La nature a ses justes valeurs – Manifeste du Muséum – Collectif – Éditions du Muséum national d’Histoire naturelle, 21 novembre 2025 – 88 pages
Le Muséum national d’Histoire naturelle propose, via un collectif d’experts pluridisciplinaires (écologues, anthropologues, philosophes, juristes, sociologues, géologues, etc.), de regarder la crise écologique non seulement comme un empilement d’alarmes scientifiques, mais comme le symptôme d’une crise plus profonde : une crise des valeurs que nos sociétés assignent à la nature.
L’ouvrage part du constat que — malgré l’urgence croissante révélée par les alertes sur l’effondrement de la biodiversité, la dégradation des écosystèmes, la disparition des habitats — les actions collectives et les décisions politiques restent souvent timides, insuffisantes, voire incohérentes.
Pour expliquer cette inertie, les auteurs montrent que les arbitrages environnementaux sont toujours porteurs de visions du monde : selon la façon dont nous valorisons la nature — comme simple ressource, comme cadre de vie, comme communauté vivante, ou comme entité méritant respect par elle-même — les choix et les priorités changent radicalement.
Ainsi, La nature à ses justes valeurs invite à reconnaître que la nature n’a pas une valeur unique et monolithique, mais une pluralité de valeurs. Les auteurs adoptent le cadre — déjà proposé par des institutions comme la IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) — qui distingue trois grandes catégories de valeurs : les valeurs instrumentales (ce que les humains tirent des écosystèmes, leurs services, ressources, utilités), les valeurs relationnelles (nos liens, identités, attachements, expériences sensibles, culturels ou spirituels avec la nature et les êtres vivants), et les valeurs intrinsèques (la valeur intrinsèque des êtres non humains ou de la nature en soi, indépendamment de leur utilité pour les humains).
La force de ce manifeste réside dans l’idée qu’ignorer cette diversité — c’est-à-dire réduire la nature à un simple stock de ressources ou à un service écosystémique — conduit forcément à des décisions déséquilibrées, injustes et souvent destructrices sur le long terme. Les auteurs montrent comment l’hégémonie d’une vision économique ou utilitariste domine les débats, marginalisant les autres perspectives — celles des populations vulnérables, des habitants des territoires, des défenseurs de la nature, des générations futures.
Dans cette perspective, le manifeste ne se contente pas de dénoncer, il propose des pistes pour refonder nos cadres décisionnels : il suggère d’intégrer la pluralité des valeurs de la nature dans nos lois, nos politiques, nos processus démocratiques. Cela implique de repenser nos indicateurs de progrès — pas seulement en termes de croissance ou de PIB, mais aussi de bien-être écologique, de qualité des milieux, de respect de la biodiversité ; d’ouvrir les processus décisionnels aux voix de la société civile, aux communautés locales, aux représentants des écosystèmes, et à ceux qui portent des visions relationnelles ou intrinsèques de la nature.
Cela suppose de repenser nos cadres juridiques, économiques, éducatifs, culturels et institutionnels à la lumière de cette complexité, en intégrant les savoirs, les visions du monde et les attachements qui façonnent nos relations à la nature. Choisir, c’est renoncer : si un projet détruisant la nature ne profite qu’à une minorité, il doit pouvoir être remis en question. C’est tout l’enjeu de ce Manifeste : donner à comprendre cette pluralité des valeurs de la nature pour guider des choix plus justes. »
Jane Lecomte, directrice du département Homme et Environnement et coordinatrice du Manifeste
Ce projet, clairement politique mais aussi éthique et culturel, nous pousse à interroger nos manières d’habiter le monde : notre rapport au vivant, notre conception du progrès, notre façon de juger ce qui compte ou non. En ce sens, l’ouvrage dépasse le cadre d’un simple essai écologique : c’est un appel à repenser notre civilisation, à élargir notre échelle de considération — non seulement à l’humain, mais à l’ensemble du vivant et aux écosystèmes dont nous faisons partie.
L’ambition de ce manifeste est à la fois simple et vaste : reconnaître, valoriser, protéger cette pluralité de relations que les humains entretiennent avec la nature. Parce que ce sont ces relations — leurs choix, leurs valeurs, leurs récits — qui conditionneront notre capacité à faire face à la crise écologique et à construire des sociétés durables, justes et respectueuses de la biodiversité.
L’ouvrage nous invite à changer de regard : de la nature comme ressource à la nature comme partenaire, communauté, héritage. Il nous amène à comprendre que préserver la Terre ne se limite pas à des mesures techniques ou réglementaires, mais qu’il passe par une transformation profonde de nos valeurs, de nos imaginaires, de nos cadres collectifs. C’est un manifeste pour une écologie démocratique, inclusive, capable de rendre justice à la diversité du vivant.





