«Tant qu’on n’aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent, et tant que l’on n’aura pas dit que jusqu’ici cela a toujours été pour dominer l’autre, il y a peu de chance qu’il y ait quoi que ce soit qui change. » Cette prédiction d’Henri LABORIT est aujourd’hui à l’ordre du jour.
Illustration : Affiche « Connaître le cerveau, maîtriser les comportements », de l’édition 2014 du Forum européen de bioéthique – Strasbourg.
La disparition d’Alain RESNAIS a été l’occasion d’une rediffusion télévisuelle du film « Mon oncle d’Amérique». En 1980 lors de sa parution, il avait marqué les esprits, mais avait-on mesuré à quel point le propos était pertinent ? Visionnaire des comportements humains, Henri Laborit trouve en Alain Resnais un complice pour montrer les répercussions des relations de pouvoir dans le monde social. Leurs conséquences sont aujourd’hui largement confirmées. Elles ont motivé la mise en place de la gestion des risques psychosociaux. Cette avancée impose un minimum de vigilance quant aux impacts sociaux des décisions prises aux différents niveaux des organisations. Elle constitue un premier pare-feu, mais ne garantit pas, à elle seule, la remise en cause des habitudes de domination fortement ancrées dans les cultures managériales. Henri LABORIT propose une solution pédagogique et universelle : connaître le fonctionnement du cerveau humain afin de mieux comprendre ce qui se passe en nous et entre nous.
Nous sommes à l’aube de la diffusion large de cette connaissance. La presse relaye les travaux des neuroscientifiques. De grands projets visant une modélisation des mécanismes neurobiologiques sont en cours. Des auteurs et des pédagogues s’appuient sur ces nouvelles connaissances pour enrichir leurs apports. Les consultants et les coachs font des liens entre leurs préconisations et les processus cognitifs et émotionnels.
La connaissance du cerveau humain est loin d’être complète, mais les acquis actuels sont déjà considérables. La psychologie peine à trouver sa place dans le monde de l’entreprise. Les démonstrations appuyées par les neurosciences sont beaucoup plus convaincantes. Qui peut prétendre ne pas s’intéresser à son cerveau ?
La mise en perspective de travaux de différents chercheurs permet d’envisager des innovations managériales de rupture
Le psychologue, Daniel KAHNEMAN, prix Nobel d’économie, interpelle sur les illusions que nous entretenons sur la rationalité de nos décisions et démontre, à l’envie, nos erreurs de jugement. S’il peut expliquer que nous avons deux systèmes qui interfèrent lors de la prise de décision, le système 1, intuitif et le système 2, raisonné, c’est aussi parce les routines cognitives et les raisonnements conscients ont été différenciés.
C’est grâce aux travaux d’Antonio DAMASIO décrivant ces deux circuits qu’il est possible de faire des liens avec le fonctionnement cérébral. Cela permet de comprendre pourquoi les interférences entre ces deux systèmes sont inévitables.
Dans cette continuité de recherche, Olivier HOUDE apporte un complément précieux, ouvrant la voie à la mise en place d’innovations managériales. Dans son ouvrage « Le raisonnement » récemment paru chez PUF, il propose l’identification d’un système 3, donnant accès à une compétence exécutive qui consiste à savoir inhiber les routines cognitives. Il donne ainsi une piste pour une remise à plat des procédures d’analyse de problèmes et de prises de décision. Il invite à un débat sur la façon dont les entreprises prennent en compte la notion de désapprentissage.
Daniel Kahneman montre notre ignorance des effets des routines cognitives, Olivier Houdé affirme que nous sommes capables d’apprendre à piloter leur inhibition.
Il est probable, comme le suggère Henri Laborit, que cela donnera l’occasion aux innovateurs de mieux comprendre certaines motivations humaines. De percevoir aussi qu’ils cherchent, parfois sans le savoir, le contrôle du pouvoir et l’évitement des risques et que ces routines-là, fortement émotionnelles, ne sont pas si faciles à inhiber.
Les rapports de forces évoqués par le couple Laborit-Resnais sont bien connus dans les organisations humaines. Ils sont liés aux systèmes de défenses, aux émotions, aux décisions motivées par la survie ou la conquête de territoire. Ces deux précurseurs lancent un défi que nous avons aujourd’hui les moyens de relever.
Bibliographie :
– « Mon oncle d’Amérique », Film d’Alain RESNAIS, 1980
Ouvrages scientifiques :
– L’erreur de Descartes, Antonio DAMASIO, ODILE JACOB 2010
– Système 1, système 2, les deux vitesses de la pensée. Daniel KAHNEMAN, Flammarion 2012
– Le raisonnement, Olivier HOUDE, PUF 2014