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« Alechinsky sur papier » au Musée Pierre André Benoit, Alès

Du 20 juin 2025 au 4 janvier 2026, le Musée-bibliothèque PAB (Pierre André Benoit) à Alès donne carte blanche à Pierre Alechinsky, figure majeure de l’art contemporain. Cette exposition unique de son travail sur papier, réunie près de 200 œuvres rarement présentées – dessins, gravures, papiers marouflés et livres d’artiste – et couvre huit décennies de création. L’occasion aussi d’un hommage à l’amitié entre l’artiste et le fondateur du Musée, Pierre André Benoit. Une mise en lumière des œuvres sur papier, jamais présentées au musée, et couvrant plus de sept décennies de création, des années 1940 à aujourd’hui .

Pierre Alechinsky, peintre et graveur belge naturalisé français, né en 1927, fait partie du groupe CoBrA (COpenhague, BRuxelles, Amsterdam) de 1949 à 1951. D’abord formé à la typographie, il vient à la peinture en autodidacte. En 1965, il peint Central Park, œuvre magistrale qui marque un tournant dans sa carrière. Il y introduit ses
premières « remarques marginales », marqueur essentiel de son travail artistique qui offrent une lecture sans cesse renouvelée de ses œuvres ; et adopte l’acrylique sur papier, délaissant progressivement l’huile et le chevalet, lui permettant de libérer son geste et son inventivité. Façonné par le milieu de l’imprimerie, Pierre Alechinsky
se distingue aussi par son goût des papiers anciens, qu’il réhabilite pour leur offrir une nouvelle destinée, souvent emprunte d’humour.

À travers cette carte blanche au Musée-bibliothèque PAB, Pierre Alechinsky orchestre ainsi son propre parcours rétrospectif. En puisant dans sa collection personnelle,
il établit des résonances inédites entre œuvres d’époques, techniques et formats différents, selon son regard et sa sensibilité. Un accrochage pensé comme une expérience, où « explorer » et « ressentir » sont les maîtres mots ; mais qui nous dresse aussi un portrait intime de l’artiste, offrant un accès privilégié à ses inspirations
et sa démarche créative.

Pierre Alechinsky a choisi un lieu hautement symbolique pour cette exposition : le Musée-bibliothèque PAB à Alès, créé par Pierre André Benoit (PAB), imprimeur,
artiste et poète, avec qu’il a entretenu une relation artistique féconde. Après une première collaboration à distance en 1967, les deux hommes se rencontrent en 1974, et travailleront ensemble sur 26 éditions, où Pierre Alechinsky fera les illustrations des ouvrages publiés par PAB. Il exécutera également une fresque en lave émaillée qui orne aujourd’hui encore la façade du Musée-bibliothèque PAB. De nombreux livres d’artiste présentés dans l’exposition Alechinsky sur papier, témoignent ainsi de cette
complicité créative, inscrivant cet événement dans la continuité de leur dialogue.

Parcours de l’exposition

L’exposition débute au deuxième étage du musée par les collaborations autour du livre d’artiste, entre Pierre André Benoit et Pierre Alechinsky. Des livres pour raconter l’histoire d’amitié entre le fondateur du musée et l’artiste justifient pleinement cette exposition à Alès. Ils ont exploré ensemble l’art de fabriquer des livres pendant plus de trente ans, toujours avec espièglerie et inventivité ! Des trésors pour bibliophiles sont nés de ce compagnonnage : Tête de clou, Bleu, Adoré sur tranche… D’autres
imprimeurs, éditeurs et poètes avec lesquels Pierre Alechinsky a collaboré sont également à découvrir tout au long du parcours.

Dépeindre, décrire, 1979, acrylique à « remarques marginales » sur papier marouflé, 150 x 220 cm © Pierre Alechinsky
« Qu’est-ce qu’un livre d’artiste ? »
Au-delà du simple livre, il s’agit d’une véritable création artistique entre plusieurs intervenants : poètes, écrivains, plasticiens, imprimeurs, éditeurs… Une association entre le texte et l’image. C’est ce qui fait l’essence même du livre d’artiste aussi appelé « livre de dialogue ».
Chacun a besoin de l’autre pour exister et ne peut se suffire à lui-même. C’est un espace de partage permettant un champ expérimental infini pourles artistes. Chaque élément, qu’il s’agisse des illustrations, du choix du papier, celle de la typographie ou de la mise en page, est choisi avec minutie et attention pour sublimer l’objet. Le plus souvent, le livre d’artiste est édité à très peu d’exemplaires (maximum une centaine) de part la conception et la réalisation qui prennent beaucoup de temps. Mais c’est ce qui fait aussi tout l’attrait du livre d’artiste qui reste ainsi, un objet rare et précieux, numéroté et signé. Parfois même, certains livres ne sont édités qu’à un seul exemplaire !

Ce n’est pas moins de huit espaces que le musée consacre à l’œuvre papier de Pierre Alechinsky, à travers 200 œuvres dont 146 sur papier (encadrées ou marouflées sur toile) ainsi qu’une cinquantaine de livres d’artiste. Toutes les époques y sont présentées de 1961, pour l’œuvre la plus ancienne, à 2020, pour la plus récente. Le visiteur est invité au voyage et à la rêverie au milieu d’œuvres singulières, évocatrices de l’imagination fertile de l’artiste.
Remarques marginales emblématiques de son travail, figures monstrueuses ou grotesques surgissant du papier, ou encore papiers d’archives réinvestis, sortes de palimpsestes transgénérationnels, c’est tout l’univers poétique de Pierre Alechinsky que le musée invite à découvrir.

Dans l’atelier de Pierre Alechinsky 

Le papier comme inspiration et outil de travail

Le papier joue le rôle principal dans les compositions de Pierre Alechinsky puisque c’est lui qui est au cœur du processus créatif. Alechinsky multiplie les variétés et les provenances : papier Japon, très résistant et souple, papier de Chine, reconnu pour sa grande finesse et sa résistance, papier Taïwan.
Il utilise également des papiers français et italiens datant de plusieurs siècles ! Chaque papier utilisé par l’artiste correspond à un besoin : le vélin aura un rendu lisse et soyeux tandis qu’un papier vergé sera texturé. Le papier chiffon issu de fibre textile comme le lin et le chanvre, sera quant à lui utilisé pour ses gravures. Sans compter les papiers anciens (lettres, manuscrits, cartes géographiques…) qu’il réemploie.

Une large palette s’offre à l’artiste pour de multiples possibilités bien plus vastes que celles des toiles. Le papier deviendra la couche préparatoire de la toile et sera lié à elle par le marouflage.

Quand mon pinceau
baguenaude sur les pages
d’un vieil atlas et qu’au détour
d’une frontière il tombe, en vieux
marcheur qu’il est, sur le tracé
d’une courbe qui pourrait de
près ou de loin ressembler à
une robe, une chevelure, il n’a
plus qu’à se laisser aller. Ce n’est
pas du travail, c’est de la rêverie
entr’aperçue qui trotte. »
Pierre Alechinsky

Dès les années 1940, Pierre Alechinsky montre un intérêt grandissant pour les vieux papiers du XVIIe, du XVIIIe et du XIXe siècle qu’il commence à collectionner : vieilles factures, actes notariaux, registres, actes de propriété, carnets de notes, cartes – notamment les pages des Atlas qui le fascinent – correspondances, jusqu’à ses propres factures ! Il les trouve dans les marchés aux puces de Saint-Ouen, de Bruxelles… les choisit avec soin, les frotte, les plie, les déplie et leur offre une deuxième vie. Très vite, il réutilise ces papiers pré-existants en les retravaillant et en gardant l’essence même des papiers. C’est ce qu’on appelle des palimpsestes. Sur les cartes il profite des frontières, des mers… pour y installer son propre voyage imaginaire et pour faire une relecture : il crée en fonction de ce qui est déjà présent sur le papier.

C’est le cas, par exemple sur Flora Danica. Ouvrage de botanique danois gravé à Copenhague entre 1862 et 1883. En 1988, Pierre Alechinsky tombe par hasard sur des feuilles débrochées de ce livre. Dès lors, il n’a pas de scrupule à travailler dessus car pour lui, le mal est déjà fait, les feuilles sont déjà abîmées, jamais il n’aurait osé
peindre directement sur un ouvrage broché ! Il laisse alors parler les thèmes existants dans ces planches et procède à un travail d’interprétation : des champignons vont devenir des yeux, des plantes se transforment en cheveux… C’est un dialogue entre deux mondes que nous propose l’artiste en réunissant l’ancien et le nouveau. Il utilise déjà ce même principe dans Hoirie-Voirie, en 1968 avec des papiers notariaux de succession. Par ce procédé, il présente de nouveau des œuvres à 4 mains comme il a l’habitude de le faire avec de nombreux artistes comme Christian Dotremont avec La Nuit Venue. Mais cette fois-ci, cette création à double voix se fait dans une temporalité différente tout en construisant une histoire qui s’emboîte dans une autre.

Pierre Alechinsky et Pierre André Benoit, Si nous en effet, avec marges à l’encre et aquarelle, 1988, 32 x 45 cm © Pierre Alechinsky

Pierre Alechinsky, artiste ambidextre

Gauché contrarié, c’est de la main droite qu’on obligea le jeune Pierre Alechinsky à écrire. Autre temps, autre mœurs, la main droite était celle de l’écriture pour tout le
monde et il était inconcevable qu’il en soit autrement. Alechinsky écrira donc de la main droite mais pu garder sa main gauche pour les activités artistiques. Et lorsque l’artiste prend son envol et que le temps de la signature de l’œuvre arrive, c’est encore de la main gauche qu’il appose son nom sur sa toile. Car pour l’artiste, cette écriture est un « signe », une « signe-ification » comme un idéogramme.

Avec le temps, il remarque qu’il est doté d’un « super pouvoir » : celui d’être ambidextre, pouvant écrire simultanément le même mot à l’endroit de la main droite et à l’envers de la main gauche. Son cerveau de gaucher n’y est sans doute pas pour rien. C’est également cette particularité de gaucher qui l’amène naturellement et avec facilité à la gravure, dont la caractéristique première est de travailler à l’envers sur les matrices.

Les « remarques marginales »

À l’origine il s’agit d’un terme employé par les typographes pour désigner les corrections apposées dans les marges. La promiscuité entre l’art et l’écriture est encore une fois bien présente chez Pierre Alechinsky. Ces premières remarques marginales émergent en 1965 avec Central Park. Cette œuvre marque un tournant dans la création plastique de l’artiste et donne une nouvelle impulsion à son travail. C’est l’œuvre des premières fois : première utilisation de la peinture acrylique, premier marouflage sur toile et premières remarques.

En 1965, il est à New-York chez son ami Wallace Ting et est frappé par cette injonction placardée à l’entrée de Central Park « Don’t Cross Central Park by Night. ». Du 34e étage de l’appartement de son ami, il voit surgir de ce parc « une gueule débonnaire de monstre ». Cette phrase devenue obsessionnelle lui inspire cette création sur papier en acrylique de ce qui, au départ, ne devait être qu’une toile marouflée. De retour à Paris, il déplie ce papier et le punaise au mur. Puis il se met à dessiner des motifs et à les punaiser tout autour « juste pour voir ce que cela donnait ». Il s’aperçoit rapidement que cette manière de ceinturer l’œuvre offre plusieurs avantages. Elle permet dans un premier temps de retenir le regard du spectateur, car l’œil rebondit du panneau central aux remarques et inversement. Dans un second temps, ces
remarques lui permettent des tentatives d’explication du panneau central par une technique de répétition de motifs. « C’est par la répétition que l’on est convaincu de certaines choses » affirme l’artiste.

Ces remarques peuvent alors être soit la représentation du dessin central vu sous un autre angle (transposition du thème), soit une nouvelle déclinaison du dessin central (variation du thème), soit des nouvelles données iconographiques qui orientent ou enrichissent le sens du panneau central (contrepoint de thème). Pierre Alechinsky met ici en place un dialogue entre le centre de l’œuvre et sa périphérie, invitant le regard à explorer chaque centimètre. Partagé entre fascination et mystère, l’œil ne peut se détacher facilement de cette interaction visuelle. À cet instant précis, Pierre Alechinsky est en train de décider d’un style qui deviendra sa signature propre.

Les premiers tableaux à remarques marginales se présentent avec un panneau central en couleur contrebalancé par des remarques tout autour en noir et blanc. Et puis,
presque par coïncidence, il inverse ce rapport de force : le panneau central sera en noir et blanc et les remarques en couleurs. Il déclarera d’ailleurs « je ne sais pas pourquoi j’ai mis autant de temps à faire le contraire. » Il faut bien comprendre que chaque remarque est un enchaînement de gestes propres au tableau et ne peut en aucun cas être transféré sur une autre toile. Ceci explique pourquoi tous les tableaux de l’artiste ne possèdent pas de remarques marginales.
Cela demande la création de 50 à 60 images en plus, soit 50 à 60 idées en plus à développer par tableau ! Il gardera dans toutes ses œuvres cette ligne qui ceinture l’ensemble, accentuant l’idée de la « limite du tableau ». Pierre Alechinsky les considère comme des sas de décompression entre le monde du dehors et la peinture,
la protégeant ainsi du monde extérieur.

Il propose une autre variante de ses remarques avec des vignettes en bas du tableau : les prédelles. Traditionnellement associées à la partie inférieure d’un retable religieux, elles servent de support au panneau central et représentent des sujets en relation avec le ou les thèmes principaux. Pierre Alechinsky reprend cette idée
dans ses œuvres comme dans La première heure.

La première heure, 1968-1974, peinture à l’acrylique, dans la prédelle : 5 encres sur tapuscrits de Michel Butor © Pierre Alechinsky

De l’importance de la posture

Un large bol à la main (large pour faciliter au pinceau l’accès à la réserve de couleur), je me penche sur le papier, posé au sol, maintenu par quatre plombs d’imprimerie. Je me vide. Les lignes ont pris les formes d’une gueule ouverte tirant la langue […]. L’air circule, passe par les détroits des traits interrompus.
— Si manque l’air, si lignes bloquées, impossible de bouger la tête, déclare Ting. Peintre chinois toujours ouvrir la ligne. Respirer. Si lignes pas ouvertes, image mourir. »

C’est en 1954, lorsqu’il rencontre le peintre chinois Wallace Ting, qui deviendra son ami, que Pierre Alechinsky découvre une autre façon de travailler. Fasciné par le travail au sol de son ami, il modifie sa façon de créer. Cette posture lui permet de surplomber le papier, il le domine. Contrairement à un châssis où le peintre se recule (mais jusqu’où ? se demande Alechinsky), cette position physique est beaucoup plus logique et intuitive pour l’artiste. Elle lui permet une meilleure expression. Jusqu’à ses 30 ans, il peint debout sur un chevalet mais il remarque qu’il éprouve beaucoup de difficultés à s’exprimer. Les forces de l’apesanteur peuvent faire couler la peinture vers le bas. C’est une position qui le fait douter de ses œuvres !
Avec cette nouvelle posture Alechinsky s’aperçoit qu’il n’« applique » plus ses idées mais les « verse ». Le dessin vient alors de l’entièreté du corps et de son engagement physique.

Il remplace également la toile par du papier, plus léger et plus pratique, qui permet à l’artiste de pouvoir peindre n’importe où, aussi bien dans un atelier que dans une chambre d’hôtel ! Une fois le papier positionné au sol, Pierre Alechinsky, ayant l’angoisse de la « feuille blanche », commence toujours par des taches qu’il jette sur son support. À partir de ces éléments fortuits, il crée petit à petit quelque chose issu de son imaginaire foisonnant et débordant. Courbes, contre-courbes, grouillement, l’artiste ne sait jamais où il va aller, tout se fait au fur et à mesure quand apparaît « la révélation de certains éléments ».

Lorsqu’il veut avoir des taches blanches sur le papier il utilise une technique proche de la lithographie. Il disperse de la gomme arabique sur la toile. Il laisse sécher puis recouvre l’ensemble d’encre noire. Il passe ensuite un jet d’eau. La gomme arabique ne retenant pas l’encre, l’artiste va retrouver le blanc du papier aux endroits protégés par celle-ci : technique utilisée pour l’affiche de l’exposition Alechinsky à l’imprimerie en 2023. Une fois l’œuvre sèche, Pierre Alechinsky la maroufle sur une toile à l’aide d’une colle vinylique extra forte, puis fait les finitions en positionnant l’œuvre à la verticale. D’autres séances interviennent au fil du temps. remplacer par « car le problème majeur de l’artiste est de savoir quand il doit s’arrêter et ne pas franchir la ligne. Certaines de ses œuvres comme La première heure prendront plusieurs années pour décider qu’elles sont enfin terminées (6 ans pour celle-ci).
Le plus souvent, son épouse Micky sonnait la fin quand elle lui disait que son œuvre était « prête à rencontrer le public ».

Dulle Griet au bal du rat mort, 1996, tempéra à remarques marginales sur papier marouflé, 146 x 186 cm,
© Pierre Alechinsky

Biographie de Pierre Alechinsky

Origines et formations

Pierre Alechinsky est né le 19 octobre 1927 à Bruxelles de parents médecins (père russe et mère wallonne). Peintre, graveur et dessinateur, il vit et travaille en France depuis 1951.
Entre 1944 et 1948, il étudie la typographie et l’illustration du livre à l’École nationale supérieure d’Architecture et des Arts décoratifs (La Cambre, Bruxelles). En parallèle, il se met indépendamment à la peinture et intègre le groupe Jeune Peinture Belge en 1947.

L’expérience CoBrA et le début d’une carrière internationale

En 1949, suite à sa rencontre avec le poète Christian Dotremont, il rejoint le groupe CoBrA (Copenhague/Bruxelles/Amsterdam). À Bruxelles, il fonde pour CoBrA un
Centre de Recherche dans une maison communautaire, les Ateliers du Marais. De plus, il s’implique dans la revue éponyme créée par le groupe. En 1951, année de la dissolution du mouvement, il organise la Deuxième et dernière exposition internationale d’art expérimental au Palais des Beaux-Arts de Liège. Après quoi, il quitte Bruxelles pour s’installer à Paris où il se perfectionne en gravure à l’Atelier 17.

Central Park : un tournant artistique

En 1965, André Breton choisit son œuvre Central Park (1965) pour L’écart absolu, XIe Exposition internationale du Surréalisme à la Galerie de l’Œil, à Paris. Cette œuvre marque un tournant dans sa carrière artistique : il s’agit de son premier tableau acrylique à « remarques marginales », ici une vue aérienne de Central Park, interprété par l’artiste sous forme de monstre. Alechinsky abandonnera progressivement l’huile pour ce nouveau médium qu’il utilise sur papier puis maroufle sur toile. En 1982, il inverse la méthode pratiquée pour Central Park. Le sujet central sera traité en noir, les marges jusqu’ici vouées aux dessins cloisonnés deviennent d’un seul tenant une bordure en couleur.

Il réalise sur commande des oeuvres monumentales : le Salon d’accueil du Ministère de la Culture (1985), la rotonde reliant l’Hôtel de Lassay à l’Assemblée nationale (1993), ou de grands murs de lave émaillée (Belgique, Danemark).

Des commandes monumentales et une reconnaissance internationale

Au fil des années, de nombreuses institutions lui ont consacré des rétrospectives : le Carnegie Institute Pittsburgh (1977) ; le MoMA, New York (1981) ; le Solomon R. Guggenheim Museum, New York (1986) ; la Galerie nationale du Jeu de Paume, Paris (1998) ; le Centre de la gravure et de l’image imprimée, La Louvière (2000) ; le Cabinet d’art graphique du Centre Georges Pompidou, Paris (2004) ; la BNF, Paris (2005) ; le Musée Granet, Aix en Provence (2010) ; Círculo de Bellas Artes, Madrid (2015) ; les musées d’Osaka et Tokyo (2016-2017).

Pierre Alechinsky a reçu de nombreux prix et distinctions :
Jeune Peinture Belge (1950) ; Biennale de gravure, Cracovie (1966) ; Triennale de la gravure de Belgique (1966) ; Grand Prix MarzottoEurope pour la peinture (1968) ; Prix Andrew W. Mellon (1976) ; Grand Prix national des Arts et Lettres pour la Peinture (1984) ; Associé à l’Académie Royale de Belgique (1987) ; Commandeur
de l’Ordre des Arts et Lettres (1992) ; Docteur Honoris Causa de l’Université Libre de Bruxelles (1994) ; Prix André Malraux du Livre.
Depuis 1979, Pierre Alechinsky est représenté par la Galerie Maeght, devenue par la suite la Galerie Lelong (puis Lelong & Co.).

Une empreinte forte au Musée-bibliothèque PAB

Dès que l’on franchit les portes du Musée-bibliothèque PAB, l’empreinte de l’amitié entre Pierre André Benoit et Pierre Alechinsky se révèle avec évidence. Pierre Alechinsky a réalisé en 1991 une fresque en lave émaillée, Petite falaise illustrée, qui accueille le visiteur dès son arrivée sur le perron ; et l’année suivante un vitrail. Il a exposé deux fois au musée en 1990, Peintures et livres puis en 2001, La Roue de l’Imprimerie. Depuis, il est présenté dans la salle qui lui a été consacrée par PAB en 1992. Car le musée possède une collection remarquable d’œuvres de Pierre Alechinsky datées de 1948 à 2004 : peintures à l’huile, estampes, céramiques, vitrail.

Pierre ALechinsky et PAB, une amitié et relation artistique foisonnante

L’imprimerie a toujours eu une place dans la création artistique de Pierre Alechinsky et par extension il était normal pour lui que le livre en fasse également partie.
La première collaboration entre les deux hommes a lieu, à distance, en 1967 pour le livre L’espace d’un doute de Jean Jacques Lévêque. Pierre Alechinsky propose ainsi une gravure en eau-forte pour ce texte publié en avril. Il faudra attendre 8 ans pour que les deux hommes se retrouvent autour des écrits de PAB cette fois. Ils publieront ensemble Entre le pouce et l’index, comportant 4 gravures sur celluloïd de l’artiste. Ils collaborent en 1984, année qui marquera le début d’une relation beaucoup plus intense avec les deux premiers « minuscules », Mots Bavards, texte de Camille Bryen comportant 3 gravures sur celluloïd d’Alechinsky (10 x 9,5 cm), et Hi Hi Hi Hi,
texte de PAB comportant une gravure sur celluloïd de l’artiste (6 x 8 cm). Cette année marque aussi un rapprochement amical entre les deux hommes qui se ne tarira qu’au décès de PAB en janvier 1993.
22 éditions de livres d’artiste voient le jour, dont plus de la moitié entre 1990 et 1992 ! À cela il faut ajouter la fresque en lave émaillée ceinturant l’escalier d’honneur du muséebibliothèque en 1991, mais aussi le vitrail posé en 1992 dans une salle du musée qui lui est consacrée, sur décision de PAB lui-même. Toutes les techniques sont employées par les deux amis, l’eau-forte, le celluloïd, la gravure sur or avec Adoré sur la tranche (1991), la typographie, le dessin, le collage, les textes manuscrits reproduits en offset ou en photocopie, qui aboutira même à l’unique livre de PAB en photocomposition avec Tête de clou (1991).

PAB est fasciné par Alechinsky le dessinateur et la facilité avec laquelle il joue de son pinceau chinois, par Alechinsky le graveur et sa facilité de sa vision miroir et par Alechinsky le peintre et son aisance créatrice. Alechinsky, lui est très intéressé par l’originalité de PAB et sa grande liberté du livre. Avec lui tout est possible et il n’hésite pas à repousser les limites de l’impression dans un jeu permanent au grand bonheur des artistes qui collaborent avec lui. Un ping-pong artistique se joue entre les deux hommes ponctués vers la fin de vie de PAB, par de nombreuses visites.

Pierre Alechinsky vient pour la première fois à Rivière-de-Theyragues, chez PAB, le 20 juillet 1986, donnant vie à Alechinsky ici, livret de photographies qui sera publié en 1990. Il revient dans les Cévennes le 14 janvier 1989 pour l’inauguration du Musée-bibliothèque Pierre André Benoit, où il signe les exemplaires de Si nous en effet. Puis, il revient dans l’année signer Plier boutique, texte de PAB comportant 6 gravures de l’artiste. Ce livre est l’aboutissement d’un projet de plus de 10 ans, après que PAB lui ai envoyé son texte en lui proposant d’y mettre « du noir là où il reste du blanc ». Mais alors que PAB lui propose d’imprimer le tout en offset, Alechinsky, qui imprima ce livre à ses frais chez Robert Dutrou, préféra la taille douce et offrit ce livre en cadeau de Nouvel an à son ami.

Il accepte la technique de l’offset l’année suivante pour les livres Alechinsky en habit noir et Fragment de lettre et crée pour PAB l’affiche de l’exposition PAB à la B. N.: petits livres majuscules, qui se déroule du 22 janvier au 4 mars. L’été de cette même année, c’est Alechinsky qui y est exposé avec ses peintures et ses livres. Les deux artistes se voient très souvent cette année-là, tantôt à Rivières chez PAB, tantôt chez Alechinsky à Bougival mais aussi au Paradou.
Mais c’est l’année suivante que Pierre Alechinsky offre un des plus beaux cadeaux à PAB : la réalisation de la Petite Falaise illustrée, qui orne l’entrée du Musée-bibliothèque. Cette fresque, de 86 carreaux de lave émaillée, réalisée avec le céramiste Hans Spinner entre mars et avril 1991 sera inaugurée le 15 septembre de cette même année.

PAB, ayant des gros problèmes de santé depuis plusieurs années, voit son état s’aggraver en 1992. Pierre Alechinsky vient le voir le 19 octobre et signe par la même
occasion le livre Fermer enfin son parapluie. En décembre, Pierre Alechinsky revient à Rivières pour l’installation de son vitrail conçu pour une salle du musée-bibliothèque.
Le début de l’année 1993 marque la toute dernière collaboration entre les deux artistes avec Un levant au couchant, texte de PAB accompagné de 8 peintures sur
verre d’Alechinsky. Texte prémonitoire de PAB, ce livre fut achevé deux semaines avant sa mort qui interviendra le 20 janvier. Pierre Alechinsky sera un des rares artistes présents aux obsèques de son ami PAB.

Ce n’est pas la première fois que PAB – P.A. Benoit – m’invite à Rivières. À peine ai-je mis les pieds dans son salon d’apparat qu’il me tend, l’air de rien, des chutes de
cette curieuse matière, le celluloïd, qui lui semble presque noble. Je dois travailler illico, « comme ça » son expression préférée, sous ses yeux vigilants, mi-rieurs,
mi-inquiets. « Il faut s’amuser », souligne-t-il en homme qui déteste le mot travail… Nous avons fait ensemble une bonne vingtaine d’ouvrages de bibliophilie. Aussi
ai-je souvent rapporté du travail à domicile. Parfois, je lui proposais un titre : Plier boutique, Tête de clou, Fermer son parapluie. D’un humour noirâtre. Oui, mais détenant le pouvoir de lui remonter le moral lorsqu’il me l’avait, par téléphone, décrit au plus bas. Sur ce, PAB allait boire un verre en ville et, remontant à l’assaut avec élégance, écrivait sur coin de table un texte pour Plier boutique, un autre pour Tête de clou et un troisième pour Fermer son parapluie. Puis, par lettres crayonnées sur d’humbles feuilles, il prenait des décisions de maître d’œuvre auxquelles, de Bougival, je ne parvenais plus à répondre avec toute la régularité requise, tant il en confiait au facteur. »
Extrait de PAB non loin texte de Pierre Alechinsky 2001

© Musée-bibliothèque PAB, Alès

Ce qui fait aussi l’intérêt de cette exposition, c’est son musée, intime et surprenant. Inauguré en janvier 1989 à Alès, c’est un lieu unique dédié à l’art moderne et au livre d’artiste. Issu de la donation de la collection personnelle de PAB , il reflète le goût et le parcours de ce collectionneur passionné. Le fonds comprend des œuvres de grands noms comme Arp, Pibacia, Picasso, Braque et Miró , mais aussi d’artistes moins connus comme Survage, Viera da Silva, Hugo et Bryen, avec une prédilection pour les arts graphiques. Le musée se distingue par sa spécificité : le livre d’artiste , une passion centrale pour PAB et dépôts de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Le Musée-bibliothèque PAB est un lieu à la fois intime et ouvert, reflétant la personnalité complexe de son fondateur.

Exposition « Alechinsky sur papier » au Musée Pierre André Benoit (PAB), 52 montée des Lauriers (entrée piéton) /Rue de Brouzen (parking et entrée par le parc) – 30100 Alès – 04 66 86 98 69

www.museepab.fr

Photo d’en-tête : Pierre Alechinsky et Pierre Andre Benoit – Photo Thierry Martin © musee-PAB

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