Désormais il vous faudra regarder d’un autre œil les plantes qui fleurissent dans nos jardins ou nos campagnes. Ce sont peut-être des espions. James Bond n’y avait même pas pensé, mais l’armée américaine est en train de le faire. Un programme de l’agence de recherche de l’armée américaine (DARPA) est en effet lancé pour modifier génétiquement des végétaux afin de les transformer en capteurs espions et envoyer des informations utiles en cas de crise.
Nous évoquons régulièrement les recherches de la DARPA dans nos colonnes. Il est vrai qu’elles sont souvent innovantes, mais aussi très perturbantes. Cette « Agence pour les projets de recherche avancée de défense » est une agence du département de la Défense des États-Unis chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies destinées à un usage militaire. Elle fut créée sur l’impulsion du président Eisenhower, en réaction au Spoutnik russe, à la fin des années 50. On doit à ce qui s’appelait auparavant l’ARPA, un grand nombre d’innovations technologiques, parmi lesquelles figure l’Arpanet, qui deviendra l’Internet que vous utilisez tous les jours. La DARPA développe, seule ou en partenariat avec les meilleurs chercheurs, à l’aide de budgets de plusieurs centaines de millions de dollars, des robots, des implants pour le cerveau, des avions et drones sophistiqués, bref, tout un arsenal de technologies destinées d’abord à l’armée américaine. Depuis quelques années, elle a déployé d’importants moyens dans le secteur des biotechnologies. C’est à ce titre que l’agence a révélé à la fin de l’année dernière travailler sur un projet des plus fous : l’Advanced Plant Technologies (APT). L’idée est de modifier génétiquement des plantes afin de les transformer en capteurs espions.
La clé de la défense militaire, on le sait depuis la nuit des temps, c’est le renseignement. Toute armée cherche à obtenir des renseignements précis et exacts, en temps opportun. Pour répondre à cet objectif, on imagine aisément que l’armée américaine, à travers la DARPA, investit massivement dans le développement de capteurs électroniques et mécaniques très puissants. À ce titre, elle travaille sur des satellites pour observer les zones sensibles, des sismographes pour enregistrer le moindre essai nucléaire n’importe où dans le monde, des systèmes de renseignements électroniques etc. Mais le monde se complexifie de plus en plus et l’activité de surveillance doit être la plus distribuée possible. Ce qui n’est pas chose simple.
C’est la raison pour laquelle l’idée est venue d’utiliser ce qui existe largement dans la nature. Le nouveau programme Advanced Plant Technologies de la DARPA envisage les plantes, apparemment simples, comme la prochaine génération de collecteurs de renseignements. Un communiqué de la DARPA précise que « Le programme poursuivra la mise au point de technologies permettant de mettre au point des capteurs robustes et à base de plantes qui sont autonomes dans leur environnement et qui peuvent être surveillés à distance à l’aide du matériel existant ».
L’idée de l’Agence est d’exploiter les mécanismes naturels des plantes pour détecter et répondre aux stimuli environnementaux et les étendre pour détecter la présence de certains produits chimiques, pathogènes, rayonnements et même signaux électromagnétiques. Pour ce faire, l’APT déclare vouloir « modifier les génomes des plantes afin de les programmer pour des types spécifiques de détection et de déclencher des mécanismes de réponse discrètes en présence de stimuli pertinents, et ce, d’une manière qui ne compromet pas la capacité des plantes à se développer ».
L’idée est peut-être folle, mais elle n’est pas stupide. En effet, si les chercheurs de la DARPA réussissent leur challenge, l’armée disposera d’un système exceptionnel de détection, qui fonctionnera sans énergie extérieure, robuste, particulièrement discret et facile à distribuer n’importe où. L’usage militaire est prioritaire pour la DARPA, mais l’agence précise que des besoins civils pourraient bénéficier utilement de cette innovation. On pense bien sûr et d’abord aux capteurs de pollution.
« Les plantes sont très sensibles à leur environnement et manifestent naturellement des réactions physiologiques aux stimuli de base tels que la lumière et la température, mais aussi, dans certains cas, au toucher, aux produits chimiques, aux parasites et aux agents pathogènes » explique Blake Bextine, responsable du programme DARPA pour l’APT. Selon les scientifiques en charge de ce dossier, les nouvelles techniques moléculaires, de modélisation et d’édition génétique (comme le CRISPR Cas9) pourraient permettre de reprogrammer les capacités de détection et de communication des plantes pour un large éventail de stimuli.
L’objectif est de modifier des traits multiples et complexes pour donner aux végétaux de nouvelles capacités qui leur permettent de percevoir et de rapporter de nombreux stimuli. Toutefois, pour réussir, le programme doit aussi tenir compte de la façon dont les plantes modifiées répartissent les ressources internes et sont en concurrence dans les milieux naturels. Des expériences antérieures de ce type ont réduit la capacité des plantes modifiées en siphonnant les ressources nécessaires à leur maintien. La DARPA affirme donc que l’APT cherchera à améliorer la façon dont les plantes recueillent et distribuent les ressources, et à optimiser leur condition physique afin que les plantes modifiées prospèrent malgré les interactions anticipées avec les agents stressants naturels tels que les microbes, les animaux, les insectes et d’autres plantes.
La DARPA a lancé fin décembre un appel à projets auprès des laboratoires de biologie synthétique afin de « développer un système itératif et efficace pour concevoir, construire et tester des modèles de manière à ce que nous obtenions une plate-forme facilement adaptable qui puisse être appliquée à un large éventail de scénarios ». « Il appartiendra aux chercheurs qui candidateront à l’APT de déterminer quelles plantes, quels stimuli et quelles modifications poursuivre comme preuves de concept » poursuit le communiqué.
Ce type de recherches ne peut manquer d’inquiéter au regard des risques sanitaires et environnementaux qu’elles sont susceptibles de déclencher. C’est pourquoi l’appel à projet précise que « les travaux initiaux sur le programme se dérouleront dans des laboratoires confinés et des serres, ainsi que dans des environnements naturels simulés, et seront conformes à tous les règlements fédéraux applicables, sous la surveillance additionnelle des comités institutionnels de biosécurité. » Dans des phases ultérieures, des expérimentations seront menées sur le terrain sous un étroit contrôle sanitaire, c’est en tout cas ce que promet l’agence.
En revanche, elle ne dit rien sur les possibles effets pervers de ce type de manipulations. En effet, les plantes modifiées pourraient servir de capteurs d’autres informations que celles qui sont définies dans le cahier des charges. Un scénario à la Black Mirror où les plantes seraient les espionnes omniprésentes de notre vie quotidienne est-il à craindre ? L’avenir nous le dira.
Sources : DARPA
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