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Phages: des virus tueurs de bactéries pour lutter contre la résistance aux antibiotiques ?

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La résistance aux antibiotiques – phénomène par lequel les bactéries cessent de répondre à certains antibiotiques – est une menace croissante dans le monde entier. Une menace qui devrait tuer 10 millions de personnes par an d’ici 2050. De nombreuses grandes sociétés pharmaceutiques ont cessé de mettre au point de nouveaux antibiotiques, et les médicaments qui sont encore en cours de développement se heurtent à de nombreux obstacles pour obtenir leur approbation. En septembre dernier, l’Organisation mondiale de la santé a averti que le monde est à court d’antibiotiques : « Il est urgent d’investir davantage dans la recherche et le développement sur les infections résistantes aux antibiotiques faute de quoi nous serons contraints de retourner à une époque où les gens craignaient les infections courantes et risquaient leur vie à cause d’une chirurgie mineure », a déclaré le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS.
Conscients de l’urgence, certains fabricants de médicaments commencent donc à se tourner vers d’autres solutions, y compris une qui a une histoire centenaire derrière elle : la thérapie par les phages. Retour sur cette pratique ancienne de lutte biologique consistant à soumettre les bactéries qui créent pneumopathies menaçantes, graves infections cutanées, septicémies… à leurs chevaux de Troie naturels, les virus « bactériophages ».

 
L’urgence est réelle : le recours outrancier aux antibiotiques tue. Les bactéries résistantes tuent chaque année 25 000 personnes en Europe. Les infections acquises lors de l’hospitalisation (maladies nosocomiales) sont responsables de 4 200 décès annuels en France dans les hôpitaux. Le staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) tue à lui seul 18 000 personnes par an aux Etats-Unis, soit plus que le sida.
 

LIRE AUSSI DANS UP’ : Les bactéries, de plus en plus coriaces, résistent aux antibiotiques

Les impasses thérapeutiques se multiplient alors même qu’une alternative aux antibiotiques existe : la phagothérapie. Découverts en 1915 par Frederick Twort, les phages, ces parasites de bactéries, ont été rapidement utilisés dès 1919 pour traiter des maladies infectieuses grâce à l’ingéniosité du biologiste franco-canadien Félix d’Hérelle. Ils étaient encore disponibles dans les années 40 en France, avant que les logiques de l’industrie pharmaceutique balaient ces solutions. Mais les pays de l’Est ont continué à soigner avec ces virus : en Géorgie, Pologne, Roumanie ou en Russie, de nombreuses infections bactériennes (pulmonaires, cutanées, digestives, etc.) sont traitées par les bactériophages depuis plusieurs décennies (parfois en association avec des antibiotiques).
Les instituts de Wroclaw (Pologne) et de Tbilissi (Géorgie), par exemple, ont une très grande expérience clinique auprès de centaines de milliers de patients. Des malades atteints de mucoviscidose, particulièrement sensibles aux infections respiratoires, sont régulièrement pris en charge à Tbilissi. Forts d’une pratique sur quatre-vingts dix ans les phagothérapeutes de l’Institut George Eliava ont constitué une collection exceptionnelle de bactériophages thérapeutiques. En Pologne, un Institut d’immunologie et de thérapie expérimentale a aussi poursuivi jusqu’à nos jours l’utilisation de la phagothérapie. Moins ouvert sur le monde extérieur que l’Institut Eliava, il n’en a pas moins publié un bilan dans une série d’articles scientifiques.

Des antibactériens intelligents

Les résultats spectaculaires obtenus font affluer de nombreux malades vers ces centres. Le témoignage de Serge Fortuna l’illustre. Sans intervention des phages, l’homme aurait du être amputé. Victime d’un accident de moto, il a du se rendre à l’Institut Eliava de Tbilissi pour subir des injections de phages qui ont sauvé son membre. Son site Les phages du futur expose la démarche pour aller se faire soigner en Georgie, mais à ses propres frais. Cette obligation de tourisme médical apparaît intenable pour de nombreux médecins qui reconnaissent les atouts de ces luttes virales contres les infections réfractaires. Ainsi, les docteurs Alain Dublanchet (voir son livre Les virus pour combattre les infections, éditions Favre 2009) et Olivier Patey (CHI Villeneuve Saint Georges) ont organisé le premier forum sur l’utilisation des bactériophages, le 31 janvier 2013, à Paris. Les associations comme Phagespoirs (dirigée par Jérome Larché) ou P.H.A.G.E militent pour le développement de ces thérapies.
 

L’avantage de tueurs très ciblés

La phagothérapie est considérée comme sûre dans la mesure où les bactériophages sont souvent très spécifiques – ne s’adressant qu’à une seule ou qu’à quelques souches de bactéries bien déterminées – et qu’ils détruisent les bactéries en commandant leur réplication massive dans la bactérie qui aboutit à la destruction de la cellule hôte.
Les phages sont choisis de façon à ne pas nuire aux bactéries utiles comme celles qui sont normalement présentes dans la flore intestinale, sur les muqueuses ou sur la peau : ainsi sont réduites les probabilités d’infections opportunistes qui se développent après la sélection de certaines bactéries minoritaires au cours d’une antibiothérapie. Rappelons que les antibiotiques traditionnels détruisent aussi bien les bactéries nuisibles que les bactéries utiles comme celles qui facilitent la digestion des aliments, ce qui n’est pas sans effet sur le transit intestinal. C’est ainsi que la colite pseudo-membraneuse provoquée par Clostridium difficile est une redoutable complication qui survient dans les collectivités pour personnes âgées.
 
Les quantités administrées n’ont pas besoin d’être ajustées selon le poids et l’état physiologique de la personne traitée. Il faut savoir que les phages ne se répliquent qu’en présence de leur proie ce qui implique que leur quantité va donc toujours s’ajuster in situ : ils sont détruits et/ou éliminés quand la bactérie disparaît.
Les mécanismes de résistance qui empêchent les antibiotiques d’agir sur les bactéries n’ont aucune influence sur l’activité lytique des bactériophages. Mieux, comme ces virus bactériens coévoluent naturellement avec leurs hôtes,  de manière presque synchrone, ils inventent des parades aux résistances, simultanément.
 
Afin d’être efficace, un phage doit atteindre le site où se trouvent les bactéries ; or ces virus, bien que très petits, ont une taille supérieure aux molécules médicamenteuses et ne diffusent pas aussi facilement. C’est pourquoi il est judicieux d’apporter les bactériophages au site infecté. C’est une limite par rapport aux antibiotiques.
Les souches virales sont faciles à récolter dans les lieux où prolifèrent les bactéries infectieuses. C’est un atout de plus, pour envisager ces solutions dans les pays en développement. L’Inde procède d’ailleurs actuellement à des essais avec des bactériophages.
 
L’heure est donc aujourd’hui à la reconnaissance des bienfaits de cette phagothérapie et à son encadrement juridique. En effet, les études cliniques, selon les normes réglementaires pharmaceutiques européennes ou américaines, n’ont jamais été réalisées et les traitements utilisés en Georgie ou en Russie ne sont pas autorisés sur notre territoire. La législation européenne interdit d’utiliser des organismes vivants comme médicaments. Il faut donc inventer un droit qui définisse les règles strictes d’usage.

Première étude clinique internationale sur les phages

Dans un premier temps, il faut évaluer les protocoles. Le programme européen Phagoburn d’un montant de six millions d’euros, vient répondre à ce besoin. Lancé en juin 2013 pour une durée de 36 mois, il vise à évaluer la tolérance et l’efficacité des bactériophages pour lutter contre les infections cutanées sensibles et résistantes aux antibiotiques chez les grands brûlés. Un essai clinique multicentrique a débuté en juillet 2015 : deux cocktails de bactériophages sont testés contre deux bactéries associées à des complications particulièrement graves chez les grands brûlés : Pseudomonas aeruginosa et Escherichia coli. De fait, chez les patients brûlés, les infections représentent la première cause de mortalité, d’autant que ces espèces acquièrent souvent et rapidement de hauts niveaux de résistances aux antibiotiques, pouvant alors entraîner la mort par échec thérapeutique.
L’essai est coordonné par l’hôpital d’instruction des armées Percy, hôpital du Service de Santé des Armées (SSA), au sein du Ministère de la Défense. Il se déroule dans 11 centres de grands brûlés en France, en Suisse et en Belgique (Hôpital Reine Astrid de Bruxelles). Les virus sont fournis par la jeune société française Pherecydes Pharma, spécialisée dans ces nouvelles stratégies anti-infectieuses, et les tests de caractérisation et de sécurité sont assurés par firme vendéenne Clean Cells.
 
En France le consortium Phosa cible les infections ostéoarticulaires (IOA) provoquées par les staphylocoques. Il est porté par la PME Pherecydes Pharma, et soutenu par le financement public dans le cadre du 18e appel à projets « FUI – Fonds Unique Interministériel » et labellisé par les pôles de compétitivité Medicen et Lyonbiopôle. Deux PME BioFilm Control et Vivexia s’y impliquent aux côtés des centres de recherche publics : le Centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges (CHIV) et les Hospices civils de Lyon (HCL).
 
Un autre programme Pneumophage, impliquant le Centre d’étude des pathologies respiratoires (le CEPR), le laboratoire mixte INSERM / Université de Tours (Faculté de Médecine), cible les pneumopathies. Lancé en juin 2015, il est financé en grande partie financé par la DGA (Direction Générale de l’Armement), dans le cadre du dispositif RAPID.
Il s’agit de démontrer l’intérêt de la phagothérapie inhalée pour traiter les infections respiratoires aigües à Pseudomonas aeruginosa (PYO) acquises sous ventilation mécanique (90 % des pneumopathies nosocomiales sont liées aux instruments de réanimation). La coordination est assurée par la société DTF – La Diffusion Technique Française (Saint-Etienne), spécialisée dans le développement de nouveaux générateurs d’aérosols adaptés aux médicaments.
 
Les Américains s’intéressent aussi à ces démarches innovantes. Des essais cliniques de phase 1 sont en cours au Centre régional de Traitement des Blessures à Lubbock (Texas), concernant un cocktail viral homologué contre Pseudomonas aeruginosa, Staphylococcus aureus et Escherichia coli.

Constituer des phagothèques et réglementer les pratiques

Ces stratégies antimicrobiennes exigent de mettre en place des collections de phages, répertoriés afin de pouvoir trouver au moins un phage lytique de la souche bactérienne à traiter. L’association P.H.A.G.E travaille à la constitution d’une banque accessible à tous, tandis que les entreprises privées comme Pherecydes Pharma se constituent leurs propres phagothèques.
Michèle Rivasi préconise la constitution d’une banque de référence en Allemagne…  L’Institut Leibniz de Braunschweig, près d’Hanovre, semble aujourd’hui le mieux placé pour poursuivre les collectes et caractérisations qui font la spécialités des biologistes Caro Matzko et Gunnar Mergner.
 
Reste à savoir comment pourront être encadrées ces « thérapies vivantes » ? À ce jour,  il n’existe pas d’autorisation de mise sur le marché pour les bactériophages « qui peuvent être assimilés à des biomédicaments comme les vaccins », selon Michèle Rivasi.
Une demande d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) a été refusée par l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) parce qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions fixées par l’article L. 5121-12 du code de la santé publique, en termes de garantie de la sécurité d’emploi et de présomption de l’efficacité du médicament.
 
A l’échelon européen, « L’Agence européenne des médicaments (EMA) et le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies ont indiqué, dans un récent rapport, qu’il fallait, soixante-dix ans après la découverte des antibiotiques, se préparer à un futur sans antibiotiques efficaces, a souligné la sénatrice Maryvonne Blondin mobilisée sur cette question (voir question orale de février 2013). Il faut donc véritablement développer de nouveau les cocktails de phages existants ». Selon elle, « Il faut à tout prix lever les blocages et les freins à la réutilisation des phages par la France, de manière à apporter un complément à l’antibiothérapie.
Les politiques en charge du dossier ont demandé à l’Agence européenne des médicaments qu’elle fasse une proposition sur les critères de qualité exigés pour les bactériophages. Marta Hugas, en charge de l’Unité Dangers biologiques et contaminants chimiques à l’EFSA (autorité européenne de sécurité des aliments) dispose d’une expertise sur l’encadrement des usages des phages dans le domaine alimentaire. Un rapport d’experts a rendu en 2009 un avis concernant l’usage intentionnel de microorganismes dans les aliments humains ou animaux. Les spécialistes refusent d’intégrer dans la liste d’organismes présumés sans danger (QPS) les bactériophages. La raison invoquée est que chaque phage doit être évalué au cas par cas selon son acide nucléique afin de vérifier l’absence de facteurs de virulence et de gènes de résistance antimicrobien.
Ce signal indique la difficulté qu’il existe à lever certaines inquiétudes. Pourtant, si l’on regarde par dessus l’Atlantique, les Etats Unis ont autorisé en 2006, une préparation à base de six virus bactériophages comme conservateur alimentaire, notamment pour lutter contre la listériose .
 
La difficulté de maîtriser des échanges génétiques ou le risque de multiplication de ces bactériophages, même si ces derniers n’ont aucune autonomie de reproduction hors de leurs hôtes constituent des obstacles à un feu vert réglementaire rapide. Les projets de recours à ces virus pour extraire de manière ciblée les gènes de résistance des bactéries – comme le propose Eligo Biosciences – complexifient encore le paysage.
 
Au delà des demandes médicales, bien d’autres secteurs sont intéressés par ces thérapies. Les éleveurs  aimeraient aussi disposer de solutions virales pour lutter contre les salmonelles. Les agriculteurs lorgnent de ce côté pour endiguer l’invasion de bactéries comme Xylella factidios qui menace les oliveraies d’Italie et du sud de la France.

 
 
 
 

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