Le jet-stream, ou courant-jet, fait le tour de l’hémisphère Nord, tourbillonnant jusqu’à 15 km au-dessus de nos têtes, comme une couronne posée sur la planète. Séparant l’air froid de l’Arctique de l’air plus chaud du Sud, il est l’un des piliers du climat mondial. Pour les climatologues qui l’observent sans discontinuer, ce courant devient méconnaissable : il ressemble désormais aux ciels peints par Van Gogh. À plusieurs endroits, il s’est complètement disloqué, déclenchant un peu partout des vagues de chaleur sans précédent.
Cette bande de vent fort sépare l’air froid de l’Arctique de l’air plus chaud du Sud. Elle est responsable du transport du temps d’Ouest en Est à travers l’Amérique du Nord, au-dessus de l’Atlantique et en Europe. C’est ce jet-stream qui contrôle le degré d’humidité et de chaleur de ces régions.
Le climatologue et auteur Michael E. Mann étudie le comportement du jet-stream depuis des années, et pourtant il a déclaré en ligne qu’il avait rarement vu « une configuration aussi décousue ». Il pense que le phénomène El Nino a certainement contribué à ce qui se passe aujourd’hui, mais « honnêtement, je ne parviens même pas à caractériser la configuration actuelle des courants planétaires à grande échelle« , dit-il sur Tweeter. « Il est désormais clair que le système climatique de la Terre est complètement déréglé et que nous devrions être très inquiets« , abonde Steve Turton, géographe environnemental à l’université centrale du Queensland, pour The Conversation.
I'm honestly at a loss to even characterize the current large-scale planetary wave pattern. Frankly, it looks like a Van Gogh https://t.co/NJmN54vC27 pic.twitter.com/xLtBLRZxFi
— Prof Michael E. Mann (@MichaelEMann) June 20, 2023
Plusieurs études scientifiques publiées récemment nous alertent sur l’allure de plus en plus bizarre de ce courant, oscillant erratiquement du Nord au Sud. Une étude publiée il y a tout juste un an dans la revue Nature établissait un lien direct entre le dérèglement du jet-stream et les vagues de chaleur intenses qui sévissaient en Europe occidentale. Les chercheurs démontrent qu’en plus des facteurs thermodynamiques habituels les changements dynamiques de l’atmosphère contribuent à l’augmentation du nombre de vagues de chaleur en Europe, ce qui a des implications pour la gestion des risques et les stratégies d’adaptation potentielles.
Gravement perturbé
Une autre étude d’importance confirme bien que le jet-stream est gravement perturbé : il se déplace vers le Nord à mesure que les températures mondiales augmentent. « Le début de la migration du jet-stream vers le Nord a déjà commencé », affirme Matthew Osman, chercheur au Climate Systems Center de l’université de l’Arizona et coauteur de l’étude. Cela a des conséquences désastreuses sur les conditions météorologiques dans l’hémisphère Nord, entraînant des événements extrêmes tels que des sécheresses et des vagues de chaleur dans le Sud de l’Europe et l’Est des États-Unis.
Le courant-jet de l’Atlantique Nord existe et est maintenu en place grâce au choc entre l’air chaud qui remonte des tropiques vers le Nord et l’air froid de l’Arctique. Lorsque ces masses d’air se rencontrent, elles se déplacent vers l’Est à une vitesse pouvant atteindre 360 kilomètres par heure, sous l’effet de la rotation de la Terre. Mais l’augmentation de la température de l’air perturbe ce mouvement. L’Arctique se réchauffe deux fois plus vite, en moyenne, que le reste de la planète. L’air chaud se déplace donc plus au Nord avant de trouver de l’air froid, ce qui conduit la position du jet-stream à migrer vers des latitudes plus élevées.
Une étude publiée en septembre 2021 suggère que la fonte de la glace de mer arctique pourrait augmenter l’intensité et la taille de ces courants déviants. Lorsque la glace de mer fond, davantage de chaleur et d’humidité se déplacent de la surface de la Terre vers l’espace. Cela agit comme un rocher jeté dans l’étang de l’atmosphère – il crée de fortes ondulations au-dessus de l’Arctique qui déforment le jet-stream. Cela crée des ondulations qui poussent l’air extraordinairement froid vers l’équateur.
Matthew Osman fait remarquer que le jet-stream est capricieux ; l’emplacement de la bande se déplace constamment au fur et à mesure que le différentiel de température qui le provoque fluctue. Les résultats de son étude ont montré que le mouvement actuel de la bande de vent menace de dépasser tous les déplacements précédents. Il devrait s’écarter considérablement de la norme, avec des conséquences potentiellement dévastatrices. « En poussant le courant-jet en dehors de sa plage naturelle déjà importante, nous pourrions nous exposer à des risques climatiques de plus en plus graves à l’avenir », alertait-il.
Complètement disloqué
C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui. La partie méridionale du jet-stream au-dessus de l’Amérique du Nord s’est complètement disloquée et est actuellement prise au piège dans une révolution inédite qui déclenche des vagues de chaleur sans précédent. S’il est normal que les courants d’air atmosphérique s’arrêtent, se séparent, se recombinent et s’écoulent dans des directions opposées, en moyenne, ces courants sont généralement assez continus sur de longues distances et s’écoulent globalement d’Ouest en Est. Or la fragmentation actuelle ne ressemble à rien de ce que les spécialistes ont vu auparavant. Lorsque je regarde ce jet-stream, le mot « insensé » me vient à l’esprit », a tweeté Jeff Berardelli, météorologue en chef d’une chaîne d’information locale de Floride. « Cette configuration, probablement renforcée par le réchauffement climatique, alimente un dôme de chaleur record si extrême que même les experts sont stupéfaits ! »
Les données les plus récentes suggèrent que le changement climatique pourrait entraîner un ralentissement spectaculaire des courants-jets de telle sorte qu’ils se désagrègent, provoquant des conditions météorologiques chaotiques au sol. Rien qu’aux États-Unis, 40 millions de personnes sont actuellement en alerte canicule et, depuis une semaine, les pannes d’électricité se multiplient.
Le centre du dôme de chaleur se trouve au-dessus du Mexique et a déjà provoqué la mort massive d’oiseaux. Le climatologue Maximiliano Herrera a déclaré que la vague de chaleur qui sévit dans certaines régions du Mexique est comparable à une « catégorie 7 ». La catégorie 5 est le classement le plus élevé sur l’échelle de l’indice de chaleur, défini comme une chaleur « au-delà de l’extrême ». Herrera affirme en substance que nous avons dépassé les extrêmes précédents. « C’est tout simplement quelque chose d’unique, rien de comparable« , a déclaré M. Herrera. « Les records ont été pulvérisés partout avec des marges insensées et battus jusqu’à sept jours d’affilée. »
Une situation analogue se déroule actuellement dans l’hémisphère Sud. Cette région possède des courants troposphériques qui semblent, eux aussi déréglés. Cette semaine, dans le sud de l’Australie, par exemple, un courant-jet apporte un temps inhabituellement humide dans certaines régions du pays. D’un pôle à l’autre, les vents du changement sont là. La crise climatique n’est plus un problème futur. Elle se produit maintenant, sous nos yeux.
Que faire? On pourrait déjà arrêter les guerres, destructrices de l’environnement.