L’avion électrique du futur pourrait bien voir le jour dès 2033. C’est l’objectif que se sont fixés la startup eenuee et le Laboratoire Georges Friedel, réunis dans le labcom DISC-AER, pour répondre à l’urgence de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien. Leur ambition : concevoir un fuselage porteur révolutionnaire, basé sur des matériaux composites thermoplastiques, afin d’offrir une alternative réellement décarbonée aux vols régionaux tout en améliorant l’efficacité énergétique de l’appareil.
Créée en 2019, la société eenuee veut contribuer à la décarbonation du secteur aérien en développant GEN-ee, un avion entièrement électrique, optimisé pour les courtes distances. Ce modèle vise à transporter 19 passagers, à décoller et à atterrir sur de petites pistes, et à assurer des liaisons interrégionales jusqu’à 500 kilomètres.
« Nous recevons même des sollicitations d’autres secteurs, notamment pour du transport de marchandises, ce qui impliquerait une transformation de l’appareil en drone », précise Benjamin Persiani, CEO d’eenuee. « Ce type d’adaptation pourrait aussi intéresser le domaine de la défense. »
Le fuselage porteur : une architecture pour réduire l’énergie consommée
Après avoir validé un démonstrateur à l’échelle 1/7, la startup poursuit ses travaux de recherche pour améliorer et agrandir progressivement son aéronef. C’est dans ce contexte qu’elle a engagé début 2023 une collaboration avec le Laboratoire Georges Friedel (CNRS/Mines Saint-Étienne).
« Nous venions de finaliser une chaire industrielle avec Hexcel, un leader mondial des composites aéronautiques », rappelle Sylvain Drapier, professeur à Mines Saint-Étienne et membre du LGF. « Le partenariat avec eenuee s’est imposé naturellement, et la création d’un laboratoire commun offrait le cadre idéal pour construire une vision scientifique partagée. »
De cette collaboration est né DISC-AER, officiellement inauguré le 16 octobre 2025 et financé jusqu’en mars 2029 dans le cadre de l’appel à projets LabCom 2024 de l’ANR. Le programme vise à perfectionner une innovation d’eenuee : le fuselage porteur, ou Blended Wing Body (BWB).
Contrairement à l’architecture classique – un fuselage cylindrique entouré de deux ailes –, le GEN-ee adopte une forme d’« aile volante », intégrant directement les ailes au fuselage. Cette configuration répartit la portance sur l’ensemble de l’appareil, améliore l’aérodynamisme et réduit fortement la consommation énergétique. « Le principe du fuselage porteur est ancien, mais son adoption est désormais facilitée par les nouvelles technologies, notamment les matériaux », explique Benjamin Persiani. « Les avions actuels reposent encore sur des approches anciennes, et surtout, le fuselage cylindrique est plus simple à pressuriser. Or GEN-ee n’a pas besoin de voler en haute altitude pour de longues distances. »
Les résines thermoplastiques : un levier clé pour l’innovation
Le recours à des composites thermoplastiques pour la structure du BWB ouvre la voie à des gains majeurs, tant en termes de performance que de cycle de vie. « Les avions traditionnels utilisent des fibres de carbone liées par une résine thermodurcissable », explique Sylvain Drapier. « Une fois durcie, cette résine est irréversible, ce qui complique drastiquement le recyclage en fin de vie. Les thermoplastiques, eux, peuvent être réchauffés, ramollir et se séparer plus facilement des fibres. Ils absorbent aussi très bien les chocs, un atout essentiel en aéronautique. »
Ces propriétés permettent également de nouvelles méthodes d’assemblage. Au lieu de riveter ou coller les pièces, il devient possible de les souder par soudage autogène, en les portant à leur point de fusion puis en les pressant pour former une jonction homogène et robuste.
Jusqu’à récemment, la mise en œuvre de ces résines était toutefois limitée par leur température d’utilisation (250 à 400 °C) et leur forte viscosité. Ces obstacles ont été levés avec l’apparition de résines de nouvelle génération, comme Elium®, développée par Arkema. Elle se met en œuvre à température ambiante et s’adapte aux procédés déjà utilisés pour les matériaux thermodurcissables.
GEN-ee : cap sur 2033
La résine Elium® sera au cœur des recherches menées dans le cadre de DISC-AER.
« Nous allons nous appuyer sur un procédé que nous maîtrisons, l’infusion de résine liquide », détaille Sylvain Drapier. « Mais il nous faut l’adapter aux spécificités de la résine Elium®, notamment en contrôlant sa stabilité physico-chimique. »
L’équipe travaillera également sur l’optimisation du soudage, en identifiant les paramètres thermiques, mécaniques et physico-chimiques les plus pertinents.
Ces progrès permettront d’explorer de nouveaux concepts de conception pour GEN-ee, notamment une modularité accrue, avec pour objectif de réduire les coûts de fabrication. Ces économies s’ajouteront aux gains déjà permis par l’efficacité énergétique et la maintenance simplifiée d’un avion électrique.
Les innovations seront testées progressivement sur le démonstrateur à l’échelle 1/7, instrumenté pour des essais en conditions réelles. Les technologies les plus prometteuses accompagneront ensuite la montée en échelle : eenuee prévoit un démonstrateur de 8 à 10 mètres d’envergure d’ici fin 2027.
Le premier prototype grandeur nature est attendu pour 2029, avec une certification visée en 2033, ultime étape avant que l’avion électrique GEN-ee ne prenne véritablement son envol.
(Source : CNRS, 27/11/2025)




