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Alerte mondiale sur la dégradation rapide des sols

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L’UNESCO alerte sur le fait que 90% des terres émergées de la planète pourraient être dégradées d’ici 2050, avec des risques majeurs pour la biodiversité et la vie humaine. Elle lance un appel aux 194 Etats membres de l’Organisation pour qu’ils améliorent la protection et la réhabilitation des sols. L’UNESCO engage aussi plusieurs actions pour combler le manque de connaissances scientifiques dans ce domaine afin de tenter de « protéger la peau du monde* ».

« Les sols jouent un rôle crucial dans le maintien de la vie sur Terre. Pourtant, ils sont encore bien souvent négligés ou mal gérés. L’UNESCO appelle la communauté internationale à en faire une priorité. Fort de soixante ans d’expérience en sciences des sols, notre Organisation va aider les Etats à faire progresser les connaissances et à former des professionnels pour que les mesures nécessaires puissent être prises », a annoncé Audrey Azoulay, lors de la Conférence internationale de l’UNESCO sur les sols qui s’est tenue ce 1er juillet à Agadir (Maroc).

Des sols en bonne santé sont essentiels au maintien des écosystèmes et de la biodiversité, à la régulation climatique, à la production alimentaire ou encore à la purification de l’eau. Or, selon l’Atlas mondial de la désertification, 75% d’entre deux sont déjà dégradés, avec un impact direct sur 3,2 milliards d’individus. Et si la tendance actuelle persiste, ce taux atteindra 90% d’ici 2050.

Le sol c’est ce mélange d’eau, d’air et de matières minérales et organiques (y compris des éléments en décomposition comme les feuilles, les racines, les brindilles et les insectes) qui forme la couche supérieure de la surface terrestre, dont les trois principaux types de particules sont l’argile, le limon et le sable. C’est une ressource limitée, non renouvelable. Et, contrairement à l’air et à l’eau, le sol est une propriété privée.

Rappelons que le sol soutient la vie sur Terre de plusieurs façons, en jouant un rôle très important et complexe dans différents écosystèmes : le sol filtre l’eau ; il soutient les bâtiments et les routes ; il donne aux plantes et arbres un endroit où croître, tout en leur fournissant des nutriments. Le sol aide même à nettoyer l’air et l’eau environnants. De plus, les organismes qui vivent dans le sol jouent un rôle important dans les cycles alimentaires qui rendent toute vie possible. Or nos sols sont en rupture d’équilibre, en raison de multiples dégradations physiques, chimiques et biologiques.

L’action des hommes

Les principales causes de dégradation des sols sont anthropiques : agriculture intensive, pesticides, déforestation, surpâturage, pollution industrielle, irrigation… Et cette dégradation risque de s’aggraver si rien n’évolue dans les pratiques agricoles et environnementales.

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Mais l’agriculture n’est plus la seule cause essentielle des dégradations des sols : l’urbanisme, l’industrie, les transports, l’artisanat et les loisirs y contribuent. L’état des lieux actuel suggère que les dégradations des sols sont très rapides. Dans certaines situations, les seuils de l’irréversibilité sont déjà atteints, voire dépassés. La complexité des phénomènes, leurs interrelations et imbrications, leurs impacts parfois transfrontaliers, exigent des efforts de recherche dépassant le cadre et les moyens des États. Les défis ne manquent pas.

Si l’on regarde le secteur de l’industrie, on se désole de constater comment l’arsenic s’est infiltré dans les roches et le sol et peut être transporté par l’eau, affectant la santé de 140 millions de personnes dans le monde. L’exposition à long terme à l’arsenic présent dans l’eau potable et les aliments peut provoquer des cancers et des lésions cutanées. C’est ce qui a été constaté par l’Unesco en Bolivie qui soutient ainsi plusieurs projets de recherche du Programme international de géosciences, axés sur la géologie médicale.

Autre exemple : les fortes concentrations de sulfates et de nitrates dans l’aquifère d’Ali-Sabieh à Djibouti, provoquant la méthémoglobinémie, ou le phénomène du « bébé bleu ». Aussi, un autre projet de géosciences a été mis en œuvre par le Centre d’études et de recherches de Djibouti en collaboration avec des géoscientifiques de la République de Corée et de l’UNESCO.

Aujourd’hui, la dégradation des sols est l’un des problèmes les plus urgents à résoudre, car il s’agit d’un défi mondial qui touche tout le monde à travers l’insécurité alimentaire, la hausse des prix alimentaires, le changement climatique, les risques environnementaux et la perte de la biodiversité et des services écosystémiques qui l’accompagnent. Lorsque les sols sont dégradés, des molécules sont libérées dans l’atmosphère, ce qui fait de la dégradation des sols un facteur important du changement climatique.

C’est dans ce contexte préoccupant que l’UNESCO et l’Agence Nationale pour le Développement des Zones Oasiennes et de l’Arganier (ANDZOA) du Royaume du Maroc ont organisé une conférence sur les sols, ce lundi 1er juillet à Agadir, qui a rassemblé des experts et des représentants de plus de 30 Etats membres de l’Organisation. Les débats ont abouti à un plan d’actions autour de trois objectifs : améliorer la protection et la réhabilitation des sols, combler le manque de connaissances scientifiques, et renforcer l’engagement des jeunes et des communautés à travers l’éducation et des programmes de formation. En effet, comme l’explique l’agronome et géologue de formation Clément Mathieu, « bien qu’étant une ressource indispensable pour l’Homme, le sol n’est pas ou très mal connu y compris de ceux qui l’utilisent directement et quotidiennement. Malheureusement, la connaissance des sols dans le monde, en Europe, et même en France reste insuffisante et, actuellement, encore difficilement mobilisable. Aussi est-il indispensable de poursuivre la diffusion des connaissances ainsi que les études et les inventaires concernant cet inconnu.« 

Un indice de santé des sols et un programme pilote

L’UNESCO va accompagner ses Etats membres en établissant avec ses partenaires internationaux un « indice mondial de santé des sols ». Il s’agira d’une mesure standardisée pour évaluer et comparer la qualité des sols à travers différentes régions et écosystèmes. Elle permettra d’identifier les tendances de dégradation ou d’amélioration, les zones à risque et l’efficacité des pratiques de gestion.

En complément de cet indice, l’Organisation va mettre en œuvre une initiative pilote d’évaluation et de gestion durable des sols et des paysages dans une dizaine de réserves de biosphère, avec le double enjeu de s’assurer de l’efficacité des différents modes de gestion durable mis en œuvre dans ces sites et de promouvoir les meilleures pratiques au sein de l’ensemble du réseau MAB qui veut améliorer la relation globale entre l’humain et son environnement. Il prévoit ainsi les conséquences des actions d’aujourd’hui sur le monde de demain et accroît la capacité des gens à gérer efficacement les ressources naturelles pour le bien-être des populations humaines et de l’environnement.

Les gestionnaires de ces sites seront encouragés à développer des projets exemplaires de conservation des sols et de gestion des terres qui pourront ensuite être reproduits ailleurs. Des formations leurs seront fournies, ainsi qu’aux membres des agences gouvernementales, des organisations de conservation et des communautés autochtones, afin de leur donner le maximum d’outils pour protéger cette ressource essentielle. Enfin, cette initiative comportera un volet éducatif par lequel l’UNESCO sensibilisera et impliquera les jeunes générations.

Surveillance européenne de la qualité des sols

En l’état de droit, la protection des sols est fondée sur des approches centrées sur les risques : gestion des sites et sols pollués pour limiter les atteintes à la santé, milieu à stabiliser pour prévenir les risques miniers et le recul du trait de côte, zones à préserver pour la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, etc. C’est ce qu’explique le rapport du Sénat au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable sur la proposition de loi visant à préserver des sols vivants, actuellement en cours d’examen au Parlement européen. En définitive, les services rendus par les sols font l’objet d’une approche morcelée et lacunaire, ce qui brouille la cohérence des politiques publiques pour la reconquête de la multifonctionnalité des sols.

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La consécration juridique de leur multifonctionnalité permettrait une protection plus dynamique des sols. Or, en dépit d’une ambitieuse stratégie de lutte contre l’artificialisation, notre droit reste sourd à la qualité des sols. Les nombreux enjeux de leur protection ne sont pas pris en compte par le cadre juridique lacunaire, qui ne vise pas de critères de qualité ou de santé des sols, par contraste avec l’eau et l’air qui font l’objet de valeurs limites à ne pas dépasser pour préserver leur qualité. La réglementation ne fixe pas de « valeurs-objectifs » à atteindre pour définir un sol de bonne qualité.

Le droit du sol en tant que milieu physique n’a – paradoxalement – que peu progressé dans le sillage de la stratégie de lutte contre l’artificialisation. Le législateur s’en est tenu à une approche comptable, surfacique et binaire des sols : soit un sol est artificialisé, soit il ne l’est pas. Au sens du ZAN, un hectare de terre fertile à haut potentiel agronomique est considéré comme ayant la même valeur qu’un hectare de « terre pauvre ». Cette myopie quant à la qualité des sols est préjudiciable à une stratégie cohérente de protection.

En 2002, la Commission européenne avait déploré l’inexistence d’une vision cohérente de la protection des sols en relevant que « la protection des sols est davantage le résultat de la nature transversale du sol (bénéficiant ainsi d’une législation qui ne le vise pas directement) que d’une intention explicite de traiter les problèmes des sols ». Ce constat reste valable aujourd’hui.

En réponse à ces insuffisances, elle a présenté le 5 juillet 2023, dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, une proposition de directive sur la surveillance des sols et la résilience, (Soil MonSitoring and Resilience), qui établit un cadre juridique afin de parvenir à un bon état des sols de l’Union européenne d’ici à 2050, en considérant que les « sols fertiles revêtent une importance géostratégique » majeure.  Ce serait la première loi de surveillance de la qualité des sols.
Récemment, le 10 avril 2024, le Parlement européen a adopté sa position sur la proposition de la Commission. L’objectif est de mettre en place un système de surveillance solide de tous les sols de l’UE en vue de restaurer et d’obtenir des sols sains d’ici 2050. Mais avec des actions concrètes à prendre d’ici 2030. Par cette directive, l’UE semble vouloir, non seulement mettre un terme à la dégradation des sols, mais aussi à prévenir et à atténuer les effets du changement climatique et de la perte de biodiversité, à accroître la résilience face aux catastrophes naturelles et, enfin, à garantir la sécurité alimentaire.

Les principaux objectifs comprennent l’intensification des efforts pour lutter contre la menace de désertification, l’introduction d’objectifs de restauration, l’amélioration des activités de surveillance, la réduction de l’érosion et de l’imperméabilité. La matière organique du sol pourrait ainsi être augmentée et les écosystèmes restaurés dans une certaine mesure. En outre, il est tenu compte de la réduction de l’expansion humaine et donc du taux d’occupation du sol. La matière organique du sol pourrait être augmentée et les écosystèmes pourraient être, en partie, restaurés. 

Fabienne Marion, Rédactrice en chef UP’ Magazine

* »protéger la peau du monde » : en hommage à la bande dessinée de reportage d’Etienne Davodeau « Le droit du sol »

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