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Réensauvager la moitié de la Terre : la dimension éthique d’un projet spectaculaire

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Les milieux scientifiques attendent avec impatience la publication du livre d’Edward O. Wilson Half-Earth: Our Planet’s Fight for life qui paraîtra début 2016 aux Etats-Unis. Cet ouvrage présente en détail une initiative de « réensauvagement » (rewilding) qui se propose de consacrer la moitié de la surface terrestre à la préservation de la biodiversité.

Le célèbre biologiste et naturaliste suggère pour cela de constituer de grands parcs de la biodiversité et de préserver et réorganiser l’habitat en reliant les populations locales au niveau continental. Les habitants de ces gigantesques réserves y travailleraient comme éducateurs environnementaux, gestionnaires ou encore gardes forestiers. Ce modèle s’inspire des projets de conservation à grande échelle tels qu’il en existe déjà dans le nord-ouest du Costa Rica avec la zone de conservation de Guanacaste (ACG).

Pour remettre cette proposition en perspective, rappelons que la sixième extinction massive d’espèces est aujourd’hui en marche. La Terre n’avait pas vu disparaître autant d’espèces animales depuis la fin des dinosaures. Les causes de cette situation sont bien connues : déprédations humaines, destruction de l’habitat des espèces, surpopulation, épuisement des ressources, étalement urbain et changement climatique.

Vision anthropocentrée

Wilson est l’une des stars mondiales des sciences naturelles. Ce spécialiste des fourmis à qui l’on doit l’invention de la biogéographie insulaire défend l’idée que les humains sont en lien avec les autres espèces (biophilie). Il tire régulièrement la sonnette d’alarme à propos de l’extinction massive des espèces. C’est aussi un auteur inspiré et prolifique ayant écrit de nombreux ouvrages sur la biodiversité, la science et la société. Alors quand Wilson a commencé à évoquer le réensauvagement, les gens ont inévitablement tendu l’oreille.

« Spécialiste de l’éthique et des politiques publiques, je suis aussi sensible à la cause animale et environnementale. J’ai donc suivi avec intérêt cette proposition dont je pense qu’elle est tout à fait viable. Mais elle souffre à mes yeux d’un défaut majeur : sa vision anthropocentrée de la valeur de la vie ». Le point de vue éthique de Wilson et son apparente évolution nous invitent à réfléchir à la manière dont les gens devraient vivre les uns avec les autres et avec la nature, et tout particulièrement dans le cas d’un réensauvagement.

Le revirement éthique de Wilson

J’ai entendu Wilson pour la première fois à Washington, au début des années 2000. Lors de cette conférence, il sembla résigné au sujet du recul inéluctable de la biodiversité terrestre. Il était alors en faveur du référencement, de l’échantillonnage et du stockage du patrimoine biotique du monde pour en faire bénéficier la recherche biomédicale. Et peut-être, un jour, pourrions-nous faire revivre une espèce éteinte ou deux… Ce n’est pas une mauvaise idée en soi. Mais son discours était tristement fataliste et totalement dépourvu de toute responsabilité morale à l’égard des autres espèces et de la nature en général.

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Ce qui est frappant dans ce projet de réensauvagement, ce n’est pas tant le revirement éthique qui fait passer Wilson de partisan du catalogage de la nature à celui de sa préservation, mais bien sa dimension morale. Dans plusieurs interviews, il s’en réfère à la nécessité pour l’humanité de développer une éthique qui se soucie de la vie sur Terre, en ne plaçant pas les désirs et les besoins d’une seule espèce (Homo sapiens) au-dessus du bien-être de toutes les autres.

Le spectre de l’utilitarisme

Si je partage ce point de vue, je reste toutefois circonspect. Par le passé, les prises de position éthique de Wilson me sont apparues clairement anthropocentriques. Elles s’appuyaient sur l’idée que les humains sont des créatures exceptionnelles, installées au sommet de la chaîne de l’évolution, ce qui leur conférait une valeur intrinsèque et le privilège de régner sur tout le reste sans partage.

Dans cette perspective, nous nous soucions de la nature et de sa biodiversité parce que nous nous soucions de nous-mêmes. Perçue comme un stock de ressources, elle nous est utile, mais n’a pas de valeur en elle-même. En termes éthiques, les personnes possèdent une valeur intrinsèque quand la nature, elle, n’a de valeur que par son utilité. Sa valeur est extrinsèque.

Citons, par exemple, un extrait de The Biophilia Hypothesis, paru en 1995, où Wilson proclame « la nécessité d’une éthique anthropocentrée solide et structurée, indépendante de la question des droits [pour les autres animaux ou les écosystèmes] – une éthique basée sur les besoins de notre propre espèce. Car en plus de la valeur bien connue des espèces sauvages pour les êtres humains, la diversité du vivant possède une grande valeur esthétique et spirituelle ».

Ce passage indique clairement une idée que l’on trouve de longue date chez Wilson : à savoir que la biodiversité est importante pour ce qu’elle apporte à l’humanité, en termes de ressources, de beauté et de spiritualité. Celui-ci ne s’interroge jamais sur la possible valeur intrinsèque des animaux et de la nature en général.

Sa position actuelle, comme en témoigne le projet du réensauvagement, semble cependant beaucoup plus en phase avec ce que les éthiciens appellent le non-anthropocentrisme. L’humanité est un résultat merveilleux de l’évolution, soit, mais cela ne lui confère pas pour autant de statut spécial ; les autres espèces, les écosystèmes, possèdent aussi une valeur intrinsèque.

Considérons cette récente déclaration du naturaliste :

Quel genre d’espèce sommes-nous pour considérer le vivant si mal ? Il y a ceux qui pensent que c’est là le destin de la Terre : nous sommes arrivés, nous humanisons la Terre et cela fait partie de son destin que nous détruisions le genre humain et la quasi totalité de la biodiversité. Je pense pour ma part que l’immense majorité des gens réfléchis estiment qu’il s’agit là d’une position moralement répréhensible et très dangereuse.

Le point de vue non anthropocentrique ne nie pas que la biodiversité et la nature fournissent des ressources matérielles, esthétiques et spirituelles. Il maintient bien plutôt le contraire, en affirmant qu’il y a quelque chose de plus et que la vie dans son ensemble possède une valeur indépendante des ressources qu’elle procure à l’humanité. L’éthique non anthropocentrique implique ainsi une approche plus attentive de l’impact des humains sur la planète. Que Wilson ait abandonné l’anthropocentrisme pour de bon, le temps le dira. Je me réjouis en tout cas de sa récente évolution sur le sujet.

La solution des 50 %

Il est intéressant de préciser que cette idée de réensauvagement n’est pas nouvelle. En Amérique du Nord, elle émerge dans les années 1990 au cœur des discussions sur le désert chez les partisans de l’écologie profonde. Plusieurs groupes issus de ce mouvement ont continué à développer cette idée, en particulier le Wildlands Network, le Rewilding Institut et la Wild Foundation.

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Ces mouvements proposent d’associer la science de la conservation, l’éducation et des initiatives politiques pour promouvoir la protection et la restauration des habitats à l’échelle continentale ainsi que des corridors écologiques garantissant la préservation de la faune et de la flore nord-américaines. On peut ainsi citer cette initiative qui propose de relier les écosystèmes du Yellowstone et du Yukon le long des montagnes Rocheuses.

Quand j’étais étudiant, l’idée d’une demi-Terre à réensauvager n’existait pas encore, mais elle était déjà dans l’air. Mes camarades et moi avions évoqué la « solution des 50 % ». Nous avions choisi ce terme en référence au travail de Reed Noss et du livre d’Allen Cooperrider, Saving Nature’s Legacy (1994). En nous appuyant sur des documents indiquant que pour préserver les espèces et les écosystèmes, entre 30 % et 70 % de l’habitat terrestre serait nécessaire, nous avions établi une moyenne et opté pour la solution des 50 %.

 

Et la ville ?

 

 

La ville durable reste à inventer. Rory Hyde/flick, CC BY-SA

L’engagement de Wilson et d’autres en faveur du réensauvagement suppose, mais ne propose pas pour l’instant, une vraie vision pour des villes écologiques, durables et résilientes. Wilson n’a en effet pas précisé ce qu’il allait advenir des gens et des infrastructures présents dans les corridors écologiques, mais non concernés par les activités de maintien et d’enseignement de la biodiversité. Ceci est une question urgente qui mérite une réflexion soutenue et inspirée. Car les êtres humains vivent de plus en plus en milieu urbain. Aujourd’hui, la majorité de la population mondiale habitent dans les villes, et à la fin du XXIe siècle, plus de 90 % des gens évolueront au sein d’une métropole. Si nous voulons répondre aux besoins fondamentaux des hommes, il faut aussi transformer les villes en lieux de vie durables et agréables. Réaliser cet ambitieux programme tout en sauvegardant la biodiversité planétaire est un défi de taille que nous pourrons mener à bien par la volonté de mettre en avant une approche éthique.

William Lynn, Research Scientist in Ethics and Public Policy, Clark University

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation UK.
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

 

The Conversation
 

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