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Générations X, Y, Z, Milleniums

Que sont les jeunes devenus?

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Depuis quelques temps, des milliers de jeunes lycéens et étudiants descendent dans les rues chaque semaine, partout dans le monde, pour interpeller leurs gouvernements sur l’urgence climatique et sociale. Ces figures de la jeunesse actuelle viennent en succession de générations de jeunes devenus leurs aînés. Des générations qui se succèdent – X, Y, Z, Milleniums… – en attendant la prochaine. Les médias s’en pourlèchent, les sociologues pondent et essayent de comprendre. Pourquoi donc cette attention si soutenue ? L’attrait des jeunes et la pensée unique du « jeunisme » occulte-t-elle une autre réalité ?

 
Nous ne sommes pas les premiers à nous intriguer de notre jeunesse. Socrate déjà se lamentait sous les oliviers de la Grèce antique : « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans. »
Ceux qui observent les jeunes générations on aujourd’hui tendance à les classer, leur coller des étiquettes : X, Y, Z… Toutefois, l’examen attentif ne trouve aucune homogénéité dans chacune de ces classifications. Certains traits caractéristiques se retrouvent même en contradiction. Ainsi, pour certains, l’argent ne doit pas primer, alors que pour d’autres, c’est la consommation absolue et permanente qui apporte le bonheur. Un clic de souris suffit pour son bonheur surtout quand il est expédié en 24 heures par Amazon. Pour d’autres, le must, ce sont les bons plans, les bons coins pour consommer pas cher, et pouvoir changer régulièrement de vêtements ou de smartphone.
 
Ce qui est notable au-delà de tendances contradictoires dans une même génération, c’est une aspiration manifeste à une qualité de vie et à la conception du travail comme modalité d’épanouissement. En cela rien de nouveau, d’autres avant les Y s’y étaient déjà promises.
Ce qui change, c’est le nombre de personnes engagées dans cet élan, phénomène accéléré et amplifié par Internet et les réseaux sociaux.
 

Le jeunisme : une manipulation marketing et business ?

Lorsqu’il a été décidé, dans les entreprises, de placer l’âge du senior à 45 ans, ce fut une réelle rupture anthropologique que nous aurions pu éviter. Cela a placé les personnes dès 45 ans et demi sur la pente descendante de la « vieillesse » rien de moins ! Alors qu’il n’y a pas si longtemps on disait être, à 45 ans, dans « la force de l’âge ». Un phénomène apparu en l’espace de deux générations à peine, et sans que notre ADN ou autre mutation nous ait fait radicalement changer, et alors même que l’espérance vie s’allongeait.
Désormais, pour parvenir à rendre compte de la diversité des âges passé 45 ans on parle de seniors-junior, senior-expérimenté, senior-mature, de senior-senior, etc.[1] Ceci tout en privilégiant dans les entreprises le terme de senior au point d’avoir des personnes de 25 ans qui se disent consultants seniors ! Une valorisation sociale des plus paradoxale.
 
C’est depuis la segmentation de la société en cibles marketing que nous avons vu notre société française, en plus des segmentations habituelles générationnelles ou en classes sociales, évoluer également en tribus. Phénomène largement accentué par des sociologues qui sont partis d’une observation de la société pour en faire un dogme, pousser leurs idées et contribuer à déstructurer la société. Eux aussi ont été pris dans le maelström narcissico-médiatique au point de mélanger observation « scientifique » et point de vue idéologique personnel.
Car plus il y a de catégories et plus cela permet la diversité des produits et donc augmente significativement la taille du marché.
 

Des explications encore plus « macro »

Cet effet jeunisme peut aussi se comprendre comme une réaction de notre civilisation occidentale face à son destin. Les théories d’effondrement [2] et de collapsologie théorisent notre « démergence/décroissance » dans une logique des plus anxiogène. Alors, face à un effet de spleen inévitable, face à ce modèle cataclysmique co-construit par les générations les plus anciennes, on reporte tout l’espoir dans la « jeunesse » comme source de résilience. En elle sont placés les espoirs de trouver des solutions aux problèmes co-créés par les générations précédentes.
 
A cela, s’ajoute un autre effet, celui de notre augmentation démographique continue qui fragilise tous les écosystèmes de la planète. Les horloges d’un futur soutenable s’affolent et face à une possible autodestruction de notre espèce, dont la variété des moyens accentue la probabilité, parler de « jeunisme » aurait un effet cure de jouvence, comme une nouvelle façon d’exprimer la résilience. Comme si face à une « mort annoncée » scander cette jeunesse éternelle pourrait nous sauver de nos égarements. 
 

La rupture anthropologique

Alors cette différence de génération est-elle une réalité ?
Oui, indiscutablement, la maîtrise d’Internet, des réseaux sociaux et des objets connectés, des forums de discussions, des applications, en un mot de l’environnement numérique est différente selon les générations. Et désormais tous les enfants naissent dans un monde digital et interconnecté. Dès lors, les comportements relatifs à la maîtrise des outils, au partage des informations et des ressources changent. C’est l’ère du « co » [3] partage de tous types de ressources pour obtenir des biens ou retrouver du lien et co-créer ;  le retour de la coopération comme mode de relation sociale.
Notre société de consommation et de compétition reposant sur un individualisme forcené, c’est alors après la quête du sens, celle aussi du besoin de recréer du lien social [4]. Interagir sur Internet et sur les réseaux sociaux comme au travers des différentes plateformes de connaissances modifie significativement les rapports humains, aplatit les différences hiérarchiques, facilite les échanges et les rapports. Cela contribue à replacer une certaine équivalence d’humanité entre les personnes. Les entreprises, depuis les organisations matricielles vont également dans ce sens de réduction des niveaux hiérarchiques et repensent les pouvoirs notamment avec l’apparition des Entreprises Libérées.
 
Cependant, nous assistons à une rupture anthropologique majeure : c’est la première fois de l’histoire de l’humanité, préhistorique et historique, soit sur plusieurs centaines de milliers d’années que le lien de transmission est inversé.
Le savoir, l’expérience et la sagesse avaient toujours étaient attribués aux plus anciens, qui enseignaient aux plus jeunes. Avec le numérique et la répétition continue de l’idée que les plus jeunes sont plus agiles que les plus seniors, nous assistons à une inversion des pouvoirs et de la lignée des transmissions, éliminant de facto toute personne au-delà de 45 ou 50 ans.
Evidemment, la plasticité mentale n’a rien à voir avec l’âge et l’agilité de remise en question ou de résilience n’est pas non plus liée aux années.
 
Par ailleurs, la spiritualité de toutes les traditions a toujours attiré notre attention sur le risque d’un pouvoir « temporel » ou « spirituel » dans les mains de trop jeunes ou immatures car l’égo lié au pouvoir accentue le narcissisme et ne permet pas d’agir pour le bien commun, mais surtout pour soi-même. Alors, certes, le narcissisme n’a pas d‘âge, toutefois, la raison pour laquelle les sages passaient des décennies à tenter de le devenir avait pour objectif de « conseiller » avec raison et justesse les gouvernants. Le monde entier s’appuie encore sur des Confucius et autres Lao Tseu.
 

Les générations Y, Z millénials détrônés par l’IA ?

Cette inversion anthropologique dans le rapport au savoir et à l’apprentissage n’est pas sans effet sur la société et, à ce jour, nous n’en mesurons pas tous les effets. Néanmoins, l’influence en est relativement précaire car l’arrivée de l’IA peut très vite détrôner celles et ceux qui s’étaient érigés en spécialistes du numérique.
Il existe en effet un risque majeur pour les générations Y et suivantes de se retrouver rendues obsolètes par l’IA et les robots. Vouloir éliminer les générations risquent de revenir en boomerang sur ceux qui auront été instrumentalisés pour le faire et créer une ou plusieurs générations amères et encore plus hors-sol.
Qui dit fragilité peut conduire à la désillusion, à la violence ou au repli vers des comportements plus classiques et plus susceptibles de soumission. En effet, les 20-25 ans privilégient la sécurité, un travail stable, un CDI, un salaire et de ce fait réduisent les exigences existentielles.
 

Le confort numérique ou l’autonomie intellectuelle ?

Enfin, cette agilité numérique a un prix. Nous avons alerté dès l’avènement des GPS du risque de perte de l’Intelligence spatiale, des effets sur la mémoire et de ce fait aussi sur l’intelligence stratégique qui a besoin d’avoir une vision globale et panoramique, au sens littéral et figuré, pour penser le monde en évolution.
Aujourd’hui, nos alertes rencontrent les résultats des recherches scientifiques et le documentaire d’Arte a ainsi fait réagir les réseaux sociaux. Demain tous crétins met l’accent sur ces pertes de capacités progressives. C’est désormais un fait établi que rechercher toute information sur Google nous fait perdre les réflexes des recherches plus physiques mobilisant notre mémoire visuelle. La lecture au travers de livres dans les bibliothèques implique davantage la mémoire et les prises de notes conduisent à davantage se souvenir. Car écrire ce que nous avons trouvé est bien plus impliquant qu’un simple copier-coller. Avec ce dernier, nous limitons la mobilisation cognitive et l’usage de la mémoire. Résultat : agiles des pouces mais moindres capacités réflexives.
 
Y-a-t-il une intention derrière ces mutations ?
Sans tomber dans les théories du complot, il est des équations à questionner. Plus nous utilisons d’applications et de services numériques, moins nous mobilisons certaines parties cruciales de notre cognition et notamment celles qui nous permettent la pensée critique et donc le libre-choix. Car moins nous mobilisons notre mémoire et notre intelligence dans les recherches et moins nous opérons de liens dans notre cerveau. Or c’est pourtant avec les informations emmagasinées dans notre cerveau, donc mémorisées, que nous pouvons effectuer des liens, des déductions, des connexions prospectives, des prises de position qui développent l’esprit critique et conduisent à réfléchir et penser librement.
 
Alors, certains comme Google, qui empruntent la piste du transhumanisme et de l’humain augmenté, sont plus à l’aise pour démontrer que comme nous n’avons plus les capacités d’embrasser la complexité – puisque nous les avons perdues – pourquoi ne pas nous corriger ? Alors un implant ou une « augmentation » ou une hybridation pourraient résoudre ces déficiences et en plus nous rendre immortels. La proposition n’est-elle pas bigrement alléchante ?
 

L’avenir du travail avec l’IA

En quelques décennies le « contrat social » qui unissait les entreprises à leurs employés a été rompu. D’actionnariat patrimonial à actionnariat financier, la mondialisation économique, l’extrême concurrence, les crises financières à répétition et par conséquent l’apparition et l’augmentation constante du chômage ont eu raison de la stabilité qu’un entrepreneur était censé apporter à ses salariés.
La classe ouvrière a été considérablement malmenée au point de quasiment disparaître au profit de la robotisation et des délocalisations. Le résultat : une déconstruction du modèle familial, de l’exemplarité du travail comme structuration du temps social et construction de l’identité professionnelle. S’ensuit un renversement des pouvoirs au sein des familles, le père ne pouvant plus exercer son autorité, autopersuadé d’en avoir perdu la légitimité.
La promesse, le « contrat social », entre les entreprises pourvoyeuses d’avenir et les salariés, a été rompu[5].
 
Ce qui nous conduit à nous poser la question de l’avenir du travail dans le cas où les robots vont prendre de manière massive une grande partie des emplois et pas uniquement ceux les moins qualifiés – Le métier de chirurgien serait en tête de liste des disparitions prochaines. La question n’est plus de savoir si l’IA et les robots vont prendre beaucoup d’emplois mais de savoir « quand ». Et les débats actuels ne nous y préparent pas du tout.
 
Car la plupart des métiers qui émergent grâce à ces évolutions sont de plus en plus spécialisés et par conséquent rendent obsolètes les filières qui mènent aujourd’hui à des métiers qui seront dépassés. Les jobs de demain, très sophistiqués ne concerneront qu’une minorité. Alors, quid de la majorité des laissés pour compte, en plus des seniors et chômeurs de longue durée ? Et quand bien même nous parviendrions à régler la question financière de cette évolution du travail, ce qui impliquerait une réflexion avec les actionnaires pour décider d’une répartition juste du profit obtenu grâce aux gains des salaires non payés, une question qui va bien au-delà du Revenu de Base dont les montants avancés sont en deçà des besoins de la majorité des personnes, bref, imaginons la question financière résolue ( !). Il va rester celle de notre humanité.
 

Depuis toujours l’être humain se réalise par le travail (plus encore que l’activité) pourquoi ?

L’activité professionnelle, quel que soit le statut financier, apporte des interactions sociales, donc du lien, du sens, car chacun contribue à la raison d’être de son organisation, qui elle-même prend une part dans la société en apportant des compétences, des expériences, des savoir-faire, des évolutions de connaissances et de pratiques… Que va-t-il rester lorsque nous serons tous, seuls, chez nous ? Tous devant la télévision à manger des popcorns et commander tous les produits et services en ligne ?
Quelle sera la nature de nos interrelations en famille ? Grâce aux réseaux sociaux ? Grâce à la télévision ? Demain, tous crétins, risque d’arriver plus vite que nous le pensons.
Et quand bien même nous ne serions que des humains inter-reliés chez nous et consommateurs, en quoi une IA indépendante se satisferait-elle longtemps de notre parasitisme ?
Une fois que l’IA aura trouvé les modalités de fonctionner de façon autonome, quelle décision prendra-t-elle vis-à-vis du genre humain ? Nous avons bien fait de faire durer le mythe de Star Wars sur 40 ans, nos imaginaires sont prêts à nous fabriquer un curieux futur ; la science-fiction avait bien tenté de nous prévenir.
 

L’arbre qui cache la forêt

Les dénominations de génération « Y, Milléniums, et autre » rendent surtout compte du moment chaotique dans lequel nous nous trouvons : la majorité d’entre nous, sans compréhension de ce qu’est la complexité du monde et encore moins des clés pour la traverser, clivent, manifestent des replis identitaires et communautaristes. Cette thématique des générations en est une, qui est renforcée par l’aspect marketing destiné à « vendre » des tribus qui alors s‘affrontent au lieu de coopérer et de tisser ensemble la tapisserie humaine dont nous avons besoin pour penser ensemble le futur. Ne le laissons pas se construire par quelques grandes entreprises et autres GAFA qui n’ont pas forcément le projet civilisationnel que nous pourrions espérer.
 
Et si la mise en exergue du jeunisme était l’occasion de se couper littéralement de toute opportunité de sagesse, dont nous savons tous qu’elle ne s’acquiert qu’avec l’expérience et les épreuves de la vie ? Sagesse qui permet de prendre le recul nécessaire pour embrasser la complexité du monde et conserver un esprit critique qui ne s’engouffre pas dans les effets de mode.
Sagesse qui permettrait en ce tournant déterminant de notre humanité de se poser les bonnes questions : que voulons-nous comme avenir ? Quelle va être notre humanité dès lors que l’IA est indépendante ? Comment éviter un eugénisme de grande ampleur ? Que voulons-nous devenir ? Comment débattre sans tomber dans les pièges des images binaires ? Et bien entendu, à la suite, repenser le travail face à cette évolution d’humanité dont nous ne savons rien.
 
Alors si nous osions nous réinventer, si nous osions utiliser notre intelligence humaine à réveiller notre résilience d’espèce ? Et si nous nous risquions à savoir tisser, à l’instar du vivant avec la biodiversité de toutes les espèces du vivant et avec toutes les composantes de notre humanité : peuples et générations.
Un beau défi qui repose sur le tissage ou retissage du lien au travers de nos différences. Et cela prend du temps.
 
 
[1] A l’instar de la jeunesse. Il n’y a pas si longtemps on passait de l’enfance à l’âge adulte très tôt et d’un coup. Mais désormais, il existe plusieurs catégories : pré-adolescents, adolescents, post-adolescents, pré-adultes ou adulescents. En gros, nous sommes adultes, matures et en bonne santé entre 40 et 45 ans, il ne faut pas manquer le créneau !

[2] Jared Diamond, Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Essai Folio, 2009. Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Yves Cochet, Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Anthropocène, Seuil, 2015.

[3] Anne-Sophie Novel, Stéphane Riot, Vive la « co » révolution, Alternatives, 2012.

[4] Abdennour Bidar, Les Tisserands, Les Liens qui Libèrent, 2016.

[5] Pour un plus long développement, voir : Christine Marsan, Violences en entreprise : Comment s’en sortir ?, de Boeck éd., 2006 
 

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