L’AFDEL, Association Française des Editeurs de Logiciels, s’est penchée sur le grave problème de désindustrialisation de la France. Elle a rendu un rapport paru en début d’année 2012, apportant ainsi vingt propositions précises grâce à l’apport de l’économie numérique. Voici ce rapport, divisé en trois parties distinctes, pour une lecture plus aisée.
Patrick Bertrand, Président, déclare : « Dans la crise sans doute durable que nous traversons, il est devenu essentiel d’identifier les remèdes structurants au déclin de notre économie sur la scène mondiale. Les candidats à l’élection présidentielle de 2012 ont compris que la réindustrialisation de notre pays doit être le moteur de toute politique économique efficace. Le dynamisme de la France est en jeu, sa créativité et sa capacité à offrir aux jeunes générations un emploi d’avenir.
L’économie du numérique constitue un puissant levier de croissance et de productivité, en tant que telle bien sûr, mais surtout pour l’industrie et les services dans leur ensemble. Nous souhaitons donc ici proposer des pistes d’action qui pourraient aider notre pays à rattraper demain son retard dans la digitalisation en cours de notre économie. Ils se résument en trois axes qui doivent converger : cap sur les PME, cap sur l’innovation, cap sur le numérique ! Pour répondre à l’enjeu essentiel : la compétitivité de notre économie et de nos entreprises. »
Préambule
==> Cap sur le Numérique
La France accuse un retard conséquent, elle n’occupe que le 21e rang mondial de l’adoption des Tics selon le Digital Ranking publié par The Economist. Une réalité qui se paie en points de PIB car l’économie numérique croît deux fois plus que le reste de l’économie et alors que les nouvelles technologies sont aujourd’hui le principal levier de productivité des économies traditionnelles. Nous vivons en effet une mutation de notre économie vers une économie devenue digitale. Le numérique est aujourd’hui le principal relais de croissance des industries traditionnelles qui améliorent leurs process de production, leurs produits et leurs services grâce au numérique. Certains pays ont bien appréhendé ces nouveaux challenges et on peut constater l’excellence des pays scandinaves dans les domaines numériques, le leadership asiatique de Taïwan, de la Corée du Sud et du Japon aux côtés d’Israël et des États-Unis. Ces challenges ne peuvent se relever sans une diffusion accélérée des usages qui implique que les infrastructures progressent à la même vitesse.
En dépit des nombreux efforts du gouvernement, ce n’est pas encore le cas du Plan National Très Haut débit qui doit mettre en place une gouvernance renouvelée et sans doute plus contraignante. Les usages numériques doivent également s’intégrer à part entière dans les programmes d’enseignement, bien au-delà d’une simple logique d’équipement qui n’est qu’un préalable.
De même si la culture entrepreneuriale a progressé en France, les étudiants demeurent encore trop souvent majoritairement attirés par les grands groupes et les PME peinent à recruter. C’est pourquoi nous proposons qu’un stage en PME de croissance soit obligatoire dans les cursus supérieurs économique et d’ingénieur.
==> Cap sur les PME
Pourtant, s’agissant du Logiciel et des services web ou encore de l’électronique, secteurs au coeur de la croissance des usages innovants, nous manquons cruellement de champions de taille mondiale. Seule une politique industrielle de long terme nous permettra de conserver les pépites numériques qui préfèrent se vendre aujourd’hui à l’étranger, faute de consolidateurs nationaux. L’émergence de champions nationaux passe par la création d’ETI de pointe comme l’Allemagne a su le faire, qui dispose aujourd’hui d’un tissu industriel d’ETI de réputation mondiale. La politique industrielle historique française n’a pas aidé, en restant concentrée sur les grands champions nationaux, au lieu de stimuler l’émulation par la concurrence. Il existe en France des PME très innovantes qui n’ont pas les moyens de leursambitions, notamment en matière de croissance externe.
Aujourd’hui, dans le contexte de désendettement des grands groupes, des cessions forcées de filiales de groupes du CAC 40 et parfois du SBF 120 pourraient également accoucher d’ETI susceptibles de constituer le tissu industriel de PME de pointe qui nous fait défaut. Cette dynamique ne pourrait se créer sans le soutien de l’État comme investisseur public dans le cadre d’une politique industrielle stratégique, ancrée dans les écosystèmes régionaux et appuyée sur une logique de guichet unique.
==> Cap sur l’innovation
En 2010, les entreprises de la communauté Oséo Excellence, qui regroupe 2 000 PME de croissance, ont enregistré une hausse moyenne de leur chiffre d’affaires de 7 %, à comparer avec la hausse de seulement 1,7 % pour les PME. Comme l’indique l’économiste Philipe Aghion : « Dans les économies avancées, où la croissance repose davantage sur les technologies, les études ont démontré que ce sont les start-up qui défrichent les domaines les plus en pointe, à la « frontière technologique » ». Mais on l’oublie souvent : l’innovation est toujours une prise de risque… qui suppose un financement adéquat.
C’est pourquoi nous souhaitons que la situation critique que traverse le capital investissement, en particulier le capital risque, soit prise à bras-le-corps. C’est pourquoi nous souhaitons aussi que les PME technologiques bénéficient d’une fiscalité plus adaptée, en améliorant ou en pérennisant les dispositifs d’aides publiques à l’innovation déjà existants (CIR, JEI) et en alignant la fiscalité de l’impôt sur les sociétés sur les autres pratiques européennes qui ont misé sur l’attractivité fiscale de leur territoire.
1. Financement de l’innovation : pallier LE tarissement des sources
L’économie n’a jamais eu autant besoin de financement, avec l’accélération de la mutation vers une « économie digitale » mais aussi une digitalisation du monde physique. Les start-up européennes continuent de souffrir d’un manque de financement. Surtout comparées à leurs homologues américaines qui, même en cette période de crise, lèvent régulièrement plusieurs dizaines de millions de dollars. Les grands groupes industriels rechignent encore à miser sur les sociétés Internet, et les introductions en bourse sont en berne. Résultat : les ventes à des groupes américains ou asiatiques se multiplient.
Capital risque : Sauver les FCPI !
En dépit du fait que les fonds d’entrepreneurs investisseurs se multiplient tels Isai (Pierre Kosciusko- Morizet notamment), Jaïna Capital (Marc Simoncini), ou Agregator Capital (fondateurs de Viadeo), le contexte est très tendu. Depuis la crise financière de 2008, les capitaux levés par les fonds de capital-risque dans l’Union européenne ont baissé de 70 % et les montants investis dans les PME par ces fonds de 50 %. Le capitalrisque va durablement peiner à lever des fonds en Europe et de nombreux investisseurs institutionnels disposent de fonds ayant une valeur aujourd’hui quasi nulle. En raison de la crise de la dette dans la zone euro, qui renchérit l’accès au crédit bancaire, les fonds de LBO sont en grande difficulté. Les entreprises sont incapables de rembourser les intérêts de la dette que les fonds avaient contractée pour les racheter. La crise boursière empêche de surcroît les fonds de céder leurs participations dans des conditions intéressantes. Il est donc à craindre une situation de rupture dans le financement des investissements technologiques en 2012 et 2013.
Afin de faciliter le développement des PME-PMI dites innovantes, les Fonds Communs de Placement dans l’Innovation (FCPI) ont été créés en 1997. Ce dispositif inédit au niveau européen a permis à la France de se doter d’un écosystème favorisant le développement de l’innovation. Selon l’AFIC-Oseo, sur la décennie 1997-2007, les FCPI ont ainsi accompagné plus de 800 entreprises innovantes en leur apportant plus de 2 milliards d’euros de financement complémentaires. Ces entreprises représentent plus de 33 000 emplois pour un chiffre d’affaires cumulé de 7 milliards d’euros ; 50 % sont exportatrices. Après une décennie de financement, les fonds encore actifs sont constitués d’équipes solides ayant démontré leur savoir-faire. La crise qui se traduit par une baisse tendancielle importante de la collecte, renforcée par le rabot fiscal, va faire disparaître un pan entier du financement des PME innovantes et des équipes d’investissement historiques aux compétences indispensables pour accompagner les entrepreneurs dans le financement des PME innovantes.
Il faudrait au contraire sanctuariser cette niche en donnant un coup de pouce à l’avantage fiscal afin :
1. De capter les particuliers autrefois souscripteurs de projet Scellier ou d’investissement ISF directement dans les PME (ISF PME, dont le plafond et le taux ont été rabotés au nom de la chasse aux niches, affiche un tassement de la collecte de 8 % cette année).
1. De conserver cet écosystème unique dans l’innovation et spécifique à la France qui a démontré son utilité pour nos entreprises adhérentes et l’ensemble de nos PME d’avenir créatrices d’emplois.
Mesure n°1 : Allonger le délai d’investissement des FCPI à trois ans et réduire la marge de liquidité à 20 % Porter le quota libre d’investissement dans les PME de 60 % à 80 % et, en contrepartie, allonger le délai d’investissement (aujourd’hui 18 mois) à trois ans avec des paliers, 50, 80 puis 100 %.
Mesure n°2 : Porter l’avantage fiscal de 19 % à 30 % pour les FCPI pour relancer la collecte des FCPI
2. Aides publiques et fiscalité : cohérence, stabilité et soutien aux PME innovantes
1. Renforcer l’effet de levier du CIR sur la croissance : Les études relatives au Crédit impôt recherche (CIR) (IGF 2010, MESR 2011, Sénat 2010) démontrent qu’il s’agit d’un instrument incitatif pour la R&D des entreprises, et notamment des PME. L’étude économique d’Emmanuel Duguet établit qu’un euro de CIR génèrerait 2,33 euros de recherche privée soit 3,33 euros de recherche totale et conclut à l’absence d’effet d’éviction. Le CIR est devenu davantage qu’un dispositif fiscal. Il produit un effet vertueux et profitable à long terme car il aide les sociétés à structurer leurs activités de R&D. Or nos dépenses de R&D limitées à 2,2 % du PIB n’ont pas atteint les objectifs de Lisbonne.
Sans CIR, la France serait, en termes de coût du chercheur, le pays le plus cher en Europe. Avec le CIR, elle est plus compétitive que l’Allemagne ou que la Grande-Bretagne, et à peine moins que Singapour. C’est la conclusion d’une étude de l’Association Nationale de la Recherche et de la Technologie (ANRT). Pour les entreprises technologiques, et notamment logiciels, le CIR est néanmoins sujet à de nombreuses controverses car il ne soutient pas suffisamment les démarches d’industrialisation. En outre, la France accuse un certain retard dans la réalisation des objectifs de la stratégie européenne EU 2020 fixant à 3 % du PIB les dépenses en R&D. En soutenant la R&D, et notamment la recherche fondamentale, le CIR ne favorise pas suffisamment l’innovation, alors que la valeur ajoutée y est la plus importante. De plus, les études économiques révèlent régulièrement que l’innovation réside dans les start-up et les PME, ce qui légitime un effort accru dans cette direction.
Dans la mesure où l’élargissement de l’assiette du CIR, en particulier en direction de l’innovation (Crédit d’Impôt Innovation), dépend largement de l’évolution du socle européen, l’AFDEL souhaite défendre à ce stade une amélioration du dispositif existant.
Mesure n°3 : CIR : Mieux prendre en compte les dépenses de propriété intellectuelle et de protection du droit d’auteur Le logiciel et les développements web sont faiblement éligibles au dépôt de brevet qui peut être pris en compte dans l’assiette du CIR. Il faudrait alors tenir compte des autres dépenses comme les dépenses liées au droit d’auteur, par exemple les frais de dépôt auprès de l’agence de protection des programmes (APP), ou les frais de conseil en matière de droit d’auteur. Il s’agit de mettre au même niveau le monde du logiciel, lorsque non protégé par le brevet, et le reste des secteurs protégés par le brevet.
Mesure n°4 : Anticiper les besoins de trésorerie initiaux Pour les PME, l’impact du CIR sur la trésorerie peut s’avérer crucial. À l’image du Québec, il faut mettre en place un instrument de prêt à taux 0 pour le remboursement du CIR afin d’éviter un trou de trésorerie de 18 mois (le CIR étant déclaré au bout de 18 mois après le premier euro dépensé en R&D). Oséo pourrait remplir cette mission, c’est ce qu’on appellerait une « mobilisation de créance du CIR gratuite ». Ou bientrouver un mode de remboursement du CIR trimestriel ou imputable sur les versements
2. Dynamiser la création de startup technologiques par une fiscalité de l’IS adaptée
Les centres économiques européens (Paris, Londres, Amsterdam) rivalisent pour développer l’attractivité de leurs territoires vis-à-vis des leviers de croissance que constituent les entreprises technologiques. Des pays comme le Royaume-Uni ont ainsi fait le choix de réduire l’IS de toutes leurs entreprises, afin d’encourager l’attractivité leur territoire. Même en période de crise économique, il est possible de faire des choix audacieux pour financer de telles mesures, surtout si elles sont concentrées sur les leviers de croissance et si elles sont compensées par des taxes sans impact sur la croissance (taxation des encours des banques, répression de la fraude, rapatriement des contribuables expatriés…).
Mesure n°5 : Un impôt sur les sociétés (IS) réduit à 20 % pour les start-up technologiques
3. JEI : stabilité et… pérennité
Le statut de la Jeune Entreprise Innovante (JEI) a connu plusieurs réformes depuis 2004 limitant l’apport initial du dispositif. Il avait pour objectif de soutenir les entreprises les plus innovantes dans leurs premières années par des exonérations fiscales et sociales. Aujourd’hui, ce dispositif concerne près de 2 000 entreprises françaises, véritables pépites technologiques dans nos territoires, et devrait être plus adapté. Le statut Jeune Entreprise Innovante doit faire l’objet d’un engagement fort en matière de stabilité réglementaire et fiscal. Les deux réformes de 2010 et 2011 ont démontré que les entreprises avaient besoin de stabilité ; c’est un gage de confiance qui doit devenir un principe général.
Mesure n°6 : JEI, anticiper la fin du dispositif en 2014 par une clause de rendez-vous Le statut JEI s’arrêtera le 31 décembre 2013 : les candidats à la présidentielle doivent anticiper cette échéance pour les start-up ! Les entrepreneurs qui envisagent de créer leur société dans les 2 ans doivent pouvoir avoir de la visibilité sur l’existence de ce statut pour réaliser leur business plan. Une clause de Rendezvous est nécessaire qui devrait envisager la pérennité de ce statut qui a démontré toute son efficience. Proposer aux entreprises de choisir la date de mise en oeuvre du statut JEI dans les 2 premières années de la création de la société.
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