L’institut Giacometti présente l’exposition « Jardins de rêves » qui associe de manière inédite le travail d’Alberto Giacometti et de Salvador Dalí autour de la création d’un jardin imaginaire tout au début des années 1930. L’exposition explore les liens profonds entre les toiles oniriques de Dalí et les sculptures énigmatiques de Giacometti, habitées par une même recherche autour du paysage, de la sexualité et du songe.
Giacometti et Dalí, membres du groupe surréaliste, fréquentent alors les mêmes cercles. L’échange entre eux est vif, intellectuel, créatif, et leurs œuvres entrent dans un dialogue fécond. Cette exposition met en lumière leur amitié ainsi que leur goût commun pour l’exploration d’espaces rêvés.
Au début des années 1930, Giacometti et Dalí imaginent en commun un jardin extraordinaire pour le vicomte et la vicomtesse de Noailles. Ce projet à quatre mains, connu par des dessins, comporte des œuvres surréalistes de Giacometti dans un vaste paysage onirique caractéristique du style de Dalí. Ce paysage fantasmé intègre aussi un environnement sculptural conçu par Giacometti pour un espace en plein air, le Projet pour une place.
A l’occasion de cette exposition, l’Institut Giacometti présente pour la première fois la reconstitution du Projet pour une place. Installation de grande ampleur, ce chef-d’œuvre élaboré en 1931, illustre la conception du jardin que partagent Giacometti et Dalí et leur goût pour les formes ainsi que les images ambigües…
Des prêts exceptionnels montrent les échos de cette thématique dans les peintures, sculptures et dessins des deux artistes. Des œuvres majeures du peintre catalan telles que La Vache spectrale (1928, Centre Pompidou, musée national d’art moderne), La Mémoire de la femme-enfant (1929, Musée Reina Sofia, Madrid), Ensemble masochiste (1931, collection privée), et Femme à tête de roses (1935, Kunsthaus, Zürich), font écho aux œuvres surréalistes du sculpteur suisse.
Salvador Dalí et Alberto Giacometti. Affinités électives
Salvador Dalí et Alberto Giacometti se rencontrent au sein des cercles surréalistes qui gravitent autour de Marie-Laure et Charles de Noailles. Grands mécènes et collectionneurs d’art ancien et moderne, sensibles aux formes artistiques les plus avant-gardistes et provocantes de leur temps, ceux-ci soutiennent les projets cinématographiques de Luis Buñuel et Dalí (Un chien andalou, 1929, L’Âge d’or, 1930), et acquièrent parmi les premiers plusieurs peintures du peintre espagnol et des Giacometti.
Ils commandent à ce dernier une sculpture pour le jardin de leur Villa de Hyères, qui sera exécutée au printemps 1931. En juin de la même année, Dalí découvre, fasciné, la Boule suspendue (en bois) que Giacometti expose, accompagnée d’une maquette d’un Projet pour une place (en bois, visible dans la grande salle), dans une exposition collective à la Galerie Pierre.
La relation entre les deux hommes connaît sa plus grande intensité au cours de cette année 1931-1932. Les sculptures de Giacometti stimulent l’inventivité théorique de Dalí qui publie en décembre 1931 son essai sur les « Objets à fonctionnement symbolique », définissant la sculpture surréaliste. Peut-être à l’invitation des Noailles, Dalí et Giacometti imaginent un jardin extraordinaire pour une de leurs villas. Biomorphique, usant de jeux d’illusions, apte à susciter de multiples sensations physiques et à stimuler l’imaginaire fantasmatique, ce « parc » de rêve dessiné par Dalí intègre des œuvres agrandies de Giacometti, dont le Projet pour une place qu’on appelle alors « Projet pour un jardin ». L’un comme l’autre cherche à créer, de manière inédite des sculptures sur lesquelles on marche, que l’on manipule, que l’on déplace, avec lesquelles on joue, laissant parler librement l’inconscient et les plaisirs corporels.
Les affinités sont nombreuses entre les deux hommes dont les œuvres se répondent sur bien des aspects dès la fin des années 1920, tous deux attachés à une expérience radicale de vision et d’exploration des pulsions, habités par une même recherche autour du paysage, de la sexualité et du songe. Après leur rencontre, ce jeu de regard croisé s’intensifie, à la mesure de l’estime stimulante qu’ils éprouvent l’un pour l’autre et qui traverse les différentes crises que rencontre le mouvement surréaliste : Affaire Aragon en 1932, qui engage l’histoire complexe des relations entre le mouvement surréaliste et le Parti communiste ; affaire du Guillaume Tell en 1934, une peinture de Dalí qui montre Lénine, la fesse transformée en long pénis mou (Giacometti soutient Dalí face à Breton) ; rupture finale de Giacometti avec le mouvement en 1935.
Mais le surréalisme revendique toujours les deux artistes, les rassemblant, même après cette date, dans diverses expositions. Ils se retrouvent aussi dans le cercle du décorateur Jean-Michel Frank et de la couturière Elsa Schiaparelli.
La reconstitution documentaire du Projet pour une place est une expérience inédite rendue possible par l’exposition. Giacometti, probablement au cours de l’année 1931- 1932, réalise une maquette en plâtre (aujourd’hui disparue) et une maquette en bois (Collection Peggy Guggenheim, Venise) de petite taille, puis une maquette de grand format en plâtre dont seul le Cône subsiste (Centre Pompidou, musée national d’art moderne).
Un important travail documentaire réalisé par la Fondation Giacometti à partir des archives et carnets de l’artiste a permis de reconstituer les éléments disparus et de recréer une version de la grande maquette Le Projet pour une place de Giacometti a été maintes fois commenté. Trois interprétations sont communément admises. Il s’agirait d’une représentation symbolique du jardin d’Éden et de l’épisode du serpent tentateur descendu de l’arbre (la Stèle) ou sortant de terre (le Creux sur la maquette), Adam (le Cône) et Ève (la Demi Sphère) se tenant de part et d’autre. Cette interprétation révèle l’inquiétude sourde associée à la sexualité et le sentiment de danger qui émanent indirectement du Projet, exploités dans les textes de Dalí et de Giacometti publiés dans les revues surréalistes de l’époque. Elle entraîne une seconde lecture : celle d’un paysage sexuel, protubérances péniennes et mammaires alternant avec des creux. La dernière interprétation du Projet est celle d’une image double, selon une logique « paranoïaque » au sens où Dalí l’entend, et sur le modèle de la Tête Paysage. On y a vu un visage émergeant du sol (front/ menton, nez, orbite/globes oculaires). Ces deux dernières lectures font écho à d’autres œuvres contemporaines de Giacometti, telle Trois yeux, deux bras.
Commissaire d’exposition : Émilie Bouvard
Exposition « Alberto Giacometti / Salvador Dalí. Jardins de rêves », du 13 décembre 2022 au 9 avril 2023 à l’Institut Giacometti – 5, rue Victor Schœlcher – 75014 Paris
(Ouvert du mardi au dimanche 10h – 18h / Fermeture hebdomadaire le lundi)
- Un ouvrage de 192 pages, richement illustré, co-édité par la Fondation Giacometti et FAGE éditions, Lyon, bilingue français/anglais, accompagne l’exposition.
- L’exposition sera présentée au Kunsthaus Zürich, en Suisse, du 14 avril au 2 juillet 2023.
Commissaires : Émilie Bouvard et Philippe Büttner - Photo d’en-tête : Affiche de l’exposition
– Image de droite : Salvador Dalí, Femme à tête de roses, 1935 – Huile sur bois / 35 x 27 cm
Kunsthaus Zürich © Fundació Gala-Salvador Dalí, Figueres 2022/Adagp, Paris 2022
– Image de gauche : Alberto Giacometti, Trois figures à Maloja, c. 1931
Photo : anonyme
Fondation Giacometti © Succession Alberto Giacometti / Adagp, Paris 2022