Un documentaire sur Arte à propos de la souffrance des soignants la semaine dernière, un autre jeudi sur le Levothyrox, toute l’actualité de la santé de ce dernier mois se résume en ces mots, confiance et défiance. J’y rajoute participation pour redonner vie à la première et faire taire la seconde.
Que faut-il attendre pour qu’enfin on réintroduise la qualité dans l’évaluation des soins ? Son absence coûte cher, à tout point de vue ! Je me suis livré à un décompte macabre du nombre de morts des dysfonctionnements de notre système. Entre 40 et 50 000 tous les ans, l’équivalent d’une ville comme Angoulême ou Bastia rayée de la carte. Je n’ai pas été contredit. Même d’un point de vue seulement financier, se priver de la qualité pour juger du prix d’un acte est incohérent. Ainsi, un chirurgien qui doit réopérer parce qu’il a commis une erreur lors de la première intervention rapporte deux fois plus à son établissement ! L’absurdité comptable est portée à son comble.
Si l’on veut restaurer la confiance chez les patients comme chez les soignants, réintroduire la qualité en abandonnant l’approche strictement quantitative doit devenir un objectif prioritaire. Car la qualité c’est aussi une façon de redonner du sens au travail des soignants qui souffrent qu’on les en prive en leur imposant les mêmes règles du productivisme que dans l’industrie, comme on a pu le constater dans l’une des dernières émissions d’Elise Lucet [1] ainsi que dans le combat mené cet été par les aides-soignantes de l’EHPAD des Opalines [2] dans le Jura, ou encore dans le procès indigne pour diffamation qui s’est tenu le 19 septembre dernier contre deux salariées de l’Institut médico-éducatif de Moussaron (Gers) qui avaient osé dénoncer des cas avérés de maltraitance.
La désertification va se poursuivre ; il n’est que de voir cette année encore le choix des étudiants en médecine qui continuent de plébisciter les spécialités comme l’ophtalmologie et la cardiologie au détriment de la médecine générale qui ne fait pas le plein de ses places disponibles. Tant que l’on ne repensera pas l’organisation des soins, le rôle et les fonctions de chaque métier de la santé, la désertification continuera de croître et les urgences à saturer.
La médecine générale est certainement l’une des spécialités les plus difficiles à exercer, tant en termes de connaissances qu’elle requiert qu’en disponibilité qu’elle impose, et pourtant les généralistes sont toujours considérés comme des médecins de seconde zone par rapport à leurs confrères spécialistes. Leur rémunération inférieure à ces derniers en est la manifestation la plus criante. Prenons le seul exemple de l’ambulatoire, doctrine du moment pour faire baisser les dépenses de santé. Sa mise en œuvre exige en aval des praticiens disponibles pour prendre en charge les suites d’une hospitalisation. Où sont-ils quand ceux qui sont en exercice sont déjà surchargés, voire inexistants ?
Repenser l’organisation des soins en fonction des besoins de la population, de la géographie, des aspirations des professionnels et du numérique devient ainsi une urgence pour faire renaître la confiance chez des usagers comme chez les soignants témoins, parfois victimes, des dysfonctionnements. Non la repenser entre soi comme c’est le cas depuis des décennies. Le système de santé est trop complexe pour imaginer que l’on puisse le remettre à plat sans inviter tous ses acteurs à le refonder ensemble. Ici, la participation et l’intelligence collective constituent les leviers les plus puissants pour dépasser les corporatismes et les résistances.
Elle ne date pas d’hier mais elle s’amplifie à chaque scandale, à chaque dérapage ou contradiction dans les discours officiels et médicaux. Au point que le défenseur de la vaccination que je suis finit par se retrouver à court d’argument face à certains de ses détracteurs.
J’observe qu’en matière de santé publique, nous avançons toujours de la même façon. D’abord on annonce une mesure en la présentant pour le bien de tous, ensuite fort de ce bénéfice collectif attendu, on impose et on procède par injonction. Au point d’en arriver à opposer santé et école en refusant l’accès à cette dernière aux enfants non vaccinés !
L’argument de santé publique est recevable. Après tout pourquoi laisserions-nous contaminer toute une classe parce qu’un parent a refusé de vacciner son enfant ? Ce n’est donc pas l’argument qui est en cause mais la manière de décréter pour le faire appliquer. Décréter et non convaincre, ordonner et non persuader comme si la France était peuplée de parents irresponsables et naïfs. Preuve que l’on peut avoir raison scientifiquement et tort politiquement. A quand un Etat qui considèrera ses citoyens comme gens responsables et n’hésitera pas à poser sur la table les bénéfices autant que les risques – ils sont si mineurs ici –, les certitudes autant que les doutes ? A quand des politiques qui plutôt qu’imposer leur décision la partageraient ? A tout le moins, nous serions assurés de l’adhésion d’une immense majorité de Français, et le taux de vaccination ne serait pas plus mauvais car dans tous les cas la confiance ne se décrète pas elle se partage.
La liste s’allonge. Après les statines, le Mediator®, les pilules contraceptives de 3ème et 4ème génération, la Dépakine® voilà maintenant le Levothyrox®. Toutes ces affaires, les drames humains qu’ils sous-tendent, faut-il le rappeler, révèlent les graves défaillances de notre circuit du médicament : manque de rigueur et de transparence dans les avis d’autorisation de mise sur le marché et dans la fixation des prix, défaut de contrôle a posteriori, connaissance de la pharmacologie des prescripteurs limitée et souvent sous influence, sécurisation de la délivrance en officine déficiente, amateurisme de l’information des professionnels et de la population…
A chaque « affaire » la défiance s’installe un peu plus. Ainsi des femmes qui abandonnent la contraception hormonale parce qu’elles ont le sentiment qu’on leur a menti et ont perdu confiance. J’ai lu et écouté beaucoup de réactions sur ce sujet. A l’exception du Planning familial, j’ai entendu nombre de spécialistes gynécologues qui avaient été les promoteurs de ces pilules venir nous expliquer que si les femmes avaient changé, c’était simplement qu’elles étaient devenues « écolo ». C’est vouloir nous faire oublier un peu vite le matraquage dont elles ont été victimes par ces mêmes spécialistes. Comment continuer d’accorder sa confiance à quelqu’un qui a démontré que ses « congrès-vacances » payés par un laboratoire valaient plus que la santé de ses patientes ?
Il n’y a pas besoin d’être devin pour constater les principaux dysfonctionnements de la santé en France. Ainsi, il était aisé de prévoir tous ces thèmes qui, malheureusement, font la une de ce dernier mois. Mais il faut dépasser cette lecture factuelle et expliquer pourquoi et comment nous en sommes arrivés là et montrer qu’il existe une autre approche, une approche qui reconnait en premier lieu cette défiance grandissante envers notre système de santé et qui, sur cette base, fonde un mode de gouvernance participative dans laquelle peut se reconstruire cette confiance indispensable entre le malade et son médecin, entre le citoyen, le professionnel et l’Etat. Paul Ricœur, philosophe cher aux yeux du président de la République, ne disait pas le contraire : « La relation de soin est une alliance thérapeutique, un pacte de soin basé sur la confiance. »
Peut-être hier l’Etat pouvait-il procéder par injonction mais nous ne sommes plus au XIXe siècle et à l’époque hygiéniste, les patients veulent être co-acteurs de leur santé, comme d’ailleurs la loi de 2002 les y invite en instituant la décision médicale partagée. Il ne peut y avoir un discours où l’on place le « patient au centre » et des actes politiques qui disent exactement le contraire. Le citoyen de 2017 ne souhaite plus qu’on lui « prescrive » par « ordonnance » des vaccins ou des modifications de composition de médicaments, il veut des explications claires et fiables. Non pas qu’il refuse tel ou tel conseil, au contraire il les recherche, mais attend que ces conseils soient accompagnés d’arguments et de pédagogie.
Le besoin de participer qu’il s’agisse des décisions sur sa santé comme celles concernant les grandes questions de santé publique est devenu une exigence, il n’est que d’écouter le débat public sur l’euthanasie pour s’en convaincre. Et cette exigence est une chance, une opportunité pour transformer notre système. Elle dit la volonté d’une majorité d’entre nous de s’impliquer en faveur d’une médecine forte des valeurs du Conseil national de la résistance, d’égalité d’accès et d’universalité, en même temps qu’ancrée dans son siècle. L’exemple du Levothyrox® et de l’alerte numérique sur les effets indésirables par les patients eux-mêmes sont révélateurs de ce changement de paradigme. Le problème, le frein majeur pour que l’on se saisisse de cette opportunité, c’est qu’un nombre important de professionnels de santé n’y sont pas prêts et que les politiques ne semblent pas l’avoir perçu à sa juste mesure.
Antoine VIAL
Antoine Vial est expert en santé publique, co-fondateur du Forum des Living Labs en santé et autonomie. Il a été à la tête de projets multimédias à l’usage des professionnels de santé (télévision, Internet) en même temps que pendant 20 ans producteur délégué et animateur des programmes médicaux sur France Culture. Il a été membre de la commission Information et diffusion de l’information médicale de la Haute Autorité de santé (HAS). Il est membre du conseil d’administration de Prescrire.
Auteur de « Santé, le trésor menacé » – Editions L’Atalante
[1] Cash investigation France 2 – 14 septembre 2017
[2] Trois mois de grèves pour dénoncer des conditions de travail menant à la maltraitance des résidants
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