En 2025, matali crasset investit deux lieux originaux le temps de deux expositions. La première, « La communauté des cratères », présentée du 6 mars au 18 avril 2025 au Transfo Emmaüs Solidarité à Paris, imagine un groupe vivant dans le creux de la terre, à la manière d’une « écotopie », une société idéale fondée sur des principes écologiques et durables. La seconde exposition, « Nos pieds d’argile », présentée du 18 avril 2025 au 15 janvier 2026 à l’église Saint-Pierre de Firminy-Vert – Site Le Corbusier, propose une réflexion collective sur la fragilité de l’être humain et sa relation à l’environnement, à travers une série de projets design qui encouragent à réparer, réhabiliter et préparer le terrain pour un futur durable.
matali crosse est designeureuse. Depuis sa formation aux Ateliers-ENSCI dans les années 1990, elle défend un design à la croisée d’une pratique artistique, anthropologique et sociale. Elle œuvre pour un design de la création, du vivant et du quotidien : comment le design peut contribuer au vivre ensemble et nous accompagner dans le monde contemporain ? C’est à partir de ce postulat à la fois simple et engagé qu’elle pense et travaille « en mouvement ». Depuis 30 ans, elle invente son parcours singulier, nourri des centaines de projets qu’elle a menés aussi bien en architecture qu’en scénographie, en conception d’objets, de mobilier, d’espaces publics et d’aménagement. Ses œuvres sont exposées dans les institutions culturelles en France et à l’étranger et comptent parmi les grandes collections de design des musées, du Moma de New York au centre Pompidou… Son design sans frontières ni territoire est l’expression d’une conviction profonde, celle du processus créatif, considéré comme projet humain, social et écologique. Car la finalité des projets ne repose pas sur leur seule et unique réalisation, mais sur le processus lui-même et la capacité à produire du lien, à créer un système d’échange et de réciprocité entre les individus et avec le milieu naturel. C’est ainsi que tout projet devient œuvre commune.
Dans ma tête comme des champs que je n’arrête pas de cultiver »
« La communauté des cratères »
Exposition du 6 mars au 18 avril 2025 – Le Transfo Emmaüs Solidarité, Paris
“Dans le célèbre roman de N. K. Jemisin, La Trilogie de l’héritage, on découvre un petit monde de personnes dotées d’un pouvoir surnaturel : un sixième sens capable à la fois de déceler les tremblements de terre avant qu’ils n’arrivent et de les atténuer. […] Des sortes de voyantes telluriques : habitantes des soussols, iels sont aussi des vigies : elles ne sont ni terrestres, ni hors-sol, mais du sol, mais aussi dotées d’un savoir excédant les sciences qui se contentent de rester à la surface. Dans l’histoire humaine, il y aurait bien des ancêtres de ces arts du contrepoint à renommer, ancêtres dont l’effort était tout entier tendu vers l’étude patiente des manières de se fondre dans son environnement” Emma Bigé, Mouvementements, Éditions de la découverte, 2023.
Tirant son inspiration de ce roman, matali crasset tisse son récit pour cette exposition autour de l’« écotopie », une société imaginaire organisée selon des principes écologiques et durables. Le public déambule au cœur de ses créations qui retracent l’histoire d’un groupe qui choisit d’habiter le cratère, pour accepter la part animale de l’être humain, venir se loger dans le creux de la terre, se sentir protégé et vivre un présent pour sortir d’un temps linéaire.
Les œuvres révèlent, au fil du parcours, le tumulte des réactions et adaptations humaines face aux dérèglements climatiques croissants, qui ont conduit à la création de nouveaux types d’habitats, comme des maisons sur pilotis ou troglodytes. En effet, ces habitations creusées dans la roche ou sous la terre offrent en effet une régulation thermique naturelle, permettant de survivre aux températures extrêmes sans avoir besoin de chauffage ou de climatisation.
L’artiste évoque également le sentiment croissant d’injustice et d’impuissance parmi ceux qui, sensibles à l’écologie, dénoncent l’extractivisme et la dégradation des paysages, notamment à travers l’exemple des carrières de marbre de Carrare, en Toscane. L’exposition fait également écho aux pratiques destructrices de l’industrie extractive, les luttes territoriales et la résistance
collective.
L’exposition, à travers ses œuvres, met en lumière l’émergence d’une « communauté des cratères », une forme d’organisation collective qui choisit de s’ancrer dans les espaces dévastés, les anciennes carrières et les zones abandonnées, pour en faire des lieux de résistance et de protection de la terre. Ce retour à la terre, symbolisé par l’habitat dans ces creux et ces fractures, devient un acte de résistance contre l’artificialisation des paysages et l’extinction des espaces naturels. Les artistes, à travers leurs œuvres, invitent à redécouvrir cette relation avec la terre, à se reconnecter à ses blessures et à ses cicatrices, à reconnaître que, pour réparer, il faut d’abord habiter profondément ces espaces dévastés.
À travers cette exposition, se dessine aussi un récit intime de l’auteure, dont les œuvres résonnent avec une mémoire collective liée à la terre et à l’eau. Un récit où la terre est perçue non seulement comme un espace à protéger, mais aussi comme une source de soin et de guérison. Ce lien se renforce à travers des expériences personnelles, des histoires du village où l’eau, parfois dangereuse, devient un lieu de symbolisme, une frontière entre la vie et la finitude humaine. En réintégrant ces éléments naturels, les œuvres de l’exposition nous poussent à repenser notre propre relation à la nature, à comprendre que la terre et l’eau, bien plus que des ressources, sont des alliées dans la lutte contre l’extractivisme et la destruction environnementale.
Exposition au Transfo Emmaüs Solidarité, 36 rue Jacques Louvel Tessier – 75010 Paris
« Nos pieds d’argile »
Exposition du 18 avril 2025 au 15 janvier 2026 Église Saint-Pierre de Firminy Site Le Corbusier
L’exposition « Nos pieds d’argile » prend place dans des espaces cloisonnés entourés d’un gradin périphérique commun, continu entre toutes les salles. Une typologie d’espace insolite qui invite à se poser pour que « nous gradinions ensemble ». Exposer une démarche design aujourd’hui, c’est montrer et partager les hypothèses de reconfiguration sur lesquelles matali crasset travaille pour inviter à faire chemin critique ensemble. Le temps de la prise de conscience de notre fragilité fait place à celui de la recherche d’une habitabilité pragmatique et des terrains pour apprendre à aimer ce monde transformé, abîmé.
Une exposition en trois étapes (avec trois projets chacun) pour analyser, raconter et changer nos pratiques :
– Nous réparons le terrain (du commun) à l’aide d’un dispositif/espace qui nous invite à se fédérer pour se poser les bonnes questions et d’une installation à l’extérieur du lieu d’exposition pour activer un séchoir collectif avec les étudiants de l’école Head.
– Nous réhabitons le terrain avec trois réalisations pour s’ancrer en faisant le point sur nos attachements, convoquer des récits situés et donner à voir un territoire.
– Nous préparons le terrain avec l’exposition du démonstrateur échelle 1 d’une habitation pragmatique, pensée pour une interaction avec son milieu et pour restituer à la terre.
Enfin, le projet se conclut par la création de deux fantaisies, deux œuvres qui prolongent le réel pour mieux s’en échapper, avec des associations inattendues pour tenter de retrouver une certaine légèreté.
L’exposition propose un espace-temps spécifique : penser le passé comme au-dessous de nous plutôt que de le penser à l’arrière de nous. Comme le suggère David Abram : « Le passé loin d’être ce qui s’éloigne à mesure que nous avançons dans le monde, serait le sol même sur lequel nous progressons – tout composé qu’il est de l’archive des vivants et de leurs corps (branches, feuilles, racines, squelettes…) déposés, couches après couches, et constituant ainsi l’humus sur lequel nous marchons ».
Exposition à l’Église Saint-Pierre de Firminy, Rue des Noyers – 42700 Firminy
Nous réparons le terrain
Cet espace porte un dispositif engagé et entièrement dédié au fait de renforcer le commun. Une structure en bois pour faire naître des comportements sociaux capable d’enrichir notre quotidien et nous aider à devenir actif. Elle porte un scénario particulier étudié pour fluidifier la participation. Avant la discussion, le rassemblement, les sujets de discussion sont annoncés et mis en avant sur des panneauxécussons tout autour. Au moment de la discussion, chaque participant se saisit d’un tabouret pour venir former l’agora tout autour de la structure centrale, qui devient transparente.
Elle permet éventuellement aux orateurs de venir en son sein, tout à tour, pour défendre leur point de vue. À l’intérieur du dôme : une petite table d’appoint y est prévue pour une personne en charge de prendre les notes, si cela est nécessaire, et garder les traces de la discussion. Une fois, le rassemblement terminé, chacun viendra remplacer le tabouret qu’il a utilisé pour réformer, refermer le dôme. La structure est alors sur la défensive, elle protège les prises de position collectives et la décision commune.
Nous réhabitons le terrain
En amont de vouloir réhabiter un lieu, il faut avoir la capacité de faire un point sur les attachements que l’on a avec ce lieu. L’enjeu pour devenir pleinement vivant est de multiplier nos attaches et de faire en sorte qu’elles ne soient plus superficielles. S’approvisionner au plus près permet de sortir d’une attitude d’extractivisme car nous avons tendance à traiter avec empathie et à prendre soin de notre milieu immédiat. La qualité de notre vécu dépendra du réseau socioécologique que l’on aura réussi à tisser avec le lieu environnant. En retrouvant un réseau dense nous pourrons aspirer à faire partie de nouveau de la communauté biotique. Cet espace montre mon réseau d’attachements avec les espèces animales, végétales et avec les personnes côtoyées à la Loge Boursault à Vézières pendant le confinement. L’espace représente une cabane symbolique à l’image de celle construite par Thoreau et relatée dans Walden. Une structure qui peut devenir un outil pour chacun ou en groupe pour faire le point sur ses propres attachements à un lieu précis.
Nous préparons le terrain
Imaginez une pit house [fond de cabane], un des deux modèles des maisons primitives typique du néolithique. C’est une petite maison ronde, entourée simplement de poteaux en bois pour tenir le toit. On y pénètre par une rampe mais au lieu de descendre comme dans la pit house qui est semi-enterrée, pour aller dans la maison de la restitution, on monte car elle est comme posée sur une butte de terre à un mètre du sol.
Cette surélévation entre la base de la maison et le sol nous permet de créer une zone-tampon. Un espace où on montre nos déchets pour pouvoir plus facilement les utiliser en ressources. Une interface pour l’action, des échanges dynamiques entre nous et notre milieu qui facilite la restitution, propice à l’installation d’une trame d’usage pour regagner ce savoir-faire qui s’inscrit dans un prendre soin élargi au milieu.
Une maison nous permet d’acquérir une culture du vivant au quotidien grâce à des usages pragmatiques qui s’organisent tous autour de la maison et à l’intérieur. Étant surélevée à un mètre
du sol, on peut avoir, à l’extérieur, accès à tous les contenants qui sont placés tout autour à la périphérie. Certains sont aussi accessibles de l’intérieur grâce à des trappes d’accès disposées en partie avant de la maison.
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L’année est également rythmée par trois publications parmi lesquelles Les terreblements, une « fantaisie » de matali crasset, aux éditions des Presses du Réel (printemps 2025), le catalogue
de l’exposition matali crasset. Nos pieds d’argile (printemps 2025) et une nouvelle monographie à paraître aux Éditions de La Martinière (automne 2025).
2025 est marquée par trois nouvelles éditions – Blazers / Blasons, La Rochère et Tissage Moutet – ainsi que l’anniversaire des 10 ans de sa collaboration avec Theo, éditeur de lunettes
belges.
2025 voit également la concrétisation des projets d’architecture intérieure à travers l’aménagement de trois appartements pour le Familistère de Guise dans l’Aisne, réalisés en
collaboration avec le lycée des métiers d’art de Saint-Quentin.
Enfin, matali crasset réalise la scénographie de Circus remake, un spectacle de Maroussia Diaz-Verbèke, Le troisième cirque au Théâtre Silvia Montfort, à Paris jusqu’au 15 février 2025 et
en tournée dans toute la France en 2025.