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Au-delà des mégawatts : l’eau, colonne vertébrale cachée de l’IA et des infrastructures énergétiques

Alors que l’intelligence artificielle et les infrastructures numériques se déploient à une vitesse fulgurante, une ressource longtemps considérée comme acquise revient au premier plan : l’eau. En Europe du Sud, la rareté hydrique se heurte désormais aux ambitions énergétiques et digitales, créant un paradoxe stratégique. Entre promesses de souveraineté technologique et tensions environnementales, la question n’est plus seulement celle des électrons, mais celle des écosystèmes.

Une demande exponentielle

La hausse exponentielle de la demande en électricité, portée par les infrastructures d’intelligence artificielle et le calcul haute performance, introduit de nouvelles pressions. L’eau représente une composante essentielle de la transition énergétique, trop souvent reléguée au second plan. À toutes les étapes du cycle des énergies fossiles, de l’extraction au transport en passant par le développement, le raffinage et la construction, elle reste un facteur indispensable pour garantir la stabilité et le fonctionnement des systèmes énergétiques de base. Son importance s’accroît encore lorsqu’il s’agit de vecteurs comme l’hydrogène, le dioxyde de carbone ou les batteries, dont la montée en puissance accompagne l’accélération de l’électrification.

SMR et data centers : une double demande en eau

L’essor technologique mondial, porté par l’intelligence artificielle et l’économie numérique, a déclenché une véritable « ruée » vers la construction de data centers. Dans le même temps, la quête d’une énergie fiable et faiblement émettrice a conduit gouvernements et industries à se tourner vers les petits réacteurs modulaires (SMR) pour répondre aux besoins de ces infrastructures énergivores. Leur développement simultané impose désormais une intégration cohérente au sein d’un cadre stratégique combinant gestion hydrologique et planification énergétique.

Les data centers comme les SMR exigent un refroidissement permanent, généralement assuré par des ressources en eau douce. Cette dépendance renforce les tensions dans les régions déjà soumises à un stress hydrique. Dès lors, la localisation des sites, les technologies de refroidissement employées et la gestion des ressources doivent être envisagées avec transparence et une véritable anticipation stratégique, surtout dans les zones où la demande énergétique progresse alors que l’eau demeure rare.

Le paradoxe géographique

Les data centers s’implantent souvent dans des zones arides ou semiarides, où le climat sec optimise la performance des serveurs mais où l’eau est rare. Un centre de 20 MW peut consommer entre 10 000 et 15 000 m³ par jour, soit l’équivalent des besoins d’une ville moyenne. Une telle demande pose des enjeux majeurs dans les zones où les aquifères sont restreints, notamment en Europe du Sud, au Moyen‑Orient, en Californie ou encore au Nevada. L’impact indirect, lié aux chaînes d’approvisionnement et à la production d’électricité, complique encore plus l’évaluation de l’empreinte hydrique.
Selon l’Environmental and Energy Studies (EESI), les grands centres de données peuvent consommer jusqu’à 5 millions de gallons d’eau par jour, soit l’équivalent de la consommation quotidienne d’une ville de 10 000 à 50 000 habitants. D’après Water News Europe, certains centres de données européens consomment jusqu’à 12 000 m³ d’eau par jour, soit de quoi couvrir les besoins d’une ville de 30 000 habitants. Rien qu’aux États-Unis, les data centers ont utilisé 17 milliards de gallons (64 milliards de litres) d’eau en 2023 pour le refroidissement direct. Les systèmes de refroidissement constituent le principal facteur de cette consommation, en particulier dans les installations reposant sur des tours de refroidissement par évaporation.

Des solutions innovantes, comme le refroidissement direct ou par immersion, offrent la possibilité de réduire la demande, mais leur déploiement reste limité, dans la mesure où elles exigent des infrastructures spécialisées, des fluides adaptés et une transformation en profondeur des systèmes existants. Bien que des preuves montrent que les serveurs peuvent fonctionner en toute sécurité à 27 °C, beaucoup de centres continuent de les refroidir à 22 °C, augmentant ainsi la consommation d’eau de manière inutile. Le Climate Neutral Data Centre Pact fixe un objectif de 0,4 L/kWh pour les nouvelles installations situées dans des zones en stress hydrique d’ici 2025.

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Dimension militaire et stratégique

La dimension militaire ne peut être ignorée, car à mesure que les alliés de l’OTAN intègrent l’intelligence artificielle et les SMR dans leur dispositif de défense, le lien entre eau et énergie devient une vulnérabilité stratégique partagée. C’est dans ce contexte que le programme Janus du Pentagone, anciennement Project Pele, prévoit le déploiement de microréacteurs nucléaires portables sur des bases militaires américaines et alliées, afin d’assurer une autonomie énergétique en situation de crise.
Parallèlement, l’Union européenne ambitionne de tripler la capacité de ses data centers d’ici cinq à sept ans, en s’appuyant sur des projets phares de l’initiative EuroHPC destinés à favoriser des avancées majeures en intelligence artificielle, modélisation climatique, biomédecine, mécanique quantique et recherche ouverte.

Les data centers en Europe

Partout sur le continent, de nombreux pays planifient ou construisent de nouveaux centres de données, portés par l’essor de l’intelligence artificielle, du cloud computing et par les objectifs de souveraineté numérique. L’Allemagne accueille le supercalculateur Jupiter, un investissement majeur dans l’IA et l’initiative EuroHPC. La France se distingue avec une croissance annuelle de plus de 40 % de sa capacité en data centers.

Le Royaume-Uni prévoit une contribution de 44 milliards de livres sterling au PIB issue du secteur. Les Pays-Bas demeurent un hub central, en pleine expansion dans la colocation et les infrastructures cloud. L’Espagne, malgré le stress hydrique, investit dans des data centers adaptés à l’IA. L’Italie participe activement à EuroHPC et aux initiatives d’expansion du cloud. La Grèce développe des portefeuilles émergents de data centers, principalement en Attique. L’Irlande, hub historique des hyperscalers, continue d’accroître sa capacité malgré les contraintes du réseau électrique.

La Pologne connaît une croissance rapide dans les infrastructures hyperscale et de colocation.

L’Autriche développe des projets à Vienne et dans les régions voisines, tandis que la République tchèque intensifie ses investissements dans les infrastructures numériques régionales. Le Portugal ambitionne de devenir un nœud du sud de l’Europe, porté par l’intérêt croissant pour l’hébergement cloud. Enfin, le Danemark, la Finlande et la Suède tirent parti de leur climat frais et de leurs énergies renouvelables pour des opérations durables.

Le tableau ci-après présente la répartition des data centers dans les principaux pays européens, en indiquant les opérateurs majeurs et le nombre d’installations.

Pressions réglementaires en Europe du Nord

L’Irlande, malgré son rôle de hub IA, impose des restrictions sous la pression des organisations écologistes. Aux Pays-Bas, Meta a suspendu son projet de Zeewolde en 2022, critiqué pour sa consommation excessive. Au Royaume-Uni, la désignation de Culham comme zone de développement pour l’IA suscite des réactions en raison de sa proximité avec un réservoir d’eau. L’European Data Centre Association propose d’utiliser de l’eau non potable et d’améliorer la gestion des déchets pour réduire la pression sur les ressources.

L’Europe du Sud

Le défi est particulièrement aigu en Europe du Sud, où, dans de nombreux cas, la demande en eau dépasse déjà l’offre disponible. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, les ressources hydriques de la région sont sous forte pression, avec des pénuries affectant près d’un tiers de la population. L’exposition moyenne des data centers au risque de rareté de l’eau devrait rester élevée tout au long de la décennie 2020.

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Des pays comme l’Espagne, l’Italie et la Grèce figurent parmi les zones appelées à subir les plus fortes pénuries et se tournent vers la désalinisation. Les législateurs européens ont averti du risque croissant de crise de l’eau dans ces régions, soulignant l’urgence de traiter des enjeux tels que la rareté, la sécurité alimentaire et la pollution. Parallèlement, les géants du numérique comme Amazon, Microsoft et Meta ont investi des milliards de dollars dans de nouvelles installations. Dans l’Aragon, au nord-est de l’Espagne, une région frappée par de graves pénuries d’eau, Amazon prévoit d’ouvrir trois data centers, affirmant qu’ils créeront des milliers d’emplois. Le projet a suscité des réactions de la part des agriculteurs et des organisations environnementales, en raison de la pression exercée sur les ressources hydriques.

Sur le plan de l’innovation, Microsoft teste des projets de data centers à consommation d’eau nulle pour le refroidissement, tandis que Start Campus, au Portugal, affirme atteindre un effet « zéro consommation d’eau » (WUE) en recyclant l’eau de mer dans ses installations de Sines. En Grèce, Microsoft met en œuvre un plan d’un milliard de dollars pour trois data centers en Attique, tandis que Google a annoncé son intention de développer des installations similaires, probablement dans la même région. Digital Realty exploite déjà des data centers certifiés à Athènes, dotés d’une connectivité internationale. Parallèlement, Lancom maintient des centres de données privés à Athènes et Thessalonique, tandis que Telecom Italia est également présent dans la
région d’Athènes.

Malgré les promesses d’emplois, les postes créés dans les data centers sont généralement techniques et hautement qualifiés, en nombre limité : un centre de données de 20 MW emploie environ 30 à 50 personnes en permanence, auxquelles s’ajoute du personnel supplémentaire durant la phase de construction. Les salaires sont supérieurs à la moyenne, mais concernent principalement des spécialités comme les administrateurs systèmes et les ingénieurs en infrastructures.

Impératif stratégique

L’eau n’est plus une préoccupation périphérique ; elle devient une variable stratégique des infrastructures énergétiques et numériques. La résilience systémique, la sécurité nationale et la souveraineté technologique dépendent de l’intégration des réalités hydrologiques dans la planification. L’innovation, à elle seule, ne suffira pas à résoudre les besoins de refroidissement, les risques hydrogéologiques ou les conflits liés aux ressources ; c’est une gouvernance anticipatrice qui doit prendre le relais.
L’Europe du Sud doit associer ses ambitions numériques et énergétiques à une véritable prospective hydrique : intégrer des indicateurs de stress, imposer la transparence des usages, privilégier les sources recyclées à l’échelle européenne et aligner les infrastructures entre secteurs. La transformation énergétique n’est plus seulement une affaire d’électrons, mais bien d’écosystèmes. À l’ère de l’intelligence artificielle, l’eau pourrait s’imposer comme la contrainte déterminante.

Yannis Bassias, chroniqueur invité UP’
Yannis Bassias a été président-directeur général de la société publique de gestion des hydrocarbures de Grèce (Hellenic Hydrocarbons Management State Company) de 2016 à 2020. Il a été membre du comité du Plan national énergie-climat (NECP) de 2018 à 2020 et a collaboré avec les municipalités de Macédoine occidentale sur le développement des ressources énergétiques et minérales. Il possède une vaste expérience dans l’industrie internationale des hydrocarbures et dans les problématiques liées au mix énergétique. Il écrit et analyse régulièrement des sujets énergétiques liés à la politique énergétique européenne, tant dans la presse grecque qu’internationale.

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