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santé et présidentielles

Santé : guide à l’usage des français qui veulent voter en sachant pourquoi

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Les propos généraux tenus dans les programmes Santé des deux candidats en lice pour la Présidentielle 2017 traduisent-ils une méconnaissance de la situation réelle ? Il ne suffira pas de quelques mesures pour réparer notre système. De sa réorganisation dépend sa survie. Et pour cela, deux conditions : dresser le constat réel de ses faillites et porter l’ambition de refaire de notre système de santé l’un des meilleurs du monde. Je vous invite à une plongée dans les programmes d’Emmanuel Macron et de M. Le Pen, afin de vous forger une conviction basée sur les preuves, comme on le fait en médecine.

La désertification médicale

C’est le sujet phare pour les Français qui traduit le mieux cette médecine à deux vitesses que je dénonce dans l’ouvrage « Santé, le trésor menacé ». Ils n’ont pas tort car, derrière ce mot, on retrouve la plupart des causes qui génèrent les inégalités face à la maladie et aux accidents de la vie : le nombre de professionnels de santé par habitants, pléthorique dans certains centres-villes, insuffisant jusqu’à l’absence dans d’autres territoires, mais aussi la disparition des petits hôpitaux publics, les conséquences de l’engorgement récurrent des urgences, la mortalité due aux dysfonctionnements du système et de son organisation…
 
Pour combattre la désertification, Marine Le Pen souhaite relever le numerus clausus, c’est-à-dire le nombre de places ouvertes aux étudiants en médecine ; Emmanuel Macron fait l’impasse sur cette solution.
Mais en est-ce une ? Former un médecin généraliste prend neuf ans, un chirurgien onze. Peut-on attendre ces délais pour remédier à la désertification ? À l’évidence non, car les projections faites par les démographes en santé [1] et par l’Ordre national des médecins [2] révèlent une augmentation constante du nombre de territoires concernés. En cause la pyramide des âges chez les médecins qui montre que le pic des départs à la retraite sera atteint dans cinq à six ans. Trop tôt donc par rapport aux délais de formation. Mais plus que cela, que changera le nombre de médecins à la question de la désertification ? La réponse est rien ou à la marge. La France n’en a jamais autant compté, presque deux fois plus qu’il y a une quarantaine d’années, sauf que de moins en moins choisissent la médecine générale et que ceux qui font ce choix s’installent dans des zones déjà bien pourvues.
 
Alors qu’est-ce qui fera que les jeunes médecins auront tout d’un coup envie d’aller s’installer en Vendée ou dans la Manche (départements parmi ceux qui comptent le moins de médecins par habitants) ou dans les zones péri-urbaines ? À cette question les deux candidats répondent en chœur : maison de santé ! que seul Emmanuel Macron chiffre en voulant en doubler le nombre. Oui, les maisons de santé sont un levier ; non, elles ne suffisent pas à ce que les jeunes médecins généralistes s’installent dans ces zones déjà sous-dotées. Le nombre de maisons de santé inoccupées, parce que conçues hors concertation avec des professionnels concernés ou parce que ne relevant que d’un programme immobilier, est considérable.
Toujours contre la désertification, Marine Le Pen ajoute « un stage d’internat dans les zones concernées ». Sauf que ces stages d’internat en médecine générale existent déjà et qu’ils ont même été renforcés dans la dernière loi dite de Modernisation ; sauf que pour accueillir ces stages, il faut avoir la qualification de médecin généraliste enseignant et que, comme par hasard, il y en a peu ou pas du tout dans les zones concernées !

La survie des hôpitaux publics

La désertification est certes d’abord celle due aux médecins généralistes mais elle s’exprime aussi par la fermeture des hôpitaux publics de petites et moyennes tailles au profit de cliniques souvent propriétés de fonds de pension.
À ce sujet, Marine Le Pen souhaite « maintenir au maximum les hôpitaux de proximité et augmenter les effectifs de la fonction publique hospitalière ». Elle sait pertinemment que la question des centres hospitaliers publics des villes petites et moyennes est une préoccupation majeure de leurs habitants et que leur restructuration, fusion ou fermeture mobilisent plus qu’aucun autre sujet.
 
Le problème c’est que le remède proposé n’est pas le bon. La survie de ces établissements est à mettre en relation directe avec l’existence des cliniques privées. La concurrence frontale s’exprime d’abord par l’aspiration continue des jeunes diplômés par le privé qui provoque l’asphyxie des services hospitaliers publics où les taux de vacances peuvent atteindre 41% dans certaines spécialités. Madame Le Pen compte-t-elle interdire aux jeunes diplômés de s’installer où ils le souhaitent ? À coup sûr la réaction des professionnels, pour qui la liberté d’installation est primordiale, sera vive, et il est à craindre que le résultat de cette mesure soit pire que ce contre quoi elle est censée lutter. À moins qu’elle n’envisage de payer les chirurgiens, les médecins, les infirmières et les aides-soignantes du public au même prix que dans le privé, mais alors là il faut nous expliquer d’où l’argent viendra – le poste des salaires étant déjà celui qui pèse le plus dans la dépense publique. Selon les économistes, cette mesure augmenterait le budget de la santé hospitalière de 30 à 40%. Autant dire, impossible.
 
Plus réaliste et concret, Emmanuel Macron souhaite investir 5 milliards dans la transformation de notre médecine de ville et nos hôpitaux mais ne se prononce pas sur la pérennité des hôpitaux publics face à l’offre privée.

Le remboursement des frais de santé

Les deux candidats se retrouvent sur le remboursement des frais de santé, insuffisant à leurs yeux. Leur convergence s’arrête là. Pour Marine Le Pen, il s’agit de « garantir la sécurité sociale pour tous les français ainsi que le remboursement de l’ensemble des risques pris en charge par l’assurance maladie ». Pour Emmanuel Macron, la volonté est de parvenir à « 100% de prise en charge des lunettes, prothèses auditives et dentaires d’ici à 2022 en lien avec les mutuelles et les professionnels de santé ». Au moins pour ce dernier avons-nous une échéance, pour le reste les copies sont faibles. Le coût estimé de la mesure proposée par Emmanuel Macron est de 5 milliards, celui de Marine Le Pen d’au moins le double. Car, ce que l’administration appelle pudiquement les RAC (restes à charge) ne recouvre pas seulement les trois dispositifs cités par En marche. Ainsi, les personnes les plus impactées par ces RAC sont d’abord les personnes handicapées et vieillissantes. Un seul exemple : un fauteuil roulant électrique, aussi indispensable qu’une paire de lunettes et plus qu’un implant dentaire, laisse un RAC moyen de 3 000 euros, ce qui explique qu’à population égale nous ayons 30% de fauteuils électriques en moins que nos voisins allemands !

Candidats, sortez vos calculettes

Mais dans toutes ces propositions, une chose inquiète davantage. Le chiffrage approximatif ou inexistant de ces mesures, particulièrement au Front national. Les professionnels auront du mal à comprendre – et encore plus à croire – qu’alors qu’on compresse les personnels et qu’on limite les dépenses partout, on puisse d’un coup de baguette magique mettre 5 milliards sur la table pour financer les RAC, augmenter de 30 à 40% la masse salariale hospitalière, multiplier par deux les maisons de santé, relever le numerus clausus dans des facultés déjà saturées…
 
Peut-être le Front national compte-t-il sur le milliard de l’Aide médicale d’État (AME) que coûtent les « clandestins » et qu’il veut supprimer. Le compte n’y sera pas pour la raison simple que le recours à l’AME concerne autant des Français que des étrangers, avec ou sans papiers.
Cette proposition du programme lepeniste est l’illustration exemplaire que l’humanisme, valeur française s’il en est et dont devrait donc se flatter ce parti, est étrangère à ses principes. Elle démontre que sa xénophobie passe avant la santé publique la plus élémentaire. Un exemple avec la tuberculose qui continue de sévir en France. Dans l’immense majorité des cas, les porteurs du bacille sont des immigrés sans papiers. Soignés, ils ne sont plus contagieux, non soignés, une toux dans le métro ou le bus sera de nature à transmettre la maladie.
Enfin, comment Madame Le Pen peut-elle imaginer que des médecins refuseront des soins à une personne parce qu’elle serait sans papiers et sans argent ? Cette mesure remettrait en cause le serment d’Hippocrate signé par tous les médecins, autant dire qu’elle est nulle et non avenue.
 
Surtout, elle illustre parfaitement le décalage entre les deux programmes officiels. Leurs visions du monde sont radicalement différentes. L’une, universaliste dans la lignée de notre modèle conçu par le Conseil national de la résistance, même si l’on aimerait y trouver autant de souffle et d’ambition, l’autre fermée et repliée sur elle-même, à l’opposé de ce qui fonde notre modèle social.

Les oubliés

Quelques grands thèmes absents des programmes. Rien sur la sécurité des médicaments, pourtant première cause de mortalité dans les dysfonctionnements de notre système de santé et source d’une méfiance, voire d’un rejet, de plus en plus prégnant de la part des Français qui s’exprime, par exemple, vis-à-vis de la vaccination.
Rien non plus sur le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes, pourtant enjeu majeur de notre société dans les vingt prochaines années.
Mais, surtout rien sur l’indispensable réorganisation des soins, de la première ligne aux hôpitaux en passant par les urgences, l’adaptation des métiers et de leurs formations aux nouveaux besoins de la population et aux nouveaux outils de la médecine.
 
Le temps presse pour enfin obtenir des candidats, les réponses qu’attendent les patients, les assurés et les professionnels de santé. Et comme le sujet est complexe, je veux bien, dans la dernière ligne droite de cette campagne, prêter une oreille experte, capable de détecter omissions et contre-vérités. Je formule le vœu que cette réflexion aura vocation à suggérer quelques questions à poser aux deux acteurs du second tour de l’élection présidentielle.
 
Antoine Vial
 
Antoine Vial est expert en santé publique. De 2006 à 2012, il a été membre de la commission «Qualité et diffusion de l’information médicale» pour la Haute autorité de santé. Il est membre du conseil d’administration de la revue Prescrire, co-président du club Santé-Solidarité de Prospective 2100, membre de la Société française de santé publique et co-fondateur du Forum des Living Labs en santé et autonomie.
 
[1] Santé : des territoires abandonnés. Emmanuel Vigneron, Le Monde 31 mars 2017.

[2] http://demographie.medecin.fr/demographie

 

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