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L’émergence d’une « République de projets » : la réponse des territoires à la crise de l’action publique

Alors que l’action publique nationale s’enlise dans des dispositifs trop centralisés et souvent déconnectés du réel, une autre France se met en mouvement. Discrète, inventive, profondément ancrée sur le terrain, elle réinvente l’action collective et reprend la main sur son avenir. Dans sa nouvelle note Territoires : le défi du dernier kilomètre, Olivier Lluansi montre comment les territoires, forts de leur intelligence locale et de leur « envie de faire », transforment l’expérimentation en modèle et ouvrent la voie à une véritable République de projets. De l’énergie à l’enseignement supérieur, ils n’attendent plus les solutions d’en haut : ils les construisent. Ici, ce ne sont plus les politiques publiques qui façonnent les territoires, mais les territoires qui réinventent la puissance publique.

Alors que les politiques publiques nationales peinent à démontrer leur efficacité sur le terrain, une dynamique de fond, pragmatique et puissante, émerge : les territoires reprennent en main leur destin. « Malgré l’investissement fort de l’État, des gens, parfois en souffrance, s’y sentent oubliés, loin des métropoles… » rappellent Ariella Masboungi et Guillaume Hébert dans leur ouvrage « Les territoires oubliés. Un futur désirable » (2). C’est précisément dans ce contexte que les territoires veulent reprendre en main leur destin. Dans sa nouvelle note d’auteur intitulée Territoires : le défi du dernier kilomètre, et publiée par La Fabrique de la Cité, Olivier Lluansi (1), l’expert des questions industrielles en France, décrypte ce mouvement.

Fort de son expérience comme premier délégué aux Territoires d’industrie, Olivier Lluansi dresse le bilan et les réussites de ce programme et revient sur sa méthode, fondée sur l’intelligence collective locale et « l’envie de faire ». Le programme Territoires d’industrie n’a pas seulement été un succès en soi pour l’auteur, mais il a agi comme un catalyseur qui a permis de décloisonner le champ des politiques publiques locales. L’expérimentation est devenue un modèle d’action. Les territoires ont opéré un changement d’approche : ils n’attendent plus les appels à projets venus de Paris, mais prennent l’initiative et répliquent ce modèle pour s’emparer de sujets régaliens. Ils construisent ainsi leurs propres solutions dans des domaines aussi variés que l’enseignement supérieur, les infrastructures, l’approvisionnement énergétique ou la gestion de l’eau, et répondent à la carence de l’État sur le dernier kilomètre de l’action publique nationale.

Comment le programme Territoires d’industrie redessine l’action publique ?

Lancé en 2019 sans enveloppe budgétaire propre, mais avec la promesse d’une « feuille blanche » et d’un « coupe-file administratif », Territoires d’industrie a connu un succès immédiat. D’une vingtaine de territoires préfigurateurs, le programme s’est finalement déployé dans plus de 180 bassins d’emplois dans toute la France. Pour Olivier Lluansi, le secret de cette réussite tient à la méthode employée : une mobilisation pragmatique, fondée sur « l’envie d’industrie » et « l’intelligence collective » des acteurs locaux, notamment le binôme élus-industriels.

Bien qu’ambivalente, l’évaluation de la Cour des comptes souligne là une réalité saisissante : si l’impact sur l’emploi n’a pas été immédiatement mesurable, la valeur ajoutée moyenne des entreprises industrielles situées dans un Territoire d’industrie a bondi de 38 % entre 2018 et 2022, contre une stagnation en dehors du programme. Une performance qui valide l’efficacité de l’action publique locale.

Des « politiques territorialisées » aux territoires proactifs

Olivier Lluansi constate que si l’État a multiplié les politiques dites « territorialisées » (Action cœur de ville, Petites villes de demain, etc.), leur déploiement reste souvent trop « descendant », « parcellaire » et « encadré » par les administrations centrales. L’impulsion reste dictée par Paris, et non par les besoins du terrain.

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Pour l’auteur, la véritable innovation vient d’ailleurs : les territoires sont devenus proactifs. Ils prennent des initiatives en s’appuyant sur des ingénieries propres, de projet et de financement, pour s’emparer de sujets régaliens. Ces territoires n’attendent plus : ils élaborent leurs solutions, mobilisent des ingénieries locales et expérimentent. Comme le soulignent Masboungi et Hébert, « affirmer que ces territoires auront un futur désirable, c’est décider qu’ils peuvent y parvenir (…) en inventant des programmes originaux et en captant des initiatives locales. » (2)
La note liste ainsi plusieurs exemples.

En matière d’énergie, des territoires anticipent l’installation de petits réacteurs nucléaires (SMR) pour répondre à des besoins spécifiques. Par ailleurs, le territoire de Lacq a choisi de négocier directement avec RTE pour sécuriser l’approvisionnement énergétique de son bassin industriel, passant sous les radars d’une vision nationale. Après avoir identifié l’enseignement supérieur comme un levier du développement économique de son territoire, l’agglomération de Chalon-sur-Saône a choisi d’élaborer et de piloter son propre Schéma local dédié à l’enseignement supérieur, la recherche, l’innovation et la vie étudiante. En matière de développement économique, l’agglomération de Rochefort finalise un « Pacte de responsabilité territoriale » avec Airbus Atlantic, le plus gros investisseur privé du territoire qui concrétise et renforce leurs engagements réciproques – logement, emploi, formation, mobilités pendulaires, garderie, etc — là où le développement économique ne concernait que le foncier il y a encore quelques années.

« Une république de projets dans les territoires » pour pallier la défaillance de l’action publique nationale

Pour Olivier Lluansi, « Cette territorialisation n’est pas une volonté de prendre le pouvoir » mais plutôt un palliatif qui fait ses preuves. Elle répond avant tout à une « défaillance de l’État » et à son incapacité à gérer le « dernier kilomètre des politiques publiques« , pour reprendre l’expression consacrée par le Conseil d’État dans son rapport L’usager du premier au dernier kilomètre de l’action publique : un enjeu d’efficacité et une exigence démocratique, publié en 2023.

Les acteurs locaux prennent le relais et imaginent des solutions pragmatiques qui répondent effectivement aux besoins de leurs habitants et des entreprises, conduisant l’auteur à parler moins d’une « République de territoires » que d’une « République de projets dans les territoires ».

Pour Olivier Lluansi : « Ces initiatives ne remplaceront pas l’action publique nationale, mais elles peuvent la régénérer. Avec peu de moyens, nos territoires inventent des solutions à des problèmes insolubles dans le cadre des contraintes nationales, voire européennes. La verticalité de notre État centralisé, désormais en grande difficulté autant sur le plan des finances, des idées que des capacités à mobiliser, aura-t-il l’audace d’écouter ses territoires ? Cela poserait la question de la subsidiarité différemment, non pas dans le cadre d’un débat théorique, mais en portant un regard bienveillant sur ce qui marche réellement sur le terrain, jusqu’au ‘dernier kilomètre’. »

(1) Olivier Lluansi, ancien élève de l’école polytechnique, a eu un parcours varié, entre secteur public et secteur privé. Ingénieur du Corps des mines, il a commencé sa carrière à la Commission européenne, puis au Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais. Il a ensuite rejoint Saint-Gobain dont il a supervisé les activités en Europe centrale et orientale. Il a également été Conseiller industrie et énergie à la Présidence de la République et il a mis en place l’initiative Territoires d’industrie lancée par le Premier ministre. Il est Professeur titulaire de Chaire au Conservatoire des Arts et Métiers, enseignant à l’École des Mines, et participe à plusieurs laboratoires d’idées, dont Le Lab Bpifrance, La Fabrique de l’industrie, le Lab des Forces françaises de l’industrie, qui lui permettent d’avoir une véritable vision de l’industrie de demain.
Olivier Lluansi a publié en 2024 Réindustrialiser, le défi d’une génération (Les Déviations), et en mai 2023 Les néo-industriels, l’avènement de notre renaissance industrielle (Les Déviations). Il est également co-auteur de Vers la renaissance industrielle (éditions Marie B, 2020).

(2) « Les territoires oubliés. Un futur désirable » d’Ariella Masboungi et Guillaume Hébert – Éditions du Moniteur, février 2024

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