Associer « coopétition » au nom de René Girard peut étonner. Pourtant, René Girard est la personne qui donne les clés de la compréhension du défi qui est à l’œuvre quand nous sommes en même temps « concurrent et partenaire ». La COP 21 met l’humanité devant la responsabilité d’accepter l’autre dans sa différence tout en vivant une incontournable interdépendance. Les neurones miroirs confirment la théorie de René Girard, en révélant les mécanismes cérébraux impliqués dans l’interaction relationnelle.
Hommage à René Girard
Le philosophe académicien René Girard, décédé récemment, est qualifié par Michel Serres de « nouveau Darwin des sciences humaines ». La théorie du désir est un décryptage puissant des comportements humains. Le désir est au fondement de l’apprentissage et de la transmission de la culture. Jean-Michel Oughourlian, qui a écrit et collaboré avec René Girard, fait des liens explicites entre le désir mimétique et les neurones miroirs. Le désir mimétique de l’enfant lui donne les moyens des premiers apprentissages. Les premiers babillages du bébé sont des tentatives de reproduction des sons émis par la mère. Le développement de l’être humain se fait par la relation « interdividuelle » avec l’autre. Trois postures mimétiques sont possibles. Copier le modèle pour se l’approprier, le rejeter pour en définir un autre, ou, choix passif, se bloquer en rejetant la responsabilité sur l’autre. Chacun désire ce que l’autre a. La concurrence pour un même objet peut conduire au conflit et à la violence.
La découverte des neurones miroirs confirme la théorie du désir mimétique
Découverts il y a vingt ans, des réseaux de neurones simulent, dans le cerveau, les mouvements que nous observons chez autrui. Cette compétence cérébrale est automatique. Elle est innée…quand nous voyons un sourire, un sourire miroir illumine notre cerveau et notre visage. Elle est entraînée au cours des apprentissages. Les mimes, les imitateurs sont des champions de l’éveil des neurones miroirs. RAMACHANDRAN les utilise pour tromper le cerveau de la personne amputée qui souffre d’une douleur fantôme. À l’aide d’un miroir, il fait croire au cerveau que le membre existe toujours. Pierre Bustany présente les effets de l’observation empathique sur le cerveau. Le test est d’effectuer une stimulation thermique (un peu chaude !) sur l’avant-bras d’un cobaye volontaire (ligne du bas). Pour l’observateur les mêmes zones s’activent + les zones du cortex visuel (ligne du haut). La personne observant la situation peut ressentir la souffrance de l’autre. Au fil des recherches, le nombre de perceptions cérébrales réagissant aux neurones miroirs, ne cesse de croître. Bien que le cerveau sache faire la différence entre « soi et l’autre » souvent les émotions brouillent les perceptions.
Pierre Bustany, Neurones miroirs, recherche mimétique
La coopétition, au cœur d’enjeux historiques
Le documentaire Paris-Berlin, destins croisés (ARTE), illustre un processus de mimétisme historique qui mène au conflit. Deux cultures concurrentes, en recherche de suprématie, se copient et se haïssent. Des conflits d’une violence dévastatrice les ont amenés, in fine, à faire le choix du partenariat plutôt que de la concurrence effrénée. La paix des peuples devient l’aspiration fédératrice. L’Europe cherche l’équilibre entre le partenariat apaisant et une concurrence stimulante pour le progrès et la croissance. Le réchauffement climatique met les dirigeants (et nous-mêmes) devant le même dilemme. Le consensus scientifique joue le rôle du fédérateur. Être partenaire pour le bien commun que constitue la planète et rester concurrent dans le domaine économique et culturel. Ce type de relation demande une évolution des esprits par plus de lucidité sur les motivations émotionnelles et les mécanismes cérébraux auxquels nous sommes soumis.
La coopétition, au cœur de nos vies
Toute collaboration est soumise à la réalité biologique des impacts mimétiques et émotionnels. La compétition et la collaboration, deux notions à priori antinomiques, apportent une émulation dans la créativité. Les réseaux sociaux, où nous faisons facilement ami-ami, sont aussi un lieu concurrentiel pour les « j’aime » et le buzz. Dans les organisations, la collaboration agile tente de structurer une démarche créative où chacun est partenaire du résultat et concurrent pour les idées et les initiatives. Pour tirer profit de ces avancées, il faudra toutefois que les participants soient suffisamment lucides pour incarner l’esprit de collaboration avant celui de concurrence.
René Girard a ouvert la voie de la compréhension des impacts sociologiques du mimétisme. Les neurosciences avec la découverte des neurones miroirs nous donnent les clés du changement. À nous de devenir de plus en plus conscients de ce qui nous influence, et d’apprendre à tirer parti de ces connaissances.
Bibliographie
– René GIRARD, Mensonge romantique et vérité romanesque, Grasset 1977. Des choses cachées depuis la fondation du monde, Poche 1983.
– Jean-Michel OUGHOURLIAN, Le troisième cerveau, Albin Michel, 2013.
– Pierre BUSTANY, Neurones miroirs, recherche mimétique
Les neurones miroirs et la nouvelle psychopathologie
Un autre regard sur la douleur et l’empathie Colloque à l’Hôpital Américain de Paris, janvier 2015
-Vilayanur RAMACHANDRAN, Le cerveau fait de l’esprit – enquête sur les neurones miroirs, DUNOD 2011.
Paris-Berlin, destins croisés, ARTE.
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