Malgré l’alerte rouge sanitaire, le président Donald Trump a mis à exécution dans la nuit de mardi à mercredi 15 avril sa menace de couper les vivres à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’accusant de « mauvaise gestion » et de « dissimulation » dans la pandémie de coronavirus partie de Chine fin 2019.
Le patron de l’ONU, Antonio Guterres, a vivement critiqué cette initiative, jugeant que ce « n’est pas le moment de réduire le financement » des organisations combattant la pandémie.
Réagissant sur Twitter, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a pour sa part indiqué qu’il « n’avait pas de temps à perdre dans des polémiques. La seule préoccupation de l’OMS est d’aider tous les peuples à sauver des vies et à mettre fin à la pandémie de Covid-19. »
De l’UE à la Chine en passant par l’Union africaine, de nombreux pays et organisations ont également fustigé cette initiative de Washington, premier bailleur de l’OMS avec plus de 400 millions de dollars par an. « Nous devons travailler en étroite collaboration contre le Covid-19. Un des meilleurs investissements est de renforcer les Nations unies, en particulier l’OMS « , a souligné le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas.
Dans le cycle budgétaire biennal 2018-19 de l’OMS, les États-Unis ont été le plus grand donateur, fournissant près de 900 millions de dollars sur les 5,6 milliards de dollars du budget ; la quote-part américaine représentant ainsi 17 %.
Courte vue
Le président Donald Trump a déclaré qu’il suspendra le financement américain à l’Organisation mondiale de la santé en attendant une enquête de 60 à 90 jours sur la manière dont l’agence a géré la réponse à la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19). M. Trump a accusé l’OMS de « mal gérer et de dissimuler la propagation du coronavirus« , lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche dans la Roseraie, ajoutant que « tout le monde sait ce qui s’y passe ».
« Avec l’apparition de la pandémie de Covid-19, nous sommes très inquiets de savoir si la générosité des États-Unis a été utilisée au mieux, affirme le président américain. La réalité poursuit-il, est que l’OMS n’a pas réussi à obtenir, examiner et partager les informations de manière adéquate, transparente et en temps utile. »
Les personnes impliquées dans la réponse à la pandémie dans le monde entier ont réagi avec horreur à cette nouvelle. « C’est une décision à courte vue qui sera désastreuse pour l’agence« , déclare Devi Sridhar, expert en santé mondiale à l’université d’Édimbourg au Royaume-Uni. « Nous avons plus que jamais besoin de l’OMS pour soutenir tous les pays, en particulier ceux à faibles et moyens revenus. »
Cette décision est contre-productive et « laisse les États-Unis et le monde moins en sécurité », déclare Jeremy Konyndyk, chargé de mission au Centre pour le développement mondial qui a dirigé les efforts de l’Agence américaine pour le développement international en matière de réponse aux catastrophes sous l’ancien président Barack Obama. « C’est une tentative transparente de rejeter la responsabilité des propres échecs de l’administration américaine. »
Sabotage de la lutte mondiale contre la pandémie
L’action de Trump pourrait entraver considérablement la lutte mondiale contre COVID-19, selon Lawrence Gostin, directeur de l’Institut O’Neill pour le droit national et mondial de la santé à l’Université de Georgetown. « Si l’OMS est prise au piège d’une crise politique et financière, elle ne sera tout simplement pas en mesure d’assurer le leadership dont elle a un besoin si urgent en cette période unique de l’histoire de l’humanité. »
L’annonce a été faite le jour où le premier « vol de solidarité » de l’OMS a quitté l’Éthiopie en transportant des fournitures médicales vers les pays africains pour les aider à lutter contre COVID-19. « L’OMS est en train de soutenir les efforts de surveillance mondiale et l’intensification des tests et des interventions dans les pays à faible et moyen revenu du monde entier« , déclare Matthew Kavanaugh, chercheur en santé mondiale à l’université de Georgetown. « Entraver cette réponse n’est pas seulement injuste, c’est incroyablement mauvais pour la santé publique américaine à un moment où nous avons tous appris avec douleur à quel point ce virus se déplace facilement de l’étranger vers les côtes américaines. »
Expert en contrevérités
La décision de Trump s’articule sur deux modes de pensée propres au président américain : l’un est sa profonde antipathie envers les organisations multilatérales — souvenons-nous de son retrait de l’Accord de Paris sur le climat ; l’autre est sa manie de blâmer les autres pour sa propre inaction dans la lutte contre le coronavirus. C’est ainsi que lundi, toute honte bue, il a accusé les médias de minimiser les dangers de l’épidémie. L’OMS est mise dans le même sac.
Pourtant il existe abondance de preuves face à ces contre-vérités. L’OMS a mis en garde les États-Unis et d’autres pays contre le risque de transmission interhumaine dès le 10 janvier. Jeremy Konyndyk, l’ancien chef du Bureau de l’aide en cas de catastrophe à l’étranger à USAid, a noté que le 14 janvier l’OMS avait tweeté que « les enquêtes préliminaires menées par les autorités chinoises n’ont pas trouvé de preuves claires de transmission interhumaine » ; le 23 janvier, elle avait publié un rapport officiel avertissant d’une transmission interhumaine et d’une transmissibilité supérieure à celle de la grippe saisonnière. Konyndyk, aujourd’hui senior fellow au Centre pour le développement mondial, a écrit sur Twitter : « Donc, pour rejeter la faute sur l’OMS, il faut croire que ces 9 jours entre le 14 et le 23 janvier ont été déterminants pour le manque de préparation des États-Unis. C’est de la folie. L’administration a passé tout le mois de février à ne rien faire pour préparer la patrie de manière significative. »
Le 7 février, alors que l’OMS avait déclaré une urgence de santé publique, on a demandé à Donald Trump si la Chine était engagée dans une opération de dissimulation. « Non, la Chine travaille très dur… et je pense qu’elle fait un travail très professionnel. Ils sont en contact avec la Santé Mondiale. »
Le 27 février, malgré les multiples avertissements des agences de renseignement et de ses propres conseillers, Trump continuait à minimiser le virus, déclarant « Il va disparaître. Un jour – c’est comme un miracle – il disparaîtra. » À la fin du mois, les États-Unis n’avaient effectué qu’environ 4 000 tests pour le coronavirus, alors que d’autres pays ont testé des dizaines de milliers de personnes.
Leslie Dach, présidente du groupe de pression « Protect Our Care », s’insurge : « Ce n’est rien d’autre qu’une tentative du président Trump pour détourner l’attention de son histoire en minimisant la gravité de la crise du coronavirus et l’échec de son administration à préparer notre nation. » Mme Dach, qui a été la coordinatrice mondiale du virus Ébola pour le département de la santé, ajoute : « Il est certain que l’Organisation mondiale de la santé n’est pas sans faute, mais il est plus qu’irresponsable de réduire son financement au plus fort d’une pandémie mondiale. »
Plus de 126 000 morts ont été dénombrés à travers la planète depuis le début de la pandémie et les Etats-Unis sont devenus le principal foyer du Covid-19. Le pays a recensé plus de 2 200 morts en 24 heures et plus de 25 700 décès au total. Les Etats-Unis sont devenus le pays enregistrant le plus de décès liés à l’épidémie de Covid-19, devant l’Italie, l’Espagne et la France et celui qui compte le plus grand nombre de cas diagnostiqués – plus de 600 000 contaminations.
Avec AFP, Science, The Guardian