Un possible confinement (1) est évoqué en cas de tensions dans la distribution de l’électricité qui, même limité et raisonné, entravera la continuité de la vie publique avec une incidence d’autant plus forte sur les personnes en situation de vulnérabilité sociale. Selon quels critères arbitre-t-on des choix parfois vitaux qui altèrent les principes de solidarité au fondement de notre pacte social ? Doit-on postuler que les renoncements tacites aux règles du vivre ensemble nous ont habitué à consentir sans réticence ou opposition à la déclinaison des mesures édictées par un état d’exception que la gravité des circonstances imposerait demain ? Plutôt que les fragiles promesses d’une illusoire sauvegarde de ce qui de toute évidence doit être reconsidéré au regard d’impératifs dont on ignore ce qu’en seront les contraintes dans notre quotidien, ne devrait-on pas envisager une méthode de gouvernance, d’explication et de concertation qui permette la confiance et l’unité nationale indispensables à l’acceptation des décisions politiques et des contraintes aussi redoutées et difficiles soient-elles ? Accepterons-nous les décisions et les contraintes aussi redoutées et difficiles soient-elles ?
Une crise internationale multifactorielle inédite
Dans son édition du 26 novembre 2022, The Economist [2] présentait une estimation des conséquences de la pénurie d’énergie sur la mortalité des personnes âgées. Si la prudence s’impose dans l’approche de toute projection statistique, les 100 000 décès anticipés dans cette étude constituent un indicateur significatif. Au regard des 2.283 millions morts sur le continent européen des suites du SARS-CoV-2 [3], à n’en pas douter nombre d’arguments pourront être avancés pour donner à penser qu’il s’agit de personnes déjà en situation de fragilité, ne représentant donc pas un enjeu prioritaire au regard d’autres défis. Car il semble probable que des choix s’imposeront, probablement d’une ampleur et avec des conséquences d’une intensité à laquelle aucune concertation publique ne nous prépare.
Une crise internationale multifactorielle inédite dont on ne mesure pas encore les renoncements et les sacrifices qu’elle nous imposera s’ajoute aux inquiétudes suscitées par la réémergence du SARS-CoV-2 qui, ces deux dernières années, a éprouvé nos sociétés. Sait-on au juste ce qu’auront été les impacts de la pandémie sur les équilibres fondamentaux de notre vie démocratique, dès lors que les pouvoirs publics n’ont pas voulu prendre le temps d’un retour d’expérience qui nous aurait été précieux aujourd’hui ?
L’hôpital public dépenaillé, les établissements médico-sociaux précarisés, la désespérance des professionnels de l’humain et du lien social, la crise des vocations et des engagements par déficit de sens et équivoques portant sur l’idée d’esprit public, les rigidités partisanes sont autant d’indices révélateurs d’un appauvrissement de la vie démocratique. Aucune initiative sérieuse n’a permis de nous réparer, de nous retrouver dans la cohésion et la cohérence d’un projet de société.
Le Conseil national de la refondation intervient tardivement et sur des registres qui produiront peut-être des horizons d’évolutions, pour autant que nous trouvions dans l’immédiat les capacités de stratégies auxquelles la société dans la diversité de ses composantes accepte d’adhérer ou soit en capacité de consentir. Dans un contexte de controverses qui accentuent la défiance à l’encontre des responsables politiques, des légitimités et des expertises, saura-t-on se rassembler pour défendre nos essentiels ?
C’est à tâtons, tentant sans trop convaincre de commenter des événements complexes et incontrôlables en rupture avec nos modes de pensée et nos valeurs de référence, que le gouvernement s’efforce de préserver les apparences d’une capacité d’initiative pourtant dépendante de facteurs qu’il ne maîtrise pas.
Il ne s’agit plus de se dissiper en critiques dénonçant l’impréparation par manque d’intelligibilité du réel et d’anticipation, dès lors que l’impensable fait irruption dans un quotidien dont on redoute qu’il soit pourvu de ressources suffisamment robustes pour nous épargner le pire.
Il serait certes rassurant d’évoquer la mobilisation et l’agilité de la société civile pour limiter les ravages du SARS-CoV-2, même si nous sommes endeuillés par 158 950 morts [4] et que dans trop de domaines les conséquences de ces temps de souffrance et de précarisation marqueront durablement nombre d’entre nous.
Toutefois qu’avons-nous fait de cette expérience qui en appelait à des constats et à des mutations profondes dont l’urgence s’imposait aux décideurs politiques ? Ne devaient-ils comprendre que nous avions vécu au plan international la préfiguration d’autres crises, d’autres formes de dérégulations et de confrontations à l’extrême dont deux années durant nous pouvions évaluer les risques à l’aune de nos capacités individuelles et collectives d’y faire face ? Plutôt que de diffuser une culture préventive de la préparation aux menaces humaines, technologiques et planétaires multiples qui compromettent notre devenir au point d’imposer aux populations les plus démunies des stratégies de survie, l’irrésolution et la croyance magique nous détournent de la lucidité et d’un volontarisme dont nous devrions débattre et qu’il y aurait urgence à assumer. De telle sorte que contre l’évidence de la recrudescence des contaminations du SARS-CoV-2 les autorités publiques tergiversent à propos de l’obligation du port du masque, préférant des résolutions solennelles maintenant l’interdiction de la réintégration de quelques soignants non vaccinés, alors qu’il pourrait être demain opportun d’envisager une obligation vaccinale pour tous.
N’est-il pas temps d’impliquer notre société dans une mobilisation ?
Les contours du sinistre se précisent jour après jour, en dépit du déni de l’évidence ou de la tentation de relativiser les menaces et d’y opposer des parades dont on pressent l’inanité. Mesures après mesures, les sacs de sable s’empilent ainsi sur les rives pour éviter l’embourbement ou la submersion qui déjà désagrège la crédibilité des promesses ou des croyances politiques. Seront-elles tenables et efficaces à moyen terme, alors qu’elles relèvent d’un cumul d’impératifs et de défis d’une même gravité qu’il s’agisse de géopolitique, de continuité de la vie de la nation, de sécurité, d’économie, d’environnement, d’énergie, d’alimentation, de paix et de justice sociales, d’accès aux soins, pour ne pas mentionner tant d’autres aspects essentiels de nos urgences et des valeurs républicaines ?
Un possible confinement est évoqué en cas de tensions dans la distribution de l’électricité qui, même limité et raisonné, entravera la continuité de la vie publique avec une incidence d’autant plus forte sur les personnes en situation de vulnérabilité sociale. Doit-on rappeler qu’une telle restriction est déjà intégrée à nombre de pratiques dans les services publics comme c’est le cas à l’hôpital lorsque les examens ou les interventions sont déprogrammés de manière routinière, faute de moyens ? Selon quels critères arbitre-t-on des choix parfois vitaux qui altèrent les principes de solidarité au fondement de notre pacte social ? Doit-on postuler que les renoncements tacites aux règles du vivre ensemble nous ont habitué à consentir sans réticence ou opposition à la déclinaison des mesures édictées par un état d’exception que la gravité des circonstances imposerait demain ?
Le 29 novembre 2022, la Première ministre affirmait à l’Assemblée nationale que le recours nécessaire au port de masque du fait d’une recrudescence du SARS-CoV-2 ne justifiait aucune règle contraignante : « Les Français ont toujours répondu à l’appel de la responsabilité. Je n’ai aucun doute qu’ils le feront de nouveau. » Et s’il en était autrement et que les crises actuelles nous astreignaient au devoir de dispositifs d’une toute autre nature que la sobriété énergétique incitative, ne serait-ce que parce que le principe de responsabilité ne résistait pas aux stratégies individualistes, au désordre du « sauve qui peut » ou à la défiance à l’égard de l’autorité publique ?
Si une crise démocratique provoquait la rupture du maillon qui maintient encore l’unité nationale, aboutissant à un chaos que les ennemis de nos démocraties organisent avec un esprit de méthode, une résolution idéologique et une capacité de démembrer ce qui pour nous fait sens et société, ce qui nous a permis par le passé d’affronter la barbarie ?
N’est-il pas temps d’impliquer notre société dans une mobilisation des esprits, des savoirs, des compétences et des solidarités qui permettrait, en lucidité et en responsabilité, d’être en capacité d’affronter, chacun à sa juste place, des défis et des menaces qui sollicitent l’engagement de tous ? Plutôt que les fragiles promesses d’une illusoire sauvegarde de ce qui de toute évidence doit être reconsidéré au regard d’impératifs dont on ignore ce qu’en seront les contraintes dans notre quotidien, ne devrait-on pas envisager une méthode de gouvernance, d’explication et de concertation qui permette la confiance et l’unité nationale indispensables à l’acceptation des arbitrages politiques, des décisions et des contraintes aussi redoutés, rigoureux et difficiles soient-ils ?
Emmanuel Hirsch, Professeur émérite d’éthique médicale, université Paris-Saclay
Auteur de Une éthique pour temps de crise (éditions du Cerf)
[1] Vers un confinement énergétique ? https://www.europe1.fr/economie/coupures-delectricite-la-circulaire-adressee-aux-prefets-fait-froid-dans-le-dos-previent-agnes-verdier-molinie-4152460
[2] « Frozen Out », The Economist, november 26th 2022.
[3] Reuters Covid-19 Tracker, juillet 2022.
[4] Chiffres Santé publique France, 30 novembre 2022.
Pour aller plus loin :
- Livre « Une démocratie confinée : l’éthique quoi qu’il en coûte », d’Emmanuel Hirsch – Editions Erès, 2021
- Livre « Servitudes virtuelles » de Jean-Gabriel Ganascia – Editions du Seuil, mars 2022
« alors qu’il pourrait être demain opportun d’envisager une obligation vaccinale pour tous ». Lorsqu’un vaccin… efficace sera proposé, pourquoi pas? Sinon… Lisez le rapport de la Haute autorité de santé britannique, qui constate l’absence de protection des vaccinés de 21 même avec 3° rappel. Regardez autour de vous, même les quadruple doses éternuent et se mouchent à qui mieux mieux, 80 pour cent des Français sont vaccinés, mais 50 pour cent ont été quand même contaminés.. que dirait-on de tout autre vaccin qui aurait ce pitoyable score? Et meurent, hélas, les mêmes qu’au début, les très âgés, les afflaiblis par les… Lire la suite »