Regardez le monde
avec les yeux ouverts

Inscrit ou abonné ?
CONNEXION

UP', média libre
grâce à ses lecteurs
Je rejoins

rejoignez gratuitement le cercle des lecteurs de UP’

loifinances2

Loi de Finances 2013 : déboguer le logiciel économique français – 2

Commencez

Pour­sui­vons le point sur l’affaire des pigeons après la pre­mière par­tie foca­li­sée sur le projet de Loi de Finances 2013 et sur l’étatisation ram­pante du finan­ce­ment de l’innovation.

Cette affaire des pigeons s’inscrit dans un pay­sage médiatico-politique de grande mécon­nais­sance de la vie des entre­prises et des entre­pre­neurs. Elle n’est mal­heu­reu­se­ment pas nou­velle. En voici quelques exemples. Et puis quelques pistes pour chan­ger la donne.

Droite et gauche dans le même sac ?

La PLF 2013 était la cerise sur le gâteau d’un sys­tème déjà déclen­ché par le gou­ver­ne­ment pré­cé­dent, mais passé un peu inaperçu. La fis­ca­lité du capi­tal a sérieu­se­ment aug­menté dans la PLF 2012 votée à la fin du quin­quen­nat Sarkozy.

Pourquoi ne pas profiter d’une lecture illimitée de UP’ ? Abonnez-vous à partir de 1.90 € par semaine.

L’histoire de la PLF 2013 n’est qu’un épisode parmi d’autres. Sans ren­trer dans le popu­lisme, la gauche n’a rien à envier à la droite dans la bêtise écono­mique et le manque de com­pré­hen­sion de l’univers des entre­prises, des entre­pre­neurs de star­tups aux grandes entre­prises sans cesse vilipendées.

Voici quelques exemples des deux pré­cé­dents quin­quen­nats et qui ne concernent que l’environnement des startups :

– Un Jean-Louis Beffa créa­teur de l’Agence de l’Innovation Indus­trielle en 2005 qui favo­rise les grands groupes et dédaigne les star­tups. Pour cet éminent membre du Corps des Mines, seules les grandes entre­prises peuvent innover !

– Un René Ricol, com­mis­saire géné­ral aux inves­tis­se­ments, grand pilote du fameux « Plan d’investissement d’avenir » mais tout aussi rétif aux star­tups. Pour pilo­ter l’innovation à la fran­çaise, le pou­voir de l’époque avait choisi un expert-comptable ! C’est bien connu : les experts comp­tables sont des spé­cia­listes en inno­va­tion tech­no­lo­gique. En Israël comme en Chine, c’est un scien­ti­fique qui a cette charge. Plus de la moi­tié du gou­ver­ne­ment chi­nois est com­po­sée d’ingénieurs. Barack Obama a un prix Nobel dans son gou­ver­ne­ment, son Secré­taire à l’Energie Ste­ven Chu, Nobel de phy­sique en 1997. Où sont les scien­ti­fiques dans le gou­ver­ne­ment Ayrault ? Où étaient-ils chez Sar­kozy et Fillon ? La der­nière en date était Clau­die Hai­gneré, jusqu’en 2005.

– Un Nico­las Sar­kozy qui attend la veille du pre­mier tour de la pré­si­den­tielle pour visi­ter une star­tup du numé­rique (Melty). Et une autre erreur sym­bo­lique de taille, celle du Fouquet’s. Et dans le détail : il n’y avait pas un seul jeune entre­pre­neur parmi les invités !

– Une insta­bi­lité chro­nique de la fis­ca­lité entre­te­nue par le gou­ver­ne­ment, Bercy comme par les dépu­tés et séna­teurs pen­dant le quin­quen­nat Sar­kozy. Les chan­ge­ments de la loi TEPA-ISF ont généré un yoyo per­ma­nent des flux finan­ciers qui abou­tissent dans les star­tups. Et rappelons-nous l’épisode du rognage du sta­tut JEI en 2011 ! Tout ça pour gagner 50m€ de dépenses fiscales !

– Un grand emprunt lancé dans la hâte en 2009 et qui est dans les faits devenu une véri­table usine à gaz dif­fi­ci­le­ment acces­sible aux star­tups. Avec neuf prio­ri­tés dans le numérique !

– Le funeste amen­de­ment du 14 décembre 2010 à la PLF 2011 voté subrep­ti­ce­ment en com­mis­sion pari­taire Assemblée/Sénat juste avant le vote final de la PLF2011 qui saborda sans que cela ne fasse vrai­ment bron­cher le finan­ce­ment des star­tups par des fonds ISF et des SIBA, les socié­tés d’investissement des busi­ness angels. On a coupé un sys­tème qui com­men­çait à peine à se mettre en place en leur impo­sant d’avoir deux sala­riés ! Avec d’autres réduc­tions des exo­né­ra­tions fis­cales liées à l’ISF, la droite à elle seule a divisé par deux l’investissement privé qui allait dans les star­tups en phase d’amorçage entre 2009 et 2012. L’origine de l’amendement ? Des dépu­tés et des séna­teurs (de droite) qui vou­laient lut­ter contre une dérive de la loi TEPA-ISF. Il parais­sait que cer­taines per­sonnes créaient de fausses socié­tés pour gérer leur cave à vin ! On n’a jamais su com­bien de telles dérives avaient été obser­vées et on a jeté le bébé avec l’eau du bain !

Cer­tains se gaus­saient de ce qui aurait pu arri­ver au rap­port de Louis Gal­lois sur la com­pé­ti­ti­vité. Allant à l’encontre d’une bonne part du logi­ciel idéo­lo­gique des socia­listes, il n’était pas près d’être appli­qué et notam­ment dans sa mesure prin­ci­pale qui revient à res­tau­rer la TVA sociale qui vient d’être sup­pri­mée avant d’être appli­quée. Cela aurait pu être un répli­cat par­fait de ce qui était arrivé au rap­port des deux com­mis­sions Attali sous Sar­kozy. Les réformes dif­fi­ciles sont tou­jours mises de côté, et le cou­rage poli­tique avec ! Les rap­ports, ils ne manquent pas ! Ni les tiroirs et les pla­cards pour les ran­ger ! Mais fina­le­ment, le gou­ver­ne­ment Ayrault a un peu mangé son cha­peau et fina­le­ment ajusté, légè­re­ment, la TVA, pour finan­cer pour moi­tié la baisse du coût du tra­vail à hau­teur de 20 Md€ en année pleine à par­tir de 2014. Mais le rap­port Gal­lois n’est pas bien radi­cal, beau­coup moins cou­ra­geux que ne l’était celui d’Attali. On sent la patte pru­dente de l’Inspecteur des Finances. Et cela manque d’éléments sym­bo­liques forts. L’annonce en était le reflet : très froide et tech­no­cra­tique et fai­sant la part belle au ‘tout Etat’ et aux « filières » dans une vision très 19ième siècle des pro­ces­sus d’innovation !

Cette vision très étatique du fonc­tion­ne­ment du pays est ali­men­tée par les grands corps (de l’ENA et de Poly­tech­nique). On la retrouve avec la faible pro­por­tion d’entrepreneurs chez nos élus, sur­tout à gauche, elle-même expli­cable par le fameux cumul des man­dats. Ce n’était pas bien brillant sous Sar­kozy mais avec Hol­lande, on est revenu à des élus et à un gou­ver­ne­ment où dominent les fonc­tion­naires et les ensei­gnants. Dans le numé­rique, Laure de la Rau­dière et Lio­nel Tardy sont de rares dépu­tés ancien­ne­ment entre­pre­neurs. Tous les deux à l’UMP. Où sont les dépu­tés de gauche, entre­pre­neurs du numérique ?

Pour lutter contre la désinformation et privilégier les analyses qui décryptent l’actualité, rejoignez le cercle des lecteurs abonnés de UP’

Le pire est que dans l’actuel comme dans le pré­cé­dent gou­ver­ne­ment, cer­tains médias crient au scan­dale du conflit d’intérêt dès que quelqu’un issu du privé atterri dans un cabi­net minis­té­riel. Il y a eu aussi l’affaire Banque Lazard / Pigasse / Pul­var qui était un peu trop mon­tée en épingle dans la mesure où dans ce petit monde, tout le monde connait tout le monde ! Et les ser­vices ren­dus sont légion mais … bien plus discrètement.

Il n’est pas éton­nant que nos poli­tiques rai­sonnent encore avec une idéo­lo­gie dépas­sée : la vie des entre­prises leur est gran­de­ment étran­gère. Quand ils sont à droite, ils s’arquent-boutent sur un jaco­bi­nisme gaul­lien dépassé et quand ils sont à gauche, c’est la lutte des classes qui reprend du galon. Comme cet affli­geant Emma­nuel Mau­rel, de la gauche du PS, inter­viewé dans l’Humanité et qui parle d’un « quar­te­ron de mil­lion­naires » au sujet des Pigeons et mani­pule l’amalgame comme les enfants étalent le Nutella sur leur tar­tine. Pas éton­nant, un ensei­gnant en Droit Consti­tu­tion­nel à Science Po ne doit pas connaitre grand chose des star­tups ! Et les extrêmes gauche et droite ? C’est encore pire !

Bêtises et para­doxes économiques

Le contexte dans lequel cette his­toire des pigeons est inter­ve­nue n’est pas ano­din. La crise finan­cière a entrainé tout un tas d’amalgames et de mécom­pré­hen­sions sur l’économie de la part des poli­tiques et des médias qui leurs servent de caisse de résonnance.

En voici quelques illus­tra­tions récentes. C’est un peu un bric à brac, qui conso­lide une revue d’actualité dans la durée.

L’analyse de la fai­blesse de nos exportations

On entend sou­vent les écono­mistes expli­quer qu’elles sont dues à la « mau­vaise qua­lité » des pro­duits fran­çais. Si c’est peut-être vrai pour nos auto­mo­biles, est-ce extra­po­lable aux autres indus­tries ? Il y a certes un défi­cit d’investissements en R&D dans cer­tains domaines. Mais est-il venu à l’idée de ces écono­mistes que le défi­cit se situe aussi dans d’autres dimen­sions : dans le mar­ke­ting, dans le design, dans la volonté et la capa­cité à expor­ter, et aussi plus pro­saï­que­ment dans notre pra­tique moyenne du tra­vail en équipe sans comp­ter la mai­trise défi­ciente de l’anglais ? Les lacunes du tra­vail en équipe expliquent les méventes récentes de nos cen­trales nucléaires face aux coréens. Sans comp­ter le lob­bying où l’on se fait régu­liè­re­ment battre par les amé­ri­cains, chi­nois et autres. Est-ce que le Rafale, le A380 ou le TGV sont des pro­duits de mau­vaise qualité ?

Bien non. Nos pro­blèmes sont aussi ailleurs ! Un posi­tion­ne­ment trop bas de gamme ? Cela dépend des indus­tries. On a à la fois du très haut de gamme (trans­ports, luxe, mili­taire), du clas­sique (éner­gie, banque), et du plus tra­di­tion­nel (agro-alimentaire, tou­risme, arti­sa­nat). Et on n’est pas assez pré­sent dans les tech­no­lo­gies ven­dues en volume, ayant laissé les amé­ri­cains et les asia­tiques s’emparer de ces mar­chés, et les alle­mands de l’outillage pour tout construire. Nombre de PME créent des pro­duits plu­tôt haut de gamme mais tel­le­ment haut de gamme qu’elles n’arrivent pas à les vendre en volume et leur acti­vité relève alors de l’artisanat indus­triel, ce qui est une forme de contre-sens. Ce n’est pas une ques­tion de qua­lité, mais de posi­tion­ne­ment ! Pre­nez le Consu­mer Elec­tro­nic Show de Las Vegas que je par­cours chaque année : à peine une qua­ran­taine de socié­tés pré­sentes sur 3300 exposants !

Il y a un cas où la qua­lité pose pro­blème mais c’est de ser­vices qu’il s’agit : le tou­risme. Nous sommes bien la pre­mière des­ti­na­tion au monde, mais la qua­lité d’accueil et la valo­ri­sa­tion du patri­moine sont encore bien moyennes. Com­bien de musées pro­posent des expli­ca­tions dans une autre langue que le fran­çais ? Com­ment les tech­no­lo­gies sont-elles uti­li­sées pour amé­lio­rer les par­cours des tou­ristes ? Est-ce que le Wi-fi est géné­ra­lisé ? Et puis, on pour­rait gagner quelques % de chiffre d’affaire en envoyant pas mal de monde dans des for­ma­tions sur la rela­tion client. Ne serait-ce que les cafe­tiers à Paris ! Quelques sou­rires en plus pour­raient bien amé­lio­rer la balance commerciale !

Enfin, dans le numé­rique, on pâti non pas de pro­blème de qua­lité de nos pro­duits mais de la dif­fi­culté à en créer dans l’absolu. La France du numé­rique est sur­tout domi­née par son indus­trie des ser­vices ! Comme est a du mal à struc­tu­rer sa R&D pour créer des pro­duits ven­dus en volume, elle se rabat sur le ser­vice. C’est d’ailleurs le cas de l’industrie du logi­ciel open source qui, lorsqu’elle est basée en France, reste très orien­tée « ser­vices ». Seuls les fran­çais de l’open source qui sont par­tis aux USA ont réussi à adop­ter une approche pro­duit et volume, comme Talend qui est l’éditeur de logi­ciel fran­çais qui a levé le plus ces deux der­nières décen­nies avec plus de $60m.

Les entre­prises devraient aussi cer­tai­ne­ment balayer devant leur porte. Les pro­blèmes de com­pé­ti­ti­vité ne sont pas juste liés à la mal­chance, aux concur­rents impla­cables où à la règle­men­ta­tion et à la fis­ca­lité. Il y a aussi de piètres mana­gers non sanc­tion­nés, des erreurs de stra­té­gie non assu­mées et des orga­ni­sa­tions qui étouffent la créa­ti­vité ! La Dil­ber­ti­sa­tion de nos entre­prises est une véri­table plaie ! Ima­gi­nez une France sans ces mana­gers qui font que leurs col­la­bo­ra­teurs arrivent au tra­vail la peur au ventre tous les matins ! Une France où les grandes entre­prises paie­raient dans les temps leurs sous-traitants. Ca aussi, ce sont des pro­blèmes de ‘qualité’.

Les usines « rentables »

On avait eu droit en février 2012 à une pro­po­si­tion de loi, cosi­gnée par Fran­çois Hol­lande sur la reprise de sites genre Flo­range : les socié­tés qui s’en désen­ga­ge­raient auraient obli­ga­tion de vendre ces sites aux plus offrants, sous contrôle des Tri­bu­naux de Com­merce. La pro­po­si­tion, a été reprise à son compte par le gou­ver­ne­ment et le toni­truant Arnaud Mon­te­bourg. Elle réagis­sait à quelques cas iden­ti­fiés d’usines que leur pro­prié­taire, sou­vent étran­ger, ne sou­hai­tait pas for­cé­ment revendre. Dans la pra­tique, ces cas par­ti­cu­liers pou­vaient être réglés sans créer de loi, ou dif­fi­cile à régler même avec une loi.

Dans le cas de Flo­range, l’arrêt du haut four­neau était jus­ti­fié par Arcelor-Mittal par la décrue du mar­ché euro­péen. Je me demande bien qui pour­rait être inté­ressé à rache­ter un tel outil indus­triel en pareilles cir­cons­tances. Va vendre de l’acier avec une vieille acié­rie dans laquelle il faut réin­ves­tir énor­mé­ment et dans un mar­ché contrôlé par quelques oligopoles !

En fait, les usines ne sont jamais ren­tables en soi, ce sont les busi­ness qui le sont ! Un busi­ness com­prend en amont de la R&D, puis de la pro­duc­tion puis de la com­mer­cia­li­sa­tion et se situe dans un mar­ché. Celui-ci est mou­vant et demande une adap­ta­tion per­ma­nente. La concur­rence concerne à la fois les pro­duits et l’allocation des capi­taux au sein de l’entreprise. Si le mar­ché n’est pas là, que la com­mer­cia­li­sa­tion patine, l’usine pose pro­blème ! Même dans un grand groupe. Après, on passe dans un autre registre, celui de l’entreprise « citoyenne » qui prend en compte son rôle dans sa région et choi­sit d’y res­ter et de renou­ve­ler son outil de pro­duc­tion. Mais ceci ne peut fonc­tion­ner que si le mar­ché est en croissance.

R&D et inno­va­tion

Pour les élus et les déci­deurs poli­tiques, l’innovation est essen­tiel­le­ment la consé­quence des inves­tis­se­ments en R&D. Avec une vision très linéaire de l’innovation : on fait de la recherche, puis on la valo­rise avec des bre­vets, puis on créé des star­tups (ou pas), puis on vend le résul­tat. Cette démarche d’innovation est à rebrousse-poil du sens même de l’innovation qui est de répondre à des besoins exis­tants ou latents de clients poten­tiels. Avec une expé­ri­men­ta­tion qui n’est pas que tech­nique mais relève sur­tout de la confron­ta­tion au marché.

Tant que l’on n’a pas com­pris cela, rien ne peut avan­cer dans l’innovation. Et on met donc de l’argent public en palettes dans la R&D, avec le CIR, le grand emprunt et tout le tou­tim. C’est peut-être bien, mais c’est lar­ge­ment insuf­fi­sant. Ce n’est pas dans la R&D que la France ne va pas mais dans l’aval de l’innovation : le mar­ke­ting, l’orientation client, l’ambition et l’ouverture sur le monde !

On retrouve cette incom­pré­hen­sion dans les chan­ge­ments de prio­rité inces­sants sur la taille des entre­prises à aider ! Sous Sar­kozy, le mot avait était passé aux Minis­tères concer­nés d’aider les PME à deve­nir des ETI. En consé­quence de quoi les cré­dits, notam­ment chez Oséo Inno­va­tion, qui étaient des­ti­nés aux star­tups en phase de démar­rage et d’amorçage avaient été rognés. C’est encore le cas aujourd’hui.

Pour­tant, l’innovation est un pro­blème de plom­be­rie suf­fi­sam­ment simple : il faut ali­men­ter de manière conti­nue un tuyau en amont avec des pro­jets et des star­tups, et en aval, en récu­pé­rer le fruit avec des sor­ties indus­trielles ou des star­tups deve­nues des ETI voire plus. Si on coupe le robi­net à l’entrée du tuyau, ou que l’on réduit son débit par une régu­la­tion tatillonne ou pas manque de finan­ce­ments, et bien, quelques années plus tard, il ne sort plus rien du tuyau ! Fred Mon­ta­gnon en donne un bon exemple en fai­sant la com­pa­rai­son entre l’industrie auto­mo­bile en France il y a plus d’un siècle et le numé­rique aujourd’hui.

A droite comme à gauche, on passe aussi son temps à taper sur les grands groupes et leur faible taux d’imposition. Comme on a peu d’ETI (entre­prises de taille inter­mé­diaires), on se tire une autre balle dans le pied ! Nos grands groupes et notam­ment ceux qui exportent beau­coup (L’Oréal, l’Air Liquide, Total, etc) sont des atouts écono­miques pour la France. Ils ont un faible taux d’imposition par rap­port aux PME parce qu’une grande par­tie de leur acti­vité et de leurs plus-value écono­miques sont situées hors de France. Et aussi, certes, parce qu’ils font de l’optimisation fis­cale. Comme celle que l’on reproche à Google ! Leurs pro­fits en France sont faibles car le mar­ché fran­çais est par­ti­cu­liè­re­ment atone ! Les PME sont plus impo­sées car elles exportent moins. On va donc péna­li­ser ceux qui exportent plus ? Au lieu de pous­ser ceux qui exportent moins à s’internationaliser ?

Madame Michu est une spéculatrice !

Pre­nons l’exemple du Livret A qui est le véhi­cule d’investissement le plus popu­laire en France. Il y en a 46 mil­lions répar­tis sur 37 mil­lions de titu­laires, soient 57% des fran­çais toutes classes d’âges confon­dues. Il est actuel­le­ment rému­néré à 2,25% avec un encours de plus de 200 mil­liards d’Euros début 2012.

Depuis son ori­gine, le Livret A sert à finan­cer des pro­jets d’intérêt géné­ral et notam­ment dans l’habitat (HLM), qui repré­sentent un peu plus de la moi­tié de l’encours. Comme ces inves­tis­se­ments ne sont pas du tout ren­tables, l’autre moi­tié qui doit rap­por­ter au moins 4,5% est inves­tie « dans les mar­chés ». Où ça ? On trouve 11 Md€ en dette de la zone Euro notée entre AAA et BBB (ben oui, on ne va pas ris­quer de prê­ter aux grecs…) et 20 Md€ de dette fran­çaise. Il y a aussi envi­ron 47Md€ en obli­ga­tions, dont le ren­de­ment pro­vient des divi­dendes dis­tri­buées par les entre­prises, grandes pour la plu­part ! Celles du CAC 40 notamment !

Sans le savoir, Madame Michu se rému­nère sur le dos… d’elle-même puisque le ren­de­ment des obli­ga­tions d’Etat pro­vient du rem­bour­se­ment de la dette par les impôts, dont la TVA qui est la pre­mière source de finan­ce­ment de l’Etat. Quand cer­tains poli­tiques, sur­tout de gauche, réclament une aug­men­ta­tion de l’impôt sur les entre­prises du CAC 40, cela revient à se tirer une balle dans le pied puisque ces divi­dendes ali­mentent notam­ment le Livret A mais aussi l’Assurance Vie avec son encours de près de 1400 Md€ ! Ima­gi­nons la cas­cade d’événements : si vous dimi­nuez le ren­de­ment des entre­prises cotées, vous allez géné­rer des trans­ferts d’investissement vers des inves­tis­se­ments plus ren­tables. Où trou­ver mieux que les obli­ga­tions dont les divi­dendes sont ali­men­tés par ceux des grandes entre­prises ? Et bien… dans la spé­cu­la­tion et dans de la dette plus mal notée comme celle de l’Espagne ou de la Grèce. Eh oui, l’économie est un grand jeu de vases communicants !

Fonds de pen­sion et hedge funds

Il était fré­quent de dénon­cer les ren­de­ments que les « fons de pen­sion » atten­daient de leurs inves­tis­se­ment, « de l’ordre de 15% », ce qui expli­quait les « licen­cie­ments finan­ciers ». Alors que le ren­de­ment des fonds de pen­sion ne dépasse géné­ra­le­ment pas les 5 à 7%. Ils recherchent un inves­tis­se­ment à ren­de­ment garanti car ils financent les retraites du public et du privé dans les pays anglo-saxons avec des ver­se­ments régu­liers. On ne peut pas avoir un ren­de­ment garanti et 15% dans la durée. C’est incom­pa­tible. C’est un fantasme.

Et les encours des fonds de pen­sion sont bien plus impor­tants en volume que ceux des hedge funds. Seuls ces der­niers recherchent des ren­de­ments élevés. Petits ordres de gran­deur : les fonds de pen­sion gère­raient $20 000B d’actifs (20 tril­lions de dol­lars) soit envi­ron 10 fois plus que les hedge funds !

Exi­lés fiscaux

Inté­grons au pas­sage l’argumentaire de bien mau­vaise foi sur l’inutilité du bou­clier fis­cal « qui n’a pas fait reve­nir en France d’exilés fis­caux ». L’histoire a mon­tré que ces exi­lés fis­caux avaient bien rai­son de ne pas bou­ger ! Et pour cause, c’est à la fois le niveau comme la forme de la taxa­tion (IR + ISF) et sur­tout son insta­bi­lité chro­nique qui dis­suadent les exi­lés de revenir.

Sans comp­ter que l’on ne change pas de vie comme on change de che­mise en fonc­tion d’une simple loi de finances (celles de 2008 en l’occurrence, avec le fameux bou­clier fis­cal à 50%). Et ceux qui sont très mobiles peuvent repar­tir aus­si­tôt que le temps (fis­cal) se couvre, ce qui n’est pas l’effet de long-terme recherché !

L’Etat, répar­ti­teur de la valeur dans le privé !

Plus récem­ment, nous avons aussi eu cette pro­po­si­tion de taxer Google pour finan­cer la presse écrite sous pré­texte que Google leur « prend » de la valeur. Belle incom­pré­hen­sion de la chaine de valeur ali­men­tée par les syn­di­cats de la presse écrite et cette fois-ci, pas par nos énarques de Bercy !

Quand on y regarde de plus près…

Google News ne publie que les titres et les pre­mières lignes des articles des sites de news, en uti­li­sant le droit à la cita­tion et génère des liens entrants vers les sites. Il en va de même du lec­teur de flux RSS Google Rea­der, qui per­met de consul­ter le contenu des articles qui sont publiés à la norme RSS par les sites. C’est le choix des sites de dif­fu­ser l’intégralité ou pas de leurs articles dans leurs flux RSS.

Dans les deux cas, Google apporte du tra­fic aux sites de news. Il n’y a pas de publi­cité sur Google News (à ce jour) et il y en a sur les sites de news qui béné­fi­cient donc de ces liens. La presse vou­drait donc être payée par Google alors que c’est Google qui lui génère du tra­fic ? On marche sur la tête !

Les deux tiers du chiffre d’affaire de Google pro­viennent des AdWords. Ceux-ci sont géné­rés par des publi­ci­tés contex­tuelles pla­cées sur nos résul­tats de recherche. Or ces publi­ci­tés ont plus de chances d’apparaitre et d’avoir de la valeur lorsque les termes de la recherche cor­res­pondent à des marques, des ser­vices ou des pro­duits qu’à des événe­ments cou­verts par la presse. En d’autres termes, les news génèrent peu d’opportunités publi­ci­taires de type AdWords. C’est très bien expli­qué par Fré­dé­ric Filloux dans Mon­day Note.

Le der­nier tiers du CA de Google pro­vient de AdSense, sa régie publi­ci­taire qui place des annonces dans des sites tiers. Mais rare­ment dans les grands médias qui passent par d’autres agences de publi­cité com­mer­cia­li­sant des ban­nières dites « pre­mium », bien plus chères que les annonces dif­fu­sées via Google AdSense.

Alors, à qui Google prend-il de la valeur avec ses AdWords ? Il la capte sur­tout aux annuaires à l’ancienne type « Pages Jaunes ». Il a contri­bué à faire gran­dir ce mar­ché par son côté géné­rique, ins­tan­tané et transnational.

Et la perte de valeur écono­mique liée au pas­sage au numé­rique a affecté tous les médias et pas seule­ment la presse écrite ! Deman­dez aux indus­tries de la musique ! C’est vrai aussi de la télé­vi­sion : les sites en ligne avec la TV de rat­tra­page sont bien moins moné­ti­sables que la pub clas­sique à la TV. Google n’y est pour rien même si You­Tube capte aussi du temps utilisateur.

La force de Google vient de ce que les pubs liées à AdWords sont les plus contex­tuelles : elles sont basées sur la demande de l’utilisateur. Pour toutes les autres pubs, les sites et régies publi­ci­taires cherchent à devi­ner les besoins de l’utilisateur. Cela explique pour­quoi le revenu par uti­li­sa­teur de Google (supé­rieur à $30/u/mois) est envi­ron dix fois plus élevé que le revenu par uti­li­sa­teur de tout autre site web financé par la publi­cité. Face­book est à envi­ron $5.

Le gou­ver­ne­ment fran­çais sou­haite donc « par­ta­ger la valeur » dans la créa­tion de conte­nus. Un peu comme quand, à droite, on taxait les opé­ra­teurs télé­coms pour finan­cer l’arrêt de la publi­cité en prime time sur France Télé­vi­sions. Bref, la redis­tri­bu­tion en France consiste à finan­cer des choux avec des carottes ! Ce n’est pas la créa­tion d’un nou­veau « droit voi­sin » qui est récla­mée mais plu­tôt celle d’un « droit éloi­gné »… ! Tant qu’on y est, on pour­rait aussi deman­der à Google de finan­cer les pho­to­graphes pro­fes­sion­nels qui crèvent la dalle ! Bien oui, Google Image leur fait tant de mal ! Mais leurs syn­di­cats pro­fes­sion­nels sont moins puis­sants que ceux de la presse…

On pour­rait dans la même veine aussi taxer les éditeurs de logi­ciels pour finan­cer les socié­tés de ser­vices en infor­ma­tique. En effet, les pre­mières qui vont bien ont un résul­tat net supé­rieur à 20% de leur CA tan­dis que les secondes atteignent dif­fi­ci­le­ment la moi­tié. Elles ne pleurent pas pour autant car elles sont en géné­ral pro­fi­tables. Bien oui, les pla­te­formes sont tou­jours plus pro­fi­table que les appli­ca­tions et les conte­nus. Et depuis des décen­nies ! Et on est bien faible en créa­tion de pla­te­formes en France, c’est là le nœud du problème !

Le comble est que cette his­toire est allè­gre­ment mélan­gée avec la ques­tion de l’évasion fis­cale de Google vers l’Irlande, qui concerne de nom­breuses socié­tés amé­ri­caines. C’est une ques­tion qui n’a rien à voir avec celle de la répar­ti­tion de la valeur avec la presse écrite ! Que Bercy fasse son bou­lot pour taxer ces boites conve­na­ble­ment sans pour autant les faire fuir de France !

Que faire ?

Com­ment chan­ger la donne ? Com­ment faire com­prendre que les emplois ne sont pas créés par les poli­tiques ni ne naissent dans les choux ? Com­ment mon­trer que ceux-ci dépendent avant tout d’entrepreneurs qui prennent des risques et pas d’une finance invi­sible et rapace ? Que l’innovation ne passe pas par le « tout Etat » ?

Le débo­gage de l’économie fran­çaise com­mence très en amont, au niveau de l’enseignement pri­maire et secon­daire. Aujourd’hui encore, l’économie y est pré­sen­tée sous l’angle de la lutte des classes et des tra­vailleurs contre le grand capi­tal. C’est tou­jours Ger­mi­nal ! Le sujet est géné­ra­le­ment traité en creux. Pour ne prendre qu’un exemple, Edi­son y est plus faci­le­ment pré­senté comme un inven­teur que comme un entre­pre­neur, à l’origine d’une petite entre­prise qui s’appelle Gene­ral Elec­tric ! Il n’est pas éton­nant que les jeunes soient démo­ti­vés : l’enseignement leur apprend à quel point le sta­tut de sala­rié est alié­nant – ce qui n’est pas faux – mais ne les encou­rage pas pour autant à entre­prendre ! Et on est le pays où l’on a le plus de jeunes qui aspirent à deve­nir fonc­tion­naires. Heu­reu­se­ment, il existe des ini­tia­tives comme « 100000 entre­pre­neurs » qui font le lien entre le secon­daire et les entre­prises. La même ques­tion se pose pour les sciences, bien délais­sées par les jeunes, comme l’explique si bien André Bra­hic dans « La science, une ambi­tion pour la France ».

Il fau­drait aussi que nos énarques et poli­tiques passent plus de temps dans les entre­prises, petites comme grandes. Pour y arri­ver, il fau­drait sérieu­se­ment réfor­mer le sys­tème et notam­ment réduire intel­li­gem­ment le cumul des man­dats. On pour­rait per­mettre aux sala­riés et cadres de faire de la poli­tique au même titre qu’ils peuvent être syn­di­ca­listes. Avec une sorte de mi-temps ou de « congé d’élu » (sur­tout natio­nal) ? Et dans le même temps, réduire cette sécu­rité abu­sive de l’emploi qui pro­tège les membres de ces grands Corps de l’Etat. Cette sécu­rité explique pour­quoi tant de nos ténors poli­tiques sont énarques ! Quand ils perdent les élec­tions, ils retournent dans leur Corps d’origine et sont payés même s’ils n’ont pas de véri­table emploi. Ce serait plus fort qu’un simple stage en entre­prise dans la for­ma­tion de l’ENA.

Les médias « chauds » (radio, télé­vi­sion) devraient aussi pour­suivre le déve­lop­pe­ment de l’usage du fact-checking face aux inep­ties écono­miques des uns et des autres. On en est encore loin. Les débats d’une émis­sion comme « C’est dans l’air » de Yves Calvi sont bien trop mar­gi­naux. J’ai vu que ce fact-checking avait aussi court dans « C poli­tique », une autre émis­sion de France 5. Fleur Pel­le­rin l’a expé­ri­menté lors de son inter­ven­tion du dimanche 4 novembre 2012 au sujet du coût du tra­vail en Europe.

Enfin, d’une manière géné­rale, nos élites devraient s’ouvrir un peu plus sur le monde. Le bench­mar­king quali et quanti reste une bonne méthode pour s’améliorer, même si l’on ne peut pas tout reprendre des poli­tiques écono­miques de chaque pays. Les USA ne sont par exemple pas une réfé­rence en terme de poli­tique de santé publique.

La révolte des pigeons n’est que la face émer­gée d’un gros ice­berg sur l’incompréhension entre les sphères écono­miques et les sphères politico-médiatiques. Il est temps que cela change !

L’histoire pourrait-elle se répé­ter ? Nous sommes à la fois en 1981 et en 1983. En 1981 du fait de l’idéologie du moment en vigueur au gou­ver­ne­ment et sur­tout à l’Elysée. Mais en 1983 car sous l’effet d’une rigueur et d’une déva­lua­tion … cette fois-ci fis­cale, comme décrite par quatre écono­mistes dont Phlippe Aghion et Elie Cohen. Nous pour­rions être d’ici moins de deux ans ans, comme en 1985, avec un gou­ver­ne­ment qui redo­rera le bla­son des entre­pre­neurs comme l’avait fait Mit­ter­rand en son temps.

Rêvons un peu…

(Olivier Ezratty – Blog Opinions libres)

{jacomment on}

S’abonner
Notifier de

0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments
gallois2
Article précédent

Rapport Gallois : l'avis du Comité Richelieu

ayrault2
Prochain article

Le Pacte Ayrault décrypté : quelles mesures pour aider l'innovation ?

Derniers articles de Archives économie de l'innovation

REJOIGNEZ

LE CERCLE DE CEUX QUI VEULENT COMPRENDRE NOTRE EPOQUE DE TRANSITION, REGARDER LE MONDE AVEC LES YEUX OUVERTS. ET AGIR.
logo-UP-menu150

Déjà inscrit ? Je me connecte

Inscrivez-vous et lisez trois articles gratuitement. Recevez aussi notre newsletter pour être informé des dernières infos publiées.

→ Inscrivez-vous gratuitement pour poursuivre votre lecture.

REJOIGNEZ

LE CERCLE DE CEUX QUI VEULENT COMPRENDRE NOTRE EPOQUE DE TRANSITION, REGARDER LE MONDE AVEC LES YEUX OUVERTS ET AGIR

Vous avez bénéficié de 3 articles gratuits pour découvrir UP’.

Profitez d'un accès illimité à nos contenus !

A partir de 1.70 € par semaine seulement.

Profitez d'un accès illimité à nos contenus !

A partir de $1.99 par semaine seulement.
Partagez
Tweetez
Partagez
WhatsApp
Email
Print