La Banque de France a déjà la charge de la cotation financière des entreprises ; c’est ce qui leur permet d’accéder par exemple au crédit. Une note supplémentaire est en passe d’apparaître : l’indicateur climat, évaluation des efforts des entreprises en matière de transition écologique. Les défenseurs de l’environnement applaudissent, alors que le patronat accueille fraîchement cette initiative.
La cotation Banque de France est une référence reconnue, qui facilite le dialogue entre le prêteur et l’entreprise. Elle est un passage obligé pour les entreprises dès lors qu’il s’agit d’emprunter de l’argent. A la Banque de France, on souligne qu’il s’agit aussi d’un « regard extérieur et impartial sur la situation économique et financière de son entreprise. » Il faudra donc bientôt aussi rajouter la « situation environnementale ».
Démarche pionnière ou contrainte supplémentaire ? Ce nouveau système de notation des entreprises, basé sur trois critères, est encore loin de conditionner l’accès au crédit des entreprises. Mais si l’expérimentation actuelle se transforme en cotation climatique pérenne, « ça sera un dispositif extrêmement innovant en Europe. Il n’y a pas d’équivalent aujourd’hui », a récemment assuré le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau.
Expérimenté auprès de « quelques dizaines » d’entreprises depuis 2022, « on souhaite pouvoir le tester sur environ 500 entreprises cette année », explique à l’AFP Hervé Gonsard, le directeur général des services à l’économie et du réseau. Mais gare à ne pas « laver plus vert que vert », en imposant aux entreprises françaises des obligations dont seraient exemptées leurs concurrentes européennes, avertit Alexandre Montay, délégué général du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti).
Pour l’heure, participent à l’expérimentation de « très grosses » entreprises du CAC 40 et certaines sociétés très polluantes, détaille Hervé Gonsard sans dévoiler de noms.
D’ici 2030, la Banque de France espère généraliser son indicateur climat aux 300.000 entreprises françaises réalisant plus de 750.000 euros de chiffre d’affaires, soit celles auxquelles elle attribue déjà une cotation (note) financière. Là où la cotation financière mesure la capacité de l’entreprise à honorer ses engagements financiers à court terme, l’indicateur climat évalue d’abord le positionnement de l’entreprise par rapport à la « trajectoire idéale » de décarbonation de son secteur d’activité, une courbe de référence dessinée par l’agence française de la transition écologique (Ademe).
La Banque de France mesure aussi l’exposition de l’entreprise aux risques physiques (inondations, incendies…) et son degré de maturité dans la gestion de sa transition climatique et énergétique.
Cohérence
Patron du cabinet Calix Conseil, Guillaume de Bodard estime que « la cause est juste », mais alerte sur la « complexité » potentielle de l’indicateur climat. « Peu d’entreprises sont au courant de ce qui va leur tomber dessus », assure celui qui préside aussi la commission Environnement et Développement durable de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).
« Les TPE/PME n’ont pas une personne en interne pour gérer ça, leur expert-comptable n’est pas tout de suite compétent en matière extrafinancière et environnementale ». Guillaume de Bodard demande donc aux autorités des « outils de calcul rapides » des données climatiques.
Entre la directive européenne CSRD, le futur standard français d’excellence environnementale « triple E » et l’indicateur climat, Alexandre Montay s’inquiète lui aussi de la « foultitude d’indicateurs liés à la transformation environnementale ». « Il y a un véritable enjeu de cohérence » entre ces indicateurs « pour ne pas conduire les entreprises à ne faire que du reporting », insiste le représentant du Meti.
Hervé Gonsard tente de déminer. « Le but n’est pas de rajouter une couche administrative », assure-t-il.
« Jusqu’à présent » pouvaient s’empiler « le questionnaire Banque de France, le questionnaire Bpifrance, le questionnaire BNP Paribas, le questionnaire Société générale… Si on unifie le reporting » en centralisant les données climatiques dans une base unique à la Banque de France, comme pour la cotation financière, « on simplifie la vie des entreprises », martèle-t-il.
Plusieurs banques ont en effet développé ces dernières années leurs propres indicateurs. BNP Paribas a par exemple lancé en 2021 un « ESG Assessment » (évaluation environnementale, sociale et de la gouvernance) qui mesure notamment la performance ou le risque environnemental des entreprises.
« Un score Climat, appuyé sur des chiffres robustes communiqués par les entreprises et élaboré par la Banque de France sera utile pour compléter les analyses menées par les banques elles-mêmes », estime donc la Fédération bancaire française (FBF), associée à la conception de l’indicateur de la banque centrale.
De là à imaginer que les établissements financiers octroient à l’avenir des crédits en fonction de la cotation climatique d’une entreprise, il n’y a qu’un pas. « Demain, il est clair qu’un indicateur climat de bonne qualité sera plutôt de nature à aider au financement des entreprises qui jouent le jeu du verdissement », anticipe ainsi Hervé Gonsard.
L’initiative de la Banque de France est vertueuse car elle s’inscrit comme un élément de réponse aux appels au changement face à l’urgence climatique, qui se multiplient aussi bien dans les sphères de l’Etat que de certaines entreprises conscientes de leur rôle et de leur impact sur la nature. « Le capitalisme est dans une impasse. Il ne peut plus se donner comme seul objectif de générer du profit. Il doit avoir un sens politique et social. Il a conduit à la destruction des ressources naturelles, à la croissance des inégalités et à la montée des régimes autoritaires. Son changement est indispensable… » reconnaissait Bruno Le Maire, le 25 juillet 2019 dans une interview au Point. « Le capitalisme peut s’effondrer parce qu’il ne permet pas au marché de dire la vérité écologique » lançait au même moment l’ancien président d’Exxon pour la Norvège, Oystein Dahle.
Le contexte est favorable pour que les entreprises s’emparent de nouveaux modèles comptables et intègrent la dimension environnementale dans leurs bilans. La démarche de la Banque de France va de ce sens. Elle possède toutefois un angle mort : les grandes entreprises, les plus polluantes, celles qui émettent le plus de gaz à effet de serre, sont généralement des sociétés cotées qui se financent sur les marchés, souvent internationaux. L’impact d’un score climat sur leur capacité de financement est donc relativement négligeable.
Avec AFP