rendant les réformes structurelles difficiles.
- La méfiance populaire : Après des décennies de promesses non tenues, regagner la confiance d’une population désabusée nécessitera des actions immédiates et concrètes.
- La pression internationale : Les exigences des bailleurs de fonds, bien qu’essentielles, imposent des conditions qui pourraient accentuer les tensions internes.
Beyrouth en flammes : métaphore d’un cycle à briser
Comme je l’écrivais il y a quelques mois en décrivant Beyrouth en flammes : « Chaque jour, nous voyons le Liban brûler, non pas de flammes nouvelles, mais des vieux feux attisés encore et encore. » Ces mots capturent l’essence d’un pays enfermé dans un cycle d’effondrement et de survie, où la répétition incessante des blessures du passé étouffe tout espoir de renouveau.
Cette image métaphorique n’évoque pas seulement des incendies physiques, mais aussi des feux invisibles – politiques, économiques et sociaux – qui ravivent sans cesse des plaies profondes et jamais cicatrisées. Pourtant, Beyrouth, marquée de cicatrices visibles et invisibles, reste debout, fragile mais résiliente. Cette image incarne à la fois la tragédie d’un pays incapable de se défaire de ses chaînes et la résilience d’une ville qui, malgré tout, refuse de s’effondrer complètement.
Un avenir à réécrire
Le Liban est à un moment critique. Les cicatrices de son passé sont autant de rappels que les échecs ne doivent pas être répétés. Joseph Aoun, en tant que président, doit incarner un équilibre entre réflexion et action, entre héritage et renouveau.
« Ce que le futur nous réserve est l’écho de ce que nous osons espérer aujourd’hui. » (Amin Maalouf)
La présidence de Joseph Aoun, inspirée par les leçons du passé, représente une opportunité unique de tourner la page avec sagesse et intention. Les mots de Desmond Tutu offrent une perspective essentielle pour ce moment historique : c’est en lisant attentivement l’histoire du Liban que cette nation pourra enfin écrire un chapitre porteur d’espoir.
Sam Mattar, Chroniqueur invité de UP’ Magazine, Directeur général et partenaire fondateur de Construction Dynamics Solutions. Il est ingénieur de renommée internationale et ancien fonctionnaire du Centre des Nations Unies pour les établissements humains (HABITAT). Il est titulaire d’un BSc de l’Université de Leeds, d’un MSc de l’Université de Calgary et d’un doctorat de l’Université Concordia.
Image d’en-tête : Forêt des Cèdres de Dieu au Liban nord (Camille Devars Bex)