« Cerveau augmenté, homme diminué » de Miguel Benasayag – Editions La Découverte, mai 2016
Le cerveau humain connaît, étudie, explique et comprend, au point qu’il en est arrivé à prendre comme objet d’étude… lui-même. Et les nouvelles connaissances sur le fonctionnement du cerveau ébranlent profondément nombre de croyances au fondement de la culture occidentale. Car les remarquables avancées des neurosciences rendent en effet désormais envisageable pour certains la perspective d’améliorer le cerveau et de supprimer ses faiblesses et ses » défauts » : le rêve d’un cerveau » parfait » semble à portée de la main.
Cette vision conduit à considérer notre cerveau comme un ordinateur qu’il s’agirait d’optimiser en l’améliorant par divers outils pharmacologiques ou informatiques. À partir d’une vulgarisation très pédagogique de recherches récentes souvent très » pointues » en neurosciences, Miguel Benasayag montre ici, de façon fort convaincante, pourquoi ce nouvel idéalisme du » cerveau augmenté » est en réalité une illusion dangereuse : le monde qu’entendent préparer les transhumanistes et certains scientifiques risque fort d’être surtout habité par la folie et la maladie…
Une thèse critique solidement argumentée, qui a commencé à faire son chemin dans le milieu des chercheurs les plus préoccupés par les apories et les failles de ce nouveau mythe du progrès.
« Une chose est de savoir quels neurones s’activent pour penser le chiffre 5, […] C’en est une autre de comprendre un monde et une culture où il devient possible de manipuler et de modifier ces comportements ».
« …dans un monde désenchanté et colonisé par la technologie : le rêve du « cerveau augmenté » : l’étude du cerveau interroge les bases mêmes de ce que l’on considère culturellement le sujet humain. Car si l’amour, la quête de la liberté, nos tropismes et notre mémoire sont des effets plus ou moins illusoire de processus physiologiques cérébraux, c’est l’unité même de l’homme, son « moi », qui semble se disperser, se disloquer dans un mouvement centrifuge. Or, pour nombre de chercheurs en neurosciences, le sentiment même « d’être soi » est une illusion créée par le cerveau pour servir à certaines fins, mais qui n’a pas de réalité en soi : les problèmes que nous croyons « psychologiques » et subjectifs, ou encore moraux et sociaux, doivent être compris comme des imperfections, comme des dérèglements d’un organe, pour sûr complexe, mais dont le fonctionnement s’appuie, disent nos collègues, sur des lois « simples » et physiques.
Cette déconstruction, cette dislocation du sujet dans ses parties et ses fonctions cérébrales ne survient pas à n’importe quel moment de l’histoire de l’humanité. Mais au moment où la croyance en l’avenir, les promesses historicistes et téléologiques d’un monde parfait à venir sont tombées les unes après les autres. C’est dans ce monde du désenchantement que la technologie occupe anthropologiquement une place que nous nous sommes rarement attardés à penser. Loin de toute position de défiance et encore moins de technophobe, il s’agit donc de comprendre comment la technologie a occupé la place laissée vacante par les utopies dévastées.
Le défi de notre époque consiste donc essentiellement à articuler nos fantastiques connaissances et la puissance de la technologie avec la connaissance et le respect des circuits de la vie ».
Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste, anime le collectif » Malgré tout « . Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont aux Éditions La Découverte, avec Angélique del Rey, professeure de philosophie, Connaître est agir (2006) et Éloge du conflit (2007) ; et avec Pierre-Henri Gouyon, Fabriquer le vivant. Ce que nous apprennent les sciences de la vie sur les défis de notre époque (2012). Dernière parution à La Découverte : Clinique du mal-être. La » psy » face aux nouvelles souffrances psychiques (2015).
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