Le glyphosate, le fameux désherbant controversé, accusé de provoquer des cancers par des utilisateurs aux Etats-Unis comme en Europe, ne présente pas de « domaine critique de préoccupation » empêchant le renouvellement de son autorisation dans l’Union européenne, a conclu l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), dans une étude très attendue remise ce jeudi 6 juillet à la Commission européenne. L’EFSA « n’a pas identifié de domaine critique de préoccupation » du glyphosate chez les humains, les animaux et l’environnement, explique-t-elle dans un communiqué, tout en notant « un risque élevé à long terme chez les mammifères » pour la moitié des usages proposés du glyphosate.
L’EFSA précise qu’une préoccupation est définie comme «critique» lorsqu’elle affecte tous les usages proposés de la substance active évaluée, empêchant donc son autorisation. Le rapport final, qui sera rendu public courant juillet, repose sur 2 400 études, 180 000 pages, et a fait appel à 90 experts des Etats membres, fait valoir l’Autorité. L’EFSA devait initialement publier son étude au deuxième semestre de 2022, avant de reporter la publication en raison d’un nombre «sans précédent» d’observations reçues.
L’étude était très attendue tant par les agriculteurs que les écologistes ; elle est cruciale car elle doit servir de base à la Commission européenne pour décider de prolonger, pour cinq ans, l’autorisation délivrée sur le marché européen au plus célèbre des désherbants et qui doit expirer le 15 décembre. Une réapprobation à laquelle croient les producteurs, qui se sont dits « assez confiants », selon un représentant de Plateforme glyphosate France (Bayer, Syngenta…) cité par le média spécialisé France Agricole.
Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont classé en 2015 le glyphosate comme un « cancérogène probable » pour les humains.
De son côté, un groupe d’experts de l’Institut national de santé et de la recherche médicale (Inserm) en France a conclu en 2021 à « l’existence d’un risque accru de lymphomes non hodgkiniens avec une présomption moyenne de lien » avec le glyphosate, la substance active du célèbre Roundup commercialisé par Monsanto, racheté par l’allemand Bayer en 2018.
Autant de divergences qui s’expliquent par la nature même des données utilisées. Certaines, comme celles de l’EFSA, objet de la décision d’aujourd’hui, se fondent sur les données fournies par les firmes agrochimiques alors que les autres font référence aux études publiées par des chercheurs indépendants dans les revues scientifiques.
Aux Etats-Unis, les litiges de personnes reprochant au fabricant l’absence d’avertissement sur les emballages du Roundup ont coûté des milliards de dollars à Bayer. A l’inverse, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a jugé en juin l’an dernier que les preuves scientifiques disponibles ne permettaient pas de classer le glyphosate comme cancérogène. « Le Comité d’évaluation des risques de l’ECHA a formé son opinion scientifique indépendante: le classement actuel du glyphosate ne change pas », avait alors déclaré l’ECHA, l’herbicide étant classé comme pouvant provoquer des « lésions aux yeux » et étant « toxique pour les milieux aquatiques ».
Effets « documentés »
L’EFSA devait initialement publier ses conclusions au second semestre 2022, avant d’annoncer leur report en raison du nombre « sans précédent » d’observations reçues. En attendant cette étude, la Commission a prolongé d’un an, jusqu’au 15 décembre 2023, l’autorisation du glyphosate dans l’UE.
Mercredi, pour marquer le coup, des ONG environnementales ont appelé le gouvernement français à s’opposer au renouvellement de cette autorisation. « Nos organisations demandent que la France prenne position contre la réautorisation de cette substance dangereuse pour la santé et l’environnement », ont réclamé une quinzaine d’ONG — dont Générations futures, Greenpeace, Réseau Action Climat ou encore Les Amis de la Terre — dans une lettre remise à la Première ministre Elisabeth Borne et d’autres ministères. « Les effets toxiques du glyphosate ainsi que sa présence ubiquitaire dans l’environnement et les êtres vivants sont donc largement documentés », font valoir les signataires de la lettre. « Pourtant mi-juin 2021, les quatre Etats membres rapporteurs en charge de la rédaction du dossier d’évaluation ont donné un avis favorable à la réautorisation du glyphosate », déplorent-ils.
Les ONG arguent que l’évaluation du produit est « entachée de nombreuses failles ». « L’enquête Monsanto papers a démontré la « manipulation de données scientifiques, dissimulation d’informations aux autorités, rémunération de spécialistes pour rédiger des tribunes et études scientifiques favorables (ghostwriting), opération de propagande, menaces et intimidation de scientifiques et d’organisations publiques chargées d’étudier le cancer » affirment les signataires de ce courrier adressé à la Première ministre.
Une trentaine d’organisations environnementales ont par ailleurs recueilli plus de 500.000 signatures dans une pétition exigeant que la France s’oppose « publiquement au renouvellement de l’autorisation de ce pesticide toxique en Europe ».
Emmanuel Macron s’était engagé en 2017 à sortir du glyphosate en France « au plus tard » début 2021, avant de revenir sur cette promesse. Des organisations agricoles s’opposent à cette interdiction, estimant que le désherbant reste largement incontournable, notamment pour faire place nette à une nouvelle culture sans labourer (la pratique, millénaire, relâche du carbone et altère la fertilité des sols). C’est pourquoi, le glyphosate est l’herbicide le plus répandu au monde. Plus de 826 000 tonnes sont épandues chaque année dans les sols, un chiffre en augmentation fulgurante : en 1995 douze fois moins de glyphosate a été utilisé par les agriculteurs. Ces derniers en sont devenus addicts et avancent que leur suppression représenterait un manque à gagner de près de 2 milliards d’euros selon une étude menée par IPSOS en 2017.
L’Europe est loin d’être la seule région du monde où l’usage du glyphosate fait débat. Au-delà des procès intentés par des particuliers, des juridictions s’attaquent à Bayer : il y a quelques semaines, le groupe allemand a accepté de verser environ sept millions de dollars à l’État de New York pour mettre fin à des poursuites l’accusant d’avoir trompé les consommateurs, en présentant l’herbicide Roundup comme un produit sans danger.
Les États membres de l’Union européenne vont décider du sort du glyphosate d’ici la fin de l’année. L’enjeu est énorme et porte sur une ré-autorisation (ou non) pour 15 ans. Plusieurs ONG environnementales appellent d’ores et déjà la France à défendre l’interdiction du glyphosate en Europe en 2023. Pour ces organisations de la société civile : « Compte-tenu des risques largement documentés pour l’environnement et la santé humaine, il est plus qu’urgent d’appliquer le principe de précaution inscrit dans les textes européens et la Constitution française pour en finir avec le glyphosate et amorcer enfin une vraie transition agricole et alimentaire ».
Avec AFP