Trente-trois ans après la pire catastrophe nucléaire, la zone hautement contaminée autour de la centrale de Tchernobyl, abandonnée par ses habitants, s’est transformée en une réserve unique où prospèrent et se multiplient les wapitis, les cerfs, les loups et quantité d’animaux sauvages. La présence humaine serait-elle plus nocive que les radiations pour la biodiversité ?
« Quand les gens sont partis, la nature est revenue », résume à l’AFP Denis Vichnevski, ingénieur en chef de la « zone d’exclusion », qui se situe dans un rayon de 30 km autour du site accidenté. Autour de lui, un troupeau de chevaux sauvages est à la recherche de nourriture sous une épaisse couche de neige immaculée.
Une image qui pourrait sembler surréaliste à ceux qui ont gardé le souvenir du drame de Tchernobyl et des conséquences désastreuses qu’il avait entraînées pour toute forme de vie.
Le 26 avril 1986, le quatrième réacteur de la centrale de Tchernobyl, situé dans le nord de la république socialiste soviétique d’Ukraine, explose. À la suite de l’accident, en Union soviétique de l’époque, plus de 400 fois plus de rayonnements ont été émis que ceux produits par la bombe atomique larguée sur Hiroshima en 1945. Des rayonnements qui ne sont pas restés sur place et ont voyagé dans un nuage radioactif contaminant aussi une bonne partie de l’Europe.
Les travaux de décontamination ont commencé immédiatement après l’accident. Une zone d’exclusion a été créée autour de l’usine et plus de 350 000 personnes ont été évacuées de la zone. Ils ne sont jamais revenus.
L’accident a eu un impact majeur sur la population humaine. Bien qu’il n’y ait pas de chiffres précis produits par les autorités soviétiques puis ukrainiennes, les pertes physiques en vies humaines et les conséquences physiologiques ont été vraisemblablement considérables. Quant à l’impact initial sur l’environnement, on imagine facilement qu’il fut énorme. L’une des zones les plus touchées par les radiations était la forêt de pins située près de l’usine, connue depuis lors sous le nom de « forêt rouge ». Cette zone a reçu les plus fortes doses de radiation, les pins sont morts instantanément et toutes les feuilles sont devenues rouges. Peu d’animaux ont survécu aux niveaux de rayonnement les plus élevés.
Aujourd’hui, et dans un rayon de 10 km autour de la centrale, le niveau de radiation atteint toujours 1.700 nanosieverts par heure, un chiffre 10 à 35 fois supérieur à la norme. Une équipe de chercheurs de l’université de Bristol vient de publier les résultats d’une étude menée sur cette zone à l’aide de drones équipés de vision laser. Ils ont mesuré, dans le périmètre de la Forêt rouge les plaques de radioactivité les plus intenses que l’on puisse trouver sur la surface de la Terre. Un visiteur qui se hasarderait dans cette forêt recevrait en quelques heures l’équivalent d’une année de dose radioactive.
L’intensité du désastre écologique causé par cet accident a longtemps laissé penser que la région deviendrait un désert pour des siècles voire des millénaires. Compte tenu du temps qu’il faut à certains composés radioactifs pour se décomposer et disparaître de l’environnement, on prévoyait que la région resterait dépourvue de faune pendant très très longtemps.
Mais aujourd’hui, 33 ans après l’accident, la zone d’exclusion de Tchernobyl est habitée par des ours bruns, des bisons, des loups, des lynx, des chevaux Przewalski et plus de 200 espèces d’oiseaux. Une explosion de vie et de biodiversité !
En mars 2019, la plupart des principaux groupes de recherche travaillant sur la faune de Tchernobyl se sont réunis à Portsmouth, en Angleterre. Une trentaine de chercheurs du Royaume-Uni, d’Irlande, de France, de Belgique, de Norvège, d’Espagne et d’Ukraine ont présenté les derniers résultats de leurs travaux.
Ces études comprenaient des recherches sur les grands mammifères, les oiseaux nicheurs, les amphibiens, les poissons, les bourdons, les vers de terre, les bactéries et la décomposition des feuilles.
Elles ont toutes montré qu’à l’heure actuelle, la zone abrite une grande biodiversité. En outre, les chercheurs ont confirmé l’absence générale d’effets négatifs importants des niveaux de rayonnement actuels sur les populations animales et végétales vivant à Tchernobyl. Tous les groupes étudiés maintiennent des populations stables et viables à l’intérieur de la zone d’exclusion.
Plus encore, les scientifiques ont trouvé des signes qui pourraient représenter des réponses adaptatives à la vie avec les rayonnements. Par exemple, les grenouilles à l’intérieur de la zone d’exclusion sont plus foncées que les grenouilles vivant à l’extérieur de cette zone, ce qui constituerait une défense possible contre les rayonnements.
Des études ont également détecté certains effets négatifs des rayonnements au niveau individuel. Par exemple, certains insectes semblent avoir une durée de vie plus courte et sont plus affectés par les parasites dans les zones à fort rayonnement. Certains oiseaux présentent également des niveaux plus élevés d’albinisme, ainsi que des altérations physiologiques et génétiques lorsqu’ils vivent dans des localités fortement contaminées. Mais les experts sont formels : ces effets ne semblent pas affecter le maintien de la population faunique dans la région.
Alors comment expliquer ce miracle ? Trois facteurs principaux sont avancés par les scientifiques. Premièrement, la faune pourrait être beaucoup plus résistante aux rayonnements qu’on ne le pensait auparavant. Une autre possibilité est que certains organismes pourraient commencer à présenter des réactions adaptatives qui leur permettraient de faire face aux rayonnements et de vivre à l’intérieur de la zone d’exclusion sans danger.
Mais la dernière option semble la plus forte : l’absence d’humains à l’intérieur de la zone d’exclusion favoriserait de nombreuses espèces, en particulier les grands mammifères.
« Quand les humains ne sont plus là, la nature fleurit – même après le pire accident nucléaire du monde » a ainsi déclaré à i24news Jim Smith, un spécialiste en sciences de la terre et de l’environnement à l’Université britannique de Portsmouth. « Il est très probable que le nombre d’espèces animales de Tchernobyl soit maintenant beaucoup plus élevé qu’il ne l’était avant l’accident. »
Selon Denis Vichnevski, qui est également zoologiste, la présence humaine est beaucoup plus nocive aux animaux sauvages que les effets de la radiation.
Les animaux ont beau avoir une espérance de vie plus courte et un taux de reproduction moins élevé à cause des effets de la radiation, leur nombre et leur variété ont augmenté à un rythme inédit après la chute de l’URSS en 1991. « La radiation est partout ici et cela a des effets négatifs », rappelle M. Vichnevski. « Mais c’est moins significatif que l’absence de l’intervention humaine ».
Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont en effet été évacuées de la région dans les jours qui ont suivi l’explosion, abandonnant bacs à sables et balançoires qui sont depuis restés là, comme figés dans le temps. Quelque 10 km2 de forêts de pins entourant la centrale ont été détruits peu après la catastrophe en raison de l’absorption d’un niveau élevé de radiation et les divers oiseaux, rongeurs et insectes qu’elles abritaient ont disparu.
Le site de la « Forêt rouge » a été rasé au bulldozer et les pins morts enterrés comme des déchets nucléaires. Mais une nouvelle forêt de pins et de bouleaux, plus résistants à la radiation, a repoussé au même endroit depuis. Et la nature a connu de curieuses transformations.
D’une part, les espèces dépendant des déchets humains ont disparu comme les cigognes blanches, les moineaux ou les pigeons. Mais des espèces jadis indigènes ont réapparu : des loups, des ours, des lynx, des pygargues à queue blanche et bien d’autres.
En 1990 une poignée de chevaux de Przewalski en voie de disparition ont été amenés là pour voir s’ils pouvaient y prendre racine. L’expérience a réussi et une centaine d’entre eux pâturent aujourd’hui sur des champs vides. « Nous appelons cela une renaissance environnementale », commente M. Vichnevski.
Une étude dont les résultats ont été publiés dans la revue Current Biology a révélé une abondance relative de wapitis, chevreuils, cerfs et sangliers – avec des taux de population similaires à ceux trouvés dans quatre réserves naturelles de la région, non contaminées. Le nombre de loups vivant dans et autour le site de Tchernobyl est sept fois plus élevé que dans les réserves naturelles des alentours. « Ces données uniques montrent un large éventail d’animaux en plein essor au sein d’un lieu marqué par la catastrophe nucléaire. »
Ainsi, les pressions générées par les activités humaines seraient plus négatives pour la faune à moyen terme qu’un accident nucléaire – une vision tout à fait révélatrice de l’impact humain sur l’environnement naturel. Conscients de cette renaissance miraculeuse de la biodiversité dans l’un des sites les plus invivables du monde, les autorités ont déclaré en 2016 la partie ukrainienne de la zone d’exclusion réserve de biosphère radiologique et environnementale.
Le zoologiste Germán Orizaola de l’université de Oviedo écrit dans un article publié par The Conversation Espagne : « Au fil des ans, Tchernobyl est devenu un excellent laboratoire naturel pour l’étude des processus évolutifs dans des environnements extrêmes, ce qui pourrait s’avérer précieux compte tenu des changements environnementaux rapides que connaît le monde entier. »
Marina Chkvyria, chercheuse de l’Institut de zoologie Schmalhausen, qui surveille le site de Tchernobyl, prévient toutefois que de nombreux touristes visitant la zone et les employés qui s’occupent de l’entretien de la centrale et de la construction du nouveau sarcophage détériorent cette nature. « Beaucoup de gens travaillent à la centrale. Il y a des touristes, des braconniers », déplore la scientifique. Tchernobyl n’est pas vraiment l’idée que tout le monde se fait d’un lieu de vacances, mais pourtant, chaque année environ 70 000 touristes visitent la zone d’exclusion.
Au cours des 33 dernières années, Tchernobyl est ainsi passée du statut de désert potentiel pour la vie à celui de zone de grand intérêt pour la conservation de la biodiversité. Une illustration, si besoin était, de la capacité de résistance des populations animales quand elles ne sont pas confrontées aux pressions humaines.
Sources : AFP, The Guardian, The Conversation Espagne
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