Miguel Chevalier. Un essai de Laurence Bertrand-Dorléac et un entretien avec Jérôme Sans – Editions Skira, 30 octobre 2024 – 288 pages – 250 images (3 versions différentes en français, anglais et coréen)
« L’art a souvent donné la sensation de nouveaux mondes. En phase avec l’univers des mutations, Miguel Chevalier commence à travailler au début des années quatre-vingt, à une époque où la condition contemporaine qui inspire son œuvre est à peu près incompréhensible.«
Or Miguel Chevalier est un précurseur de l’art digital immersif. Expérimentateur insatiable depuis 1978, ses œuvres in situ présentées dans le monde entier explorent des thèmes contemporains tels que la préservation des océans. Nourri par l’histoire de l’art, son travail aborde les logiques induites par l’ordinateur, telles que l’hybridation, la générativité, l’interactivité et l’IA. En utilisant divers outils numériques comme les dessins au robot et l’impression 3D, l’artiste questionne à la fois l’immatérialité de l’art et la matérialisation du virtuel.
La relation entre nature et artifice figure parmi les thèmes récurrents de son œuvre, au même titre que l’observation des flux et de réseaux qui organisent nos sociétés contemporaines, l’imaginaire de l’architecture et des villes virtuelles, la transposition de motifs issus de l’art islamique dans le monde numérique. Sa réflexion se porte également sur les risques liés à la technologie, en particulier les dangers de l’urbanisation et la dualité des effets de flux et de réseaux qui alimentent à la fois des connexions infinies et un enfermement insidieux.
Ses œuvres, génératives et interactives, se présentent la plupart du temps sous la forme d’impressionnantes installations numériques projetées à grande échelle. Il réalise ainsi des œuvres in situ qui revisitent l’histoire et l’architecture des lieux, invitant à une exploration sensorielle de l’espace. À partir de logiciels conçus par des experts informatiques, Miguel Chevalier crée des œuvres monumentales à l’image de l’une de ses récentes créations, Meta-Nature AI, qui projetait en 2023 sur les parois du Dongdaemun Design Plaza, emblématique bâtiment de Séoul dessiné par Zaha Hadid, d’immenses fleurs qui proliféraient avant de disparaître.
Sollicité par les plus grands musées et fondations à travers le monde pour créer ses projections-installations spectaculaires, gigantesques et lumineuses, Miguel Chevalier immerge ainsi le spectateur dans un bain illimité de motifs et de couleurs mouvantes.
La singularité de Miguel Chevalier est mise en lumière dans cette nouvelle monographie, accompagnée d’un essai de l’historienne de l’art Laurence Bertrand Dorléac et d’un entretien avec Jérôme Sans, critique d’art, cofondateur du Palais de Tokyo à Paris. La sortie de cette monographie dédiée à un pionnier majeur dans le domaine de l’art numérique et virtuel coïncide, cet automne, avec une importante exposition au Grand Palais Immersif à Paris, du 5 novembre 2024 au 6 avril 2025. Le Centre d’art contemporain de la Matmut lui consacre également une exposition jusqu’au 26 janvier 2025.
Dans cet ouvrage, Laurence Bertrand-Dorléac explore avec une acuité intellectuelle le parcours impressionnant de Miguel Chevalier, pionnier incontesté de l’art numérique. Ce livre offre une plongée profonde dans l’œuvre complexe et visionnaire de l’artiste, dont les installations immersives et interactives ont redéfini les frontières entre l’art, la technologie et la perception humaine.
« On ne comprendra rien à son travail si l’on ne reconnaît pas dans son projet le vertige de l’exploration bien spécifique à une époque de changement où l’on ne sait pas encore où mène la danse. […] Ce chaos-là n’interdira pas les plans : ils le rendront tolérable, même s’il n’y aura jamais chez Miguel Chevalier de centralité rassurante, mais une infinité de centres possibles qui se modifient selon des agencements à relier à sa conception du monde : sa pensée est celle d’un mouvement permanent à restituer sous la forme de sensations. » Laurence Bertrand-Dorléac
Laurence Bertrand-Dorléac, avec sa plume élégante et son analyse rigoureuse, dépeint un artiste dont la carrière s’étend sur plus de quatre décennies, marquées par une innovation constante et une quête incessante de réponses aux questions émergentes sur notre existence dans un monde de plus en plus dominé par la technologie. Le livre met en lumière comment Miguel Chevalier, dès le début de son parcours à l’École nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et jusqu’à ses expériences récentes, a utilisé l’art numérique pour questionner notre rapport au monde naturel et aux univers virtuels.
Jérôme Sans, directeur artistique et agitateur culturel internationalement reconnu pour son approche pionnière et transversale des nouveaux modèles d’institutions culturelles et d’expositions, prête pour cette monographie son regard avisé avec une interview de l’artiste : « La grande aventure de la réalité« .
L’ouvrage ne se contente pas de chroniquer les œuvres les plus connues de Chevalier, telles que ses incroyables et superbes champs de fleurs virtuelles ou ses ciels numériques, il explore également ses processus créatifs, révélant les coulisses de ses installations et les défis techniques et esthétiques qu’il a dû surmonter. Cette exploration est appuyée par des illustrations détaillées et des images captivantes qui permettent au lecteur de visualiser les œuvres tout en suivant leur analyse.
L’ouvrage examine aussi l’impact de Chevalier sur l’art numérique global, discutant de son influence sur des générations d’artistes et son rôle dans l’évolution des pratiques artistiques face aux innovations technologiques. Bertrand-Dorléac s’engage dans une réflexion sur la manière dont les travaux de Chevalier interrogent et transforment notre compréhension de l’espace, de la lumière et du temps.
« Aucune société plus que la nôtre n’aura donné une place aussi importante au pouvoir de la science et de la technique sur la nature, s’organisant en vertu de la marche infinie du progrès et d’une maîtrise toujours plus grande de l’univers. Le rôle d’artistes comme Miguel Chevalier serait de traduire de fortes sensations engagées par de nouvelles formes d’abîmes. Passeur vers les nouveaux mondes et fabricant des métaphores nécessaires à leur critique, il rejoindrait alors tous ceux qui ont rendu visibles les utopies techniques contre l’arrogance de la rationalité absolue. » Laurence Bertrand-Dorléac.
Ce livre est essentiel pour quiconque s’intéresse à l’intersection de l’art et de la technologie. Grâce à son approche à la fois érudite et accessible, Bertrand-Dorléac ne se contente pas de présenter un artiste et son œuvre, mais invite à une réflexion plus large sur le rôle de l’art dans la société contemporaine et les manières dont la technologie peut enrichir notre perception esthétique et émotionnelle du monde.
Textes :
- Essai de Laurence Bertrand-Dorléac, historienne de l’art, professeure d’histoire de l’art à l’IEP Paris.
- Entretien avec Jérôme Sans, directeur d’institutions d’art contemporain (Palais de Tokyo, UCCA, LagoAlgo), critique d’art et commissaire d’expositions.