Les climatologues sont de plus en plus préoccupés par le fait que les vagues de chaleur extrêmes en Europe se produisent plus rapidement que ce que les modèles avaient suggéré, ce qui indique que la crise climatique sur le continent européen pourrait être encore pire que ce que l’on craignait. Parmi les raisons de plus en plus précises qui sont à l’origine de ces canicules estivales, le dérèglement du jet-stream semble une cause majeure, pourtant encore trop peu prise en compte par les modèles climatiques.
Le Dr Friederike Otto, de l’Imperial College de Londres, a observé qu’une température de 40°C dans la capitale britannique « aurait été extrêmement improbable ou pratiquement impossible sans le changement climatique causé par l’homme ». « Le changement climatique est à l’origine de cette vague de chaleur, comme il l’est de toutes les vagues de chaleur actuelles », a-t-elle ajouté au Guardian. « Les émissions de gaz à effet de serre, provenant de la combustion de combustibles fossiles comme le charbon, le gaz et le pétrole, rendent les vagues de chaleur plus chaudes, plus longues et plus fréquentes. »
Les modèles climatiques désarçonnés par les séries actuelles de records météo
Les climatologues craignent que l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes ne se produise plus rapidement que prévu. « En Europe, les modèles climatiques sous-estiment effectivement l’évolution des extrêmes de chaleur par rapport aux observations », remarque Mme Otto. « Il y a encore des problèmes avec les modèles climatiques que nous ne comprenons pas encore très bien ».
Le professeur Michael Mann, de l’université d’État de Pennsylvanie aux États-Unis, abonde en soulignant que « des processus qui ne sont pas bien saisis dans les modèles mais qui se déroulent dans le monde réel comme par exemple le dérèglement du jet-stream causé par le réchauffement global conduisent à un grand nombre des vagues de chaleur extrêmes, des inondations, des sécheresses et des incendies de forêt ». Nous les observons en ce moment même. « Cela suggère que les modèles, si tant est qu’il y en ait, sous-estiment le potentiel d’augmentation future de divers types d’événements extrêmes » poursuit-il.
Selon le professeur Stefan Rahmstorf, de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact du climat, en Allemagne, « L’Europe est un point chaud pour les canicules, avec des tendances à la hausse trois à quatre fois plus rapides que dans le reste des latitudes moyennes du nord. La raison ? Des changements dans le jet-stream ». Sans compter, le ralentissement d’un courant clé de l’océan Atlantique formant ce que l’on appelle le Gulf Stream qui tend à accroître la chaleur et la sécheresse estivales en Europe.
New study: Europe is a heatwave hotspot, exhibiting upward trends that are three-to-four times faster compared to the rest of the northern midlatitudes.
The reason: changes in the jet stream.https://t.co/ml7qNWAUmf— Prof. Stefan Rahmstorf 🌏🇺🇦 (@rahmstorf) July 5, 2022
Le jet-stream ne tourne plus rond
Le jet-stream, ou courant-jet, fait le tour de l’hémisphère nord, tourbillonnant jusqu’à 15 km au-dessus de nos têtes, comme une couronne éthérée et incurvée sur la planète. Cette bande de vent fort sépare l’air froid de l’Arctique de l’air plus chaud du sud, et elle est responsable du transport du temps d’ouest en est à travers les États-Unis, au-dessus de l’Atlantique et en Europe. C’est ce jet-stream qui contrôle le degré d’humidité et de chaleur de ces régions. Plusieurs études scientifiques publiées récemment nous alertent sur l’allure de plus en plus sinusoïdale de ce courant, oscillant à l’envi du Nord au Sud.
Une étude publiée ce 4 juillet dans la revue Nature établit un lien direct entre le dérèglement du jet-stream et les vagues de chaleur intenses que nous visons en Europe occidentale. Les chercheurs démontrent qu’en plus des facteurs thermodynamiques habituels, les changements dynamiques de l’atmosphère contribuent à l’augmentation du nombre de vagues de chaleur en Europe, ce qui a des implications pour la gestion des risques et les stratégies d’adaptation potentielles.
Une autre étude d’importance confirmait bien que le jet-stream est gravement perturbé : il se déplace vers le nord à mesure que les températures mondiales augmentent. « Le début de la migration du jet-stream vers le nord a déjà commencé », affirme Matthew Osman, chercheur au Climate Systems Center de l’université de l’Arizona et coauteur de l’étude. Cela a des conséquences désastreuses sur les conditions météorologiques dans l’hémisphère nord, entraînant des événements extrêmes tels que des sécheresses et des vagues de chaleur dans le sud de l’Europe et l’est des États-Unis.
Un jet-stream migrateur
Le courant-jet de l’Atlantique Nord existe et est maintenu en place grâce au choc entre l’air chaud qui remonte des tropiques vers le nord et l’air froid de l’Arctique. Lorsque ces masses d’air se rencontrent, elles se déplacent vers l’est à une vitesse pouvant atteindre 360 kilomètres par heure, sous l’effet de la rotation de la Terre.
Mais l’augmentation de la température de l’air perturbe ce mouvement. L’Arctique se réchauffe deux fois plus vite, en moyenne, que le reste de la planète. L’air chaud se déplace donc plus au nord avant de trouver de l’air froid, ce qui conduit la position du jet-stream à migrer vers des latitudes plus élevées.
Matthew Osman fait remarquer que le jet-stream est capricieux ; l’emplacement de la bande se déplace constamment au fur et à mesure que le différentiel de température qui le provoque fluctue. Les résultats de son étude ont montré que le mouvement actuel de la bande de vent menace de dépasser tous les déplacements précédents. Il devrait s’écarter considérablement de la norme, avec des conséquences potentiellement dévastatrices. « En poussant le courant-jet en dehors de sa plage naturelle déjà importante, nous pourrions nous exposer à des risques climatiques de plus en plus graves à l’avenir », a-t-il déclaré.
Davantage de sécheresses et d’inondations à venir
L’étude d’Osman suggère que la migration du jet-stream entraînera probablement un réchauffement plus rapide de la côte Est des États-Unis. Et l’Amérique du Nord comme l’Europe connaîtront davantage de sécheresses et de vagues de chaleur. « L’Europe, située en aval du courant-jet de l’Atlantique Nord, ressentira ces effets de manière plus aiguë », observe M. Osman. En particulier, les régions semi-arides du sud de l’Europe pourraient devenir plus arides. Nous commençons, en cet été 2022, parmi les plus chauds jamais enregistrés à en voir les manifestations.
Les régions du nord de l’Europe qui ont déjà un climat plus humide et plus doux, comme la Scandinavie, pourraient quant à elles devenir encore plus humides. Ces précipitations supplémentaires entraîneraient davantage d’inondations, comme celles qui ont frappé l’Europe à la fin de l’été 2021.
Des changements dans le courant-jet pourraient aussi affecter le vortex polaire
Certains scientifiques pensent que le réchauffement rendra également le jet-stream plus instable qu’il ne l’est déjà. La trajectoire du jet-stream est sinueuse et sinusoïdale, car tout l’air chaud ne se déplace pas vers le nord au même rythme, et tout l’air polaire ne se déplace pas uniformément vers le sud. D’où les nombreuses vagues dans la bande de vent.
Mais une étude publiée en septembre 2021 suggérait que la fonte de la glace de mer arctique pourrait augmenter l’intensité et la taille de ces bourrelets déviants. Lorsque la glace de mer fond, davantage de chaleur et d’humidité se déplacent de la surface de la Terre vers l’espace. Cela agit comme un rocher jeté dans l’étang de l’atmosphère – il crée de fortes ondulations au-dessus de l’Arctique qui déforment le courant-jet. Cela crée des ondulations qui poussent l’air extraordinairement froid vers l’équateur.
Par conséquent, un courant-jet plus ondulé augmente les chances de tempêtes hivernales intenses et de vagues de froid non seulement aux États-Unis mais aussi en Europe. « Si l’ondulation du jet-stream augmente à l’avenir, cela pourrait impliquer que des événements extrêmes aussi bien dans le froid que dans la chaleur pourraient devenir plus fréquents », alerte Matthew Osman.