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De l’imaginaire dans l’air

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Et si les entreprises embauchaient des littéraires,des sociologues, des historiens, philosophes et même des artistes pour créer de nouveaux produits, innovants et rentables ? Et pourquoi pas? Car selon Eric Seulliet, co-fondateur et Vice-président de SmartSystem, le futur a la migraine, étouffé entre divinité R&D et culte aveugle du Saint Benchmarking. Alors pour redonner de l’avenir au futur, donnons-lui de l’air et laissons entrer l’imaginaire au coeur des entreprises ! Plaidoirie.

 

À quoi reconnaît-on une « vraie innovation »?

À ce qu’elle va provoquer une rupture, un changement radical. En cela, elle est différente de la « fausse innovation ».

Cette dernière n’apporte que quelques améliorations succinctes. Dans la définition d’un produit innovant émerge l’idée d’une réelle valeur ajoutée, d’un produit qui fasse sens pour le consommateur.

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Et le « nouveau » ne s’exprimera pas nécessairement sous la forme d’une technologie supplémentaire,mais plus dans l’emploi pionnier d’une technologie face à l’émergence d’un besoin sociétal, individuel. En cela, il est la révélation d’une tendance de fond… et non de mode. C’est le deuxième signe distinctif d’une vraie innovation. Elle n’est pas là pour booster momentanément les ventes via l’utilisation d’un gadget, comme toutes les poudres de perlimpinpin utilisées dans les lessives. Une vraie innovation va, à terme, bouleverser les rapports sociaux et les comportements individuels. En témoignent les mouvances de fond provoquées par le web, les téléphones mobiles…

En route vers la zone obscure…

L’approche par l’imaginaire intervient ici et permet,pour surmonter ce désir fluctuant et instable du consommateur, de « remonter » de l’innovation du produit à l’innovation du procédé, qui prend le processus même d’innovation comme objet d’analyse. Pour vendre du rêve, il faut savoir gérer l’imaginaire de ses clients.
Travail totalement en amont… Et paradoxalement rationnel.Cette démarche cherche à repérer les schèmes de structuration de représentation présents dans les processus d’innovation. Comme s’il fallait pénétrer la zone obscure, «l’inconscient collectif » de l’innovation, cachée dans les rêves des ingénieurs et techniciens, pétris de science-fiction,d’utopies technologiques.
L’approche que nous proposons de l’innovation n’est ni romantique – le génie solitaire dans son garage – ni rationnelle. Nommons-la plutôt une vision holistique. Elle va dans le prolongement de l’idée « d’innovention », néologisme proposé par Lucien Sfez (1). Il contracte invention et innovation, et relie ainsi la science fondatrice et la technique servante.

Je rêve donc je crée !

Toute innovation est accompagnée de représentations, de discours, d’images ou de fantasmes nécessaires à son émergence et à son intégration socio-économique surtout dans une société post-fordiste pilotée par le désir et le rêve du consommateur.Dans cette logique, Descartes n’était pas forcément cartésien. Ses intuitions géniales s’expliquent dans sa biographie et sont l’incarnation de ses rêves,de ses émotions. L’innovation se nourrit de cette fameuse dualité,cerveau droit et cerveau gauche.Sans vouloir basculer dans le tout imaginaire, il s’agit de retrouver cette compatibilité entre les approches et de cesser de les opposer.L’imaginaire n’est plus l’envers du réel, il en est la face encore voilée, son avenir. Il est ce lieu de connexions, ce laboratoire d’idées où se construisent toutes les représentations humaines. Lieu de production du réel à venir et donc fabrique du futur…

Puiser dans l’ADN de l’entreprise

Au pays de Descartes, le rapport avec l’imaginaire reste imprégné d’ambiguïtés. Toute idée déviante, non rationnelle est soumise à suspicion. La culture d’ingénieurs pose à l’évidence une barrière à la créativité de l’imaginaire dans l’entreprise. Outre les routines et les habitudes, frein principal à l’imagination, le rapport à la créativité est très souvent court-circuité par la technique. Et si l’on ajoute le cortège de profils assez uniformes, monolithiques, de systèmes corporatistes… tous les ingrédients sont là pour créer un imaginaire construit, paralysant, producteur de répétitions et non pas un « imaginaire moteur », capable de transformer le rêve en réalité.
C’est en puisant au coeur de l’entreprise, dans ce qu’elle a de singulier, d’identitaire, qu’on retrouve les sources de son imaginaire.Toute entreprise est le fruit d’un projet individuel ou collectif. Semblable à un être vivant, elle possède quelque part un ADN avec des gènes, un mythe fondateur relégué aux oubliettes. Fondements de son histoire, ils sont aussi les ferments de son avenir. Cette approche interne et holistique de l’entreprise est une première étape.

La prime à l’envie

Réintégrer l’imaginaire dans l’entreprise passe par la multiplication des regards et donc la diversification des profils, plus polyvalents, moins standards, plus créatifs. Embaucher des littéraires, des sociologues, des historiens, des philosophes, etc., permet de créer un métissage propice à l’émergence de nouveaux produits. L’impulsion peut être le fait du dirigeant, d’un consultant ou même d’une cellule interne dédiée à la prospective.
Dans tous les cas, c’est l’état d’esprit qui prime et qui doit peu à peu irriguer tous les services de l’entreprise. La finalité est de créer des passerelles transversales et de sortir de cette organisation en silo, R&D, marketing, design…
Le réagencement interne de l’entreprise est aussi une autre façon de réamorcer cette démarche portée par l’imaginaire. Faire bouger ses meubles, mettre en place des espaces modulés en fonction des envies des salariés, avec des lieux rivilégiant les rencontres, stimulant l’imaginaire est une autre solution.
De même, faire entrer l’art dans l’entreprise permet d’élargir son mode de pensée, de casser ses schémas reproducteurs des mêmes scénarios. Il ne s’agit pas de se servir de l’art comme d’un alibi, mais comme d’un véritable outil, suggestion d’un nouveau regard.

Entre coopétition et co-innovention

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Il existe d’abord une nécessité d’établir des résonances entre champs, de créer des relations et de provoquer des rencontres entre domaines, artistique, culturel et sociétal. Cela ne fait que souligner la nécessité de travailler en réseau avec l’ensemble de ses partenaires, fournisseurs, clients, actionnaires et même concurrents. Ce que l’on nomme aujourd’hui « co-opétition » : contraction de compétition et coopération. Et dans ce sens, parlons de « co-innovention », pour souligner la multiplicité des acteurs et de leur profil.
Aujourd’hui,l’innovation est devenue un phénomène collectif et complexe associant l’ensemble des acteurs dans et autour de l’entreprise. Elle est le fruit de réseaux d’acteurs interagissant et structurés autour de grands pôles puissants, des pôles d’excellence et de compétitivité, reliant des activités considérées hétéroclites : économique, scientifique, culturelle.
La deuxième étape consiste à replacer l’entreprise dans son contexte et à retrouver toutes les tendances sociétale,économique,mondiale qui l’influencent quotidiennement et la façonnent.

Sortir des sentiers battus du benchmarking

L’innovation va naître de ce croisement des analyses interne et externe, de cette confrontation entre son identité singulière et son imprégnation des mouvances actuelles.Avec une telle approche, les deux constructeurs automobiles, que sont Renault et Peugeot, ne peuvent décemment concevoir les mêmes produits.
L’innovation n’est plus ici une sorte de copie de la réussite du concurrent, mais l’émergence de produits nés de sa propre singularité. Sortons des sentiers battus du benchmarking, très longtemps privilégié en tant que source d’innovation.
Car l’idée de co-innovation se ramifie jusqu’à intégrer les clients de l’entreprise. L’innovation devient le fruit d’une coopération avec ses clients, avec leur imaginaire, leur quotidien. D’où l’idée de grandes entreprises, de mettre en place des laboratoires d’usages.
Dans ces derniers,l’idée est avant tout d’observer comment le client utilise tel appareil ménager, tel produit, pour ensuite en déduire des nouveaux besoins. Une simple mais féconde observation du réel…

Le beau, c’est bien… : nouvelle morale de l’entreprise

Aujourd’hui,l’innovation n’est plus seulement technologique. Elle intégre les enjeux sociétaux, comme les soucis de santé,problèmes alimentaire, climatique, spirituel… Tous ces désirs collectifs, ce nouvel hédonisme en train de naître, qui englobe soin du corps, développement de la mode, de la diététique, de l’écologie sont à la source d’une toute une nouvelle éthique fondée sur l’esthétisme. Dans cette lignée, le développement durable n’est pas un phénomène de mode, c’est véritablement une tendance de fond. Il est une nécessité économique, biologique, sociétale.

La prospective… ou le retour du recul

Demain ne sera pas, non plus à l’image d’hier. Fini le temps des Trente Glorieuses avec des plans de croissance compris entre 5 et 10 % par an! Aujourd’hui,il s’agit de voir loin et large comme le synthétise Gaston Berger, le père de la prospective en France. Pour être capable de savoir ce qui va advenir, l’entreprise doit cesser ce repli sur elle ou sur son domaine et s’ouvrir sur l’extérieur.
Regarder ce qui se passe dans son domaine est le premier pas… naturel. Regarder ailleurs est le second pas… moins naturel. Mais c’est l’exigence de la prospective. C’est la solution pour s’abstraire des contingences internes,pour naviguer sur un monde en perpétuel mouvement, soumis à de multiples interactions d’origine mondiale.
La prospective propose un état d’esprit, une posture. Ce n’est pas une méthodologie, mais une démarche qui exige de plus une bonne dose de volontarisme, car elle demande de déceler de nouveaux champs possibles et de s’organiser pour les atteindre. Le futur ne vous tombe pas dessus d’une façon inéluctable. On n’est ni dans l’utopie, ni dans la science-fiction, ni dans des voeux pieux, mais dans le concret, le très concret.

Entretien avec ERic Seulliet par Karine Jamen-Salmon pour Com Ent

(1) Lucien Sfez est professeur en Science Politique et directeur du DEA Communication, Technologies et Pouvoir (Université Paris 1). Il est l’auteur de nombreux livres dont : La Politique Symbolique (1993, PUF) ; Critique de la Communication (1988, Seuil) ; Technique et Idéologie. Un enjeu de pouvoir (2002, Seuil).

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