LIRE DANS UP’ : Les autoritaristes montent en puissance. Trump en est un symptôme
Pierre Rabhi ne décolère pas. L’auteur de l’Agroécologie, une éthique de vie qui se présente volontiers comme écrivain et paysan, n’a pas digéré la sortie de Nicolas Sarkozy sur l’agriculture biologique. Ce dernier a en effet déclaré devant un parterre de partisans hilares : « [l’agroécologie], une expression bizarre, (…) une obsession pour la destruction de notre puissance agricole qui serait remplacée par la possibilité donnée aux bobos d’aller faire leurs courses à la ferme dans le cadre des circuits courts ». Quelques temps auparavant, Luc Chatel, fraîchement élu président du Conseil national du parti Les Républicains, affirmait sans ciller que son mouvement serait un ardent défenseur des gaz de schiste, des OGM et des biotechs. Que se passe-t-il donc ? Le syndrome Trump aurait-il contaminé une part de la politique française ?
Face à des simplifications abusives, il est toujours difficile de répondre de manière rationnelle et argumentée. C’est pourtant ce qu’a tenté de faire Pierre Rabhi dans une chronique publiée aujourd’hui par le journal Le Monde. Il écrit « Non, l’agroécologie n’a rien de bizarre. Elle ne prône pas la destruction du monde paysan, elle est exactement l’inverse ». Il rappelle que « L’agroécologie considère que la pratique agricole ne doit pas se cantonner à une technique, mais envisager l’ensemble du milieu dans lequel elle s’inscrit avec une véritable écologie. La pratique agroécologique a le pouvoir de refertiliser les sols, de lutter contre la désertification, de préserver la biodiversité (dont les semences), d’optimiser l’usage de l’eau. Elle est une alternative peu coûteuse et adaptée aux populations les plus démunies en France comme ailleurs. »
L’intervention de Nicolas Sarkozy sur l’agroécologie, le 3 février 2016 :
Soupçonnant in peto que les propos du dirigeant du parti Les Républicains sont peut-être influencés par la pression des grands industriels de l’agrochimie et du pétrole, Pierre Rabhi poursuit : « Par la revalorisation des ressources naturelles et locales, elle libère le paysan de la dépendance des intrants chimiques et des transports générateurs de tant de pollutions et responsables d’une véritable chorégraphie de l’absurde, où des denrées anonymes parcourent chaque jour des milliers de kilomètres ! Enfin, elle permet de produire une alimentation de qualité, garante de bonne santé pour la terre, pour ses habitants et pour ceux à venir ».
Adopter de nouvelles pratiques aussi bien dans le domaine de l’agriculture que de celui de l’énergie par exemple, n’est pas forcément synonyme de retour en arrière, de « décroissance » ou de repli sur le progrès. Ce n’est pas opposer technophobes et technophiles. C’est simplement faire preuve de lucidité, de bon sens et de clairvoyance. Toutes les innovations ne sont pas bonnes, il ne faut pas pour autant les rejeter, il faut simplement les analyser avec la plus grande indépendance d’esprit et mesurer avec le plus d’objectivité leurs avantages et inconvénients. La fuite en avant aveugle et la toute confiance dans la science et la technologie ne mènent en général qu’au pire. L’entrave du progrès par des précautions inutiles et tatillonnes aussi. Aussi, quand des voix (dites autorisées) prônent des solutions contestables ou soumises à investigation, on ne peut manquer de s’inquiéter. C’est le cas des propos de Luc Chatel, appelant son parti à « être le parti du principe d’innovation plus que du principe de précaution, le parti du gaz de schiste, le parti des OGM, le parti des biotechs ». Le tollé fut immédiat face à ce que d’aucuns qualifièrent de « régression environnementale ».
Dans la même veine, un autre hiérarque du Parti Les Républicains, Laurent Wauquiez qui, aussitôt élu président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, dit « non à l’agriculture bio » et « non » aux transports collectifs. Mais « oui » aux OGM, « oui » aux nanotechnologies, « oui » à l’exploitation des gaz de schiste, « oui » à la mise sous perfusion des centrales nucléaires, y compris des plus vieilles et des plus dangereuses, comme celle du Bugey dont la Suisse réclame la fermeture. Selon le philosophe écologiste Yves Paccalet, à peine en place, Wauquiez lance une offensive sabre au clair contre les parcs naturels. « Il caresse dans le sens du poil sa clientèle électorale, à savoir les gros céréaliers, les bétonneurs, les bâtisseurs obsessionnels qui ne cessent d’invoquer l’efficacité économique, l’intérêt général et l’emploi pour mieux se remplir les poches… »
Il y a quelques années, en 2011, quand Nicolas Sarkozy avait lâché « l’environnement, ça commence à bien faire » la classe politique avait réagi et les médias s’étaient empressés de relayer ce qui avait été présenté alors comme un « dérapage ». Aujourd’hui, le discours de certains politiques n’hésite plus à exprimer des positions fermes, simples et catégoriques. Le must de la communication politique semble être non pas le parler-vrai, mais le parler-cru. Un discours dur, fort, pour qu’il soit entendu le plus loin possible. Pas de fioritures, des affirmations qui entreront dans l’oreille d’abord des partisans puis plus, si affinités.
Cela ne vous rappelle rien ? C’est exactement la stratégie adoptée par Donald Trump. Il ne s’encombre pas de complexe et sa langue est verte, brutale, n’hésitant jamais à forcer le trait voire l’injure. De ce côté de l’Atlantique, les médias présentent souvent Trump comme un clown, une sorte d’agité inconsistant. Mais au fur et à mesure de ses succès électoraux, on commence à s’interroger. Certains de nos politiciens disent même vouloir s’en inspirer. Nicolas Sarkozy est clair : il lui faut s’inspirer de Donald Trump pour remporter la primaire de la droite et du centre. Le Monde rapporte le parallèle utilisé par l’ancien Président, lors de la commission exécutive de son parti. « Regardez ce que donnent aux États-Unis les candidats soutenus par l’establishment et les médias, ils sont balayés par les candidats du peuple », a ainsi déclaré Nicolas Sarkozy. Il cite également Donald Trump pour appuyer l’idée qu’une victoire se ferait sur une ligne dure, à droite. Pour le fidèle sarkozyste Brice Hortefeux, le succès du milliardaire républicain « montre qu’on ne gagne pas au centre, avec une campagne aseptisée, mais en clivant ». Quant à Laurent Wauquiez, il jugeait début mars, sur France 2, que « Trump a une parole très directe et aborde des thèmes qui étaient jusque-là tabouisés ». La « ligne dure » dont parlent les stratèges politiques ressemble étrangement à celle de l’ « autoritarisme » porté par Donald Trump.
Pour le candidat américain, les tabous ont sauté depuis longtemps et les simplifications outrancières pleuvent à chaque meeting. A propos de pluie d’ailleurs, Trump affirme que le changement climatique n’existe pas et que le consensus scientifique à ce sujet n’est qu’un vaste canular… Une autre bizarrerie pour bobos ?
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