En quoi chacun d’entre nous est-il potentiellement talentueux ? Comment peut-on développer ses propres talents et son agilité mentale ? Comment articuler les talents et coopérer avec les autres ? Dans son dernier ouvrage, Bernadette Lecerf-Thomas explique de manière claire et accessible comment utiliser les découvertes des neurosciences pour optimiser nos comportements. Rencontre et interview exclusive avec une visionnaire et praticienne de la transformation des acteurs de l’entreprise.
Les systèmes humains vivent au sein d’équilibres qui sont en pleine mutation. Depuis le XIXème siècle, la compréhension de la santé mentale et du fonctionnement de l’intelligence humaine est un sujet de travail pour les plus grands noms de l’histoire de la psychologie moderne : Freud, Jung, Piaget, Bateson, Berne, Erickson,… tous ont réalisé des avancées considérables pour aider des sujets à développer leur potentiel de réalisation. Avec les neurosciences, une nouvelle ère de connaissance s’ouvre.
Bernadette Lecerf-Thomas, avec votre nouveau livre, vous affirmez que le travail collaboratif est à la base de toute production d’innovation. Est-ce si simple ?
Depuis longtemps, je pense que la collaboration, le travail en commun, est un sport très délicat. J’ai cherché à trouver les moyens d’expliquer pourquoi c’était difficile et quelles étaient les conditions qui permettraient aux gens de faire cela correctement.
Cela m’a amené à partir de l’individu en interaction avec les autres : que peut-il se passer pour lui quand il est en train d’interagir et comment cette interaction va-t-elle perturber son cerveau ?
Vous dites que « le cerveau humain grossit, l’intelligence se transforme » : le cerveau, aujourd’hui, est-il en train de changer en devenant « multitâches » ?
Depuis la nuit des temps, notre cortex cérébral se développe par l’augmentation des connaissances et des compétences humaines. Les neuroscientifiques ne parlent pas de cerveau « multitâches». Faire plusieurs choses en même temps n’est pas nouveau : certains métiers ont toujours su le faire. Par contre, il est impossible de réfléchir à deux choses en même temps. Quand on fait un effort cognitif intense, on n’en fait qu’un à la fois. Et l’interconnexion est naturelle.
L’intelligence collective en entreprise résulte des échanges entre un réseau de personnes capables de travailler ensemble pour produire de l’innovation rapidement et avec le plus de productivité possible. Mais la seule accélération des échanges ne produit pas de l’intelligence collective, il faut aussi que ces échanges aient un but commun.
« Si la recherche sur les neurosciences se heurte encore à certaines interrogations, elle apporte un éclairage nouveau sur les spécificités et la richesse de l’intelligence humaine et, en particulier, met en exergue l’importance des émotions » déclare Patrick Plein dans la préface de votre livre. Les émotions seraient-elles tellement sollicitées au sein de l’entreprise ?
Les émotions – mouvements de l’être – sont à la source de la vie pour les neuroscientifiques. Il y a les émotions positives : la joie, le désir, mais aussi des émotions « dites » négatives, la peur, la colère ou la tristesse. Nous en avons besoin, elles sont utiles et leurs résultats dépendent de ce que nous en faisons dans le lien social. Nous ne faisons rien sans nos émotions ; connaître leur influence sur nos décisions permet de sortir de l’aveuglement dont parle Edgar Morin et d’officialiser le principe suivant : les décisions humaines sont le fruit de phénomènes complexes. Accepter comme positif le fait que chacun ait un but dans la vie, est profitable pour tous. Aider les individus à être clairs sur leurs propres objectifs n’empêche pas leurs performances. Au contraire, cela leur permet de mettre en perspective leurs objectifs et ceux qui leur sont proposés pour le bien collectif. Le lien entre le projet individuel et le projet collectif est à la base d’une motivation durable.
« L’affectivité du sujet devient une ressource plutôt qu’un handicap ». L’entreprise est-elle prête à accepter cette évolution ?
Les neurosciences démontrent que que pour être intelligent, il faut des émotions. Goldmann a beaucoup travaillé là-dessus et Antonio Damasioa montré que la personne qui était capable de prendre de bonnes décisions avait besoin d’avoir des critères sur la valeur affective de ces décisions car cela fait partie des éléments qui vont faire que les gens vont agir ou pas. Si un décideur fait fi de ce qui touche les gens, il perd une grande énergie opérationnelle. Quand une personne perd sa capacité de jugement affectif, elle devient quelqu’un de froid, dans l’incapacité de prendre les bonnes décisions. On a tenté à une époque de déshumaniser l’entreprise et l’on revient complètement aujourd’hui sur ces erreurs de conception et de management.
Vous consacrez dans votre ouvrage une large partie à « l’articulation des talents au sein d’un collectif afin qu’émerge une nouvelle compétence globale et pose les bases d’un travail collaboratif, producteur d’innovations ». Les talents qui sortent de la norme ne seraient-ils pas les vrais producteurs d’innovations ?
Les talents qui sortent de la norme sont extrêmement intéressants et le problème de beaucoup d’organisations ce sont les clones. A force d’avoir des gens qui se ressemblent tous, avec une culture trop normée, l’initiative et surtout l’imagination sont tuées à la source. Je milite pour la diversité et la mixité dans les entreprises : c’est une richesse pour l’intelligence humaine ! Puisque, évidemment, chacun a un cerveau différent avec ses spécificités et ses représentations acquises au fil de son histoire. C’est l’interaction entre ces spécificités qui offre de nouvelles voies à l’imagination. A condition d’être capable d’interagir, d’écouter, de comprendre ce que l’autre a en lui, et propose.
Changer de paradigme dans les relations sociales de l’entreprise, c’est-à-dire l’enrichir, change-t-il sa finalité économique, améliore-t-il sa croissance ?
Oui, cela améliore la valeur des deux parties. L’étude Mc Kinsey sur la mixité, notamment, démontrait que dès qu’il y avait plus de trois femmes dans les conseils de direction, il y avait de meilleurs résultats sur l’application de la stratégie et la coordination. Les premiers résultats dans les entreprises qui ont mis en place des actions de mieux vivre ensemble, montrent également des gains de productivité. En fait, il y a des prises de conscience réelles. La collaboration est un point essentiel , la capacité d’interagir au sein d’un collectif est extrêmement porteuse de valeurs. Mais, pour l’instant, ce n’est pas évident pour tous les dirigeants. Certains restent focalisés sur leurs anciennes croyances et n’ont pas encore réactualisé leur matériel mental !
Pourquoi est-ce si difficile ?
Premièrement, les gens n’ont pas été formés au collectif quand ils étaient « petits ». L’interaction avec l’autre – réfléchir tout en interagissant est plus facile pour un extraverti que pour un introverti. Dans les entreprises, il existe toutes sortes de tensions à tous niveaux. Pour arriver à négocier, à se coordonner et à avancer ensemble, il faut être capable de se mettre en phase sur ce que l’on perçoit sans pour autant rentrer dans la perception unique. Arriver à accepter que les autres perçoivent différemment ce que l’on perçoit soi-même – ce qui n’est pas rien -, ensuite, il faut diriger l’attention sur des objectifs. Cela nécessite en amont un travail d’appropriation qui passe par le fait que chacun ait malaxé l’information pour la transformer en stratégie. Le travail doit se fait dans chaque cerveau, chacun étant auteur de ses pensée. Et ce sont nos pensées qui nous servent à prendre des décisions au quotidien. Chaque co-équipier doit avoir travaillé sur la valeur qu’il donne à un certain nombre d’actions, il doit avoir négocié avec les autres pour permettre leur coordination synchronisée. Pour cela, il faut être capable d’anticiper sur les actions des autres membres de l’équipe. C’est assez complexe mais, aujourd’hui, les neurosciences permettent de comprendre cette complexité et aider les gens à avancer.
Les neurosciences sont-elles une innovation en matière de relations humaines ?
Oui, j’estime que c’est une innovation majeure du siècle. Les neurosciences existent globalement depuis 40 ans. Les chercheurs ont pu voir des cerveaux en action et les recherches en cours sont très importantes. Ces découvertes démontrent la légitimité de nouvelles pratiques et proposent de sortir des formations de management qui restent assez culpabilisantes et qui parlent d’un être humain capable d’être prévisible dans toutes les situations. Les neurosciences donnent les moyens de comprendre pourquoi c’est si difficile de faire bien tous les jours !
Je dis dans mon livre que la coélaboration, la négociation, l’innovation sont des sports exigeants. Nous avons à conquérir de l’agilité et de la performance dans ces domaines de compétences. Tant que ceux dont le rôle est de décider pour les autres n’auront pas pris conscience qu’ils ont un cerveau et qu’ils sont donc soumis à l’impossibilité de percevoir l’inconnu et de tout prévoir, il sera difficile de changer les fondements qui structurent l’action des institutions et des entreprises (…) ».
Publications de Bernadette Lecerf-Thomas :
– Activer les talents avec les neurosciences (Editions Pearson 2012))
– Neurosciences et management, le pouvoir de changer (Editions d’Organisation)
– L’informatique managériale (Edition Hermès)
Calendrier des ateliers d’une journée du 1er semestre 2013
Les boucles du stress et de la reconnaissance : Lundi 28 janvier 2013 / Boucles infernales ou vertueuses
Les atouts de la mixité : Quel leadership pour le féminin ? : Jeudi 21 février 2013 / Se jouer des différences ou jouer la différence
Le changement : évaluer vos outils et prenez la mesure des zones à explorer grâce aux neurosciences : Jeudi 14 Mars (attention vacances scolaires Paris 2ème semaine) / Du sujet à l’organisation, en passant par l’équipe, comment prendre en compte l’homéostasie des différents niveaux en interaction
La mémoire du futur : avoir les cartes pour explorer le territoire ! : Jeudi 4 avril 2013 / Faire les liens entre les apports des neurosciences et le travail sur la vision ou les démarches prospectives
Créativité et neurosciences. Avec Esther Galam : Lundi 3 juin 2013 / Le déplacement de l’attention par la créativité
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Pour aller plus loin :
– Article dans le Nouvel Observateur « Vive les neuroprofs ! » : Voyez la belle initiative d’un pionnier pour l’application des neurosciences dans les écoles !
– Site www.happyneuron, créé par Michel Noir, Docteur Bernard Croisile et Franck Tarpin-Bernard : http://www.happyneuron-corp.com/fr/notre-histoire
– Livre « Le DRH du 3ème millénaire » de Edgar Added (Edition Pearson Village mondial)
– Livre « Les CoDir du 3e millénaire », De la gouvernance solitaire au leadership collectif de Edgar Added (Edition Pearson).
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