L »université de Cergy-Pontoise a inauguré en février dernier Fac Lab, le premier fab lab en France porté par une université. Il sera ouvert au public. Pour ses porteurs, ce type de lieu est une réponse à la crise que nous traversons. Et pas qu’économique.
« C’est un beau roman, c’est une belle histoire… » Les fab labs, ces mini-usines collaboratives de prototypage rapide à commande numérique, fournissent souvent un storytelling à clouer le bec aux Cassandre des temps modernes, à base de réappropriation de la technique et de partage des connaissances.
Le cas du Fab Lab de l’université de Cergy-Pontoise en donne une nouvelle illustration. Fac Lab est le premier ouvert en France dans une université, son berceau d’origine, puisque le concept a été élaborée au MIT par le professeur Neil Gershenfeld au début des années 2000. Cet atelier sera ouvert au public conformément à la charte, dans des locaux à Gennevilliers (92). Il constitue la première brique d’un campus centré sur l’innovation numérique et les nouveaux médias.
Les Fab Labs ou le néo-artisanat
Fabriquer soi-même ce dont on a besoin, réparer, au lieu de consommer des objets que l’on jette au moindre …
L’idée a germé voilà un an et demi dans la tête d’un duo atypique dans le milieu universitaire, Emmanuelle Roux et Laurent Ricard. Tous deux ne sont pas des chercheurs mais sont issus du monde de l’entreprise : elle, voix forte et convaincue, la trentaine, gérant une petite web agency en Vendée ; lui, la voix douce et convaincue, la cinquantaine, ancien de la R & D de Kodak, où son équipe travailla à la fin des années 90 sur un appareil photo intégré à un téléphone, en vain ; il a monté sa boîte de conseil en numérique après avoir quitté Thomson. Et ils donnent des cours à Cergy dans le cadre d’une licence développement web et web mobile. Le duo présentant l’efficacité certaine en mode « j’fais c’que j’dis, j’dis c’que j’fais ». La comparaison s’arrête là.
Genèse accélérée
On les avait croisés une première fois en mai dernier au THSF, le festival du hackerspace toulousain le Tetalab, entre deux imprimantes 3D. Le projet était déjà en route. Huit mois plus tard, c’est le temps des petits fours. Si Fac Lab est allé aussi vite, c’est que le concept de Fab Lab tombe à point nommé en cette période de crise économique. Emmanuelle Roux se souvient de la genèse :
« J’avais d’abord un projet de Fab Lab en Vendée. En en discutant sur un salon de l’innovation avec un élu local, il m’a répondu : « il faut le faire maintenant car quand on voudra sortir de la crise, on aura besoin de lieux comme ça ».
Finalement, avant la Vendée, ce sera l’université de Cergy. Le concept fait tilt auprès de leurs différents interlocuteurs. Côté université déjà, que ce soit le directeur de l’UFR des Sciences et Techniques Jean-Luc Bourdon, pour qui le Fab Lab est une solution à une problématique quotidienne :
« Il y a plein d’enseignants de tous poils qui sont dans des silos, des gens qui font de l’innovation, des gens de passage, des étudiants, il faut un lieu intermédiaire qui fait la glu », analyse Laurent. « Innovation, développement de nouvelles approches pédagogiques, transfert de technologie avec les industriels, vulgarisation scientifique à destination des élèves depuis la primaire jusqu’au lycée », égrène Jean-Luc Bourdon, autant de publics et d’arguments qui l’ont poussé à soutenir le projet.
« J’ai été séduit tout de suite, c’est assez génial, s’enthousiasme François Germinet, le vice-président stratégie de l’université. On peut fabriquer des objets avec des techniques qui ne sont pas compliquées, comme l’imprimante 3D, avec de nombreuses applications dans les domaines où nous travaillons : la santé, les polymères, le patrimoine… » C’est ainsi que deux chercheuses du Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France travaillant sur des projets liés à l’obsolescence technologique et ses conséquences sur la conservation ont l’intention d’expérimenter la construction d’un prototype de numériseur de films de type multispectral et une machine de lecture universelle de vidéo, en partenariat avec l’Université de Gorizia en Italie.
Côté cursus, la licence pro web comportera un parcours objet connecté, puis petit à petit, des modules seront essaimés dans les filières existantes. À terme, à la rentrée 2013, les master 1 et 2 « fabrication numérique » verront le jour.
Jeunes créateurs d’entreprise
Côté entreprises, on ouvre aussi une oreille attentive. Car le Fab Lab a cet avantage de ne pas être incompatible avec des activités commerciales, même si la charte précise qu' »elles ne doivent pas faire obstacle à l’accès ouvert. Elles doivent se développer au-delà du lab plutôt qu’en son sein et bénéficier à leur tour aux inventeurs, aux labs et aux réseaux qui ont contribué à leur succès. » Jean-François Benon, le directeur général du CEEVO, le Comité d’expansion économique du Val d’Oise, a vite vu l’intérêt pour les jeunes créateurs d’entreprise de pouvoir faire du prototypage rapide.
Partenaire de la fondation de l’université, Orange est aussi dans le tour de table. Loin des envies de mettre à bas l’industrie d’un Adrian Bowyer, le créateur de la RepRap, une imprimante 3D autoréplicante open source, Orange y voit un intérêt en terme de R & D :
L’expérimentation que nous avons menée à Grenoble nous incite à penser qu’avoir accès à un Fab Lab externe pérenne pourrait être utile à plusieurs de nos équipes de R&D.
Séduit sur tous les bords
Au final, droite, gauche, université, entreprise, le concept séduit, par-delà les étiquettes politiques. Emmanuelle :
« Il faut une vraie alternative, il ne s’agit pas de dire ‘on fout tout le système économique à terre’. Il n’y a que les gens de droite qui ont le droit de parler d’économie, création de valeurs et il n’y a que les gens de gauche qui soient sociaux. »
Le fab lab se présente comme une solution séduisante pour ébaucher le futur d’une société post-technicienne débarrassée de ses excès, qui permet de créer de la richesse et pas uniquement au sens monétaire du terme.
« C’est une position personnelle, je pense qu’il faut sortir de l’aire de la consommation, je suis adhérente de SEL aussi. La ressource existe déjà près de soi, ton voisin l’a peut-être. Cela permet aux gens de produire eux-mêmes, par contrainte ou par idéologie.
Mais ce n’est pas que des machines-outils, c’est le lieu, la rencontre, on n’a pas un seul lieu collaboratif en Vendée de rencontre, d’échange, à part le café du PMU. Les petits entrepreneurs comme moi n’ont pas d’accès à l’innovation, c’est très compliqué, il y a beau avoir OSEO, il faut pouvoir porter 40 -50% du capital dont tu as besoin, faire des dossiers. »
Et parmi les raisons pour lesquelles Jean-Luc Bourdon a soutenu le projet, il y a « le côté ‘tout-public’ et le côté ‘social’ : donner la possibilité à des ados et des adultes sortis du système scolaire de pouvoir se rapproprier des savoirs et des savoirs-faire et aussi de partager leurs expériences. »
Vingt commandements pour une société autofabriquée
Pour accompagner la révolution des Fab Labs, permettant à chacun de produire des objets grâce à des imprimantes 3D et …
Un aspect qui a séduit aussi Jean-François Benon. Le Val d’Oise est en effet un département très jeune, avec quelques quartiers difficiles et leur lot de jeunes déscolarisés. Déscolarisés, bloqués par les circuits traditionnels coûteux et élitistes mais pas dénués de talent : « Ils ont une grande créativité, dans le domaine de la musique, du numérique, de la mode, du design, explique-t-il, et pour leur permettre d’avoir accès à des outils et à de l’aide, tous les jours, c’est un moyen de faire ressortir leur créativité, de reprendre confiance, de rebondir, avec des projets personnels et pourquoi pas professionnels. » On comprend que Val de France, la communauté de communes qui comprend entre autres Sarcelle et Villiers-le-Bel, ait ouvert un œil très attentif. « On est persuadé que dans les années qui viennent, il y en aura beaucoup plus », conclut Jean-François Benon. D’ores et déjà, la faculté s’est engagée à en ouvrir un en 2013 dans le Val d’Oise.
Par-delà le territoire, un des objectifs à terme est de développer un réseau francophone de fac labs, en partenariat avec l’Agence Universitaire de la francophonie (AUF), dans le courant de l’année 2012. Et donc une opportunité de plus pour la faculté de « rayonner à l’international », poursuit Jean-Luc Bourdon.
Le loup dans la bergerie
Dans le petit milieu des lieux de fabrication numérique collaboratifs et ouverts, Fab Lab, makerspace, hackerspace, le débat est vif et sans fin sur le financement. Faut-il des subventions ? Du public ? Du privé ? Laurent se souvient d’un débat sur le sujet à Toulouse lors d’une conférence sur les Fab Labs :
« Les subventions s’assèchent : quels sont les différents modèles économiques qu’on peut mettre en place ? Il y avait une gêne, certains étaient recroquevillés face à la réalité : il faut aller trouver de l’argent.
Certains, comme à Cergy, obtiennent des fonds d’entreprises étiquetées « gros capitalistes ». En la matière, Orange a un petit passif peu glorieux : notre telco national a déjà lancé l’année dernière Thinging, un fab lab expérimental, enfin du moins un projet étiqueté fab lab ne respectant pas l’esprit initial puisqu’il ciblait un public restreint, « des étudiants du monde entier affinant leur cursus en informatique, électronique, design d’interaction et ergonomie pour monter des projets autour de l’Internet des objets ». Bref pas des « gamins paumés scolairement ».
Ce qu’ils reconnaissent : « Effectivement, il ne répond pas exactement à la charte des Fablabs du MIT, mais s’en inspire. Il existe de par le monde plusieurs initiatives dans la tendance des Fablabs. Orange essaie à travers Thinging! de s’en inspirer et pose, avec modestie et passion (sic), la question de l’usage de ces méthodologies dans l’univers de la recherche industrielle. » S’associer à un Fab Lab permet de soigner son image d’entreprise « cool » et à la pointe :
« Nous choisissons aujourd’hui de soutenir cette initiative permettant aux étudiants une approche de l’innovation dans un environnement pluridisciplinaire, en raisonnance (sic bis) avec l’approche d’ « open innovation » d’Orange.
Emmanuelle défend ce choix d’un partenaire sujet à caution éthique : « Je suis de culture pragmatique. Quand on décide de monter un projet avec l’université à la vitesse à laquelle on l’a monté, il faut des fonds. Si Orange veut apporter des fonds à la condition d’avoir leur logo sur les plaquettes de communication et encore sur le carton d’invitation, ils nous ont demandé de ne pas le mettre, je ne vois pas le problème. Si on peut amener l’esprit collaboratif, l’innovation ouverte dans Orange et aider la société à évoluer car on va apporter une nouvelle façon de travailler, impacter l’entreprise et la société de manière plus générale, je dis oui. Un accord stipule que personne n’a le droit de regard sur le contenu pédagogique. »
La suite de l’article : http://owni.fr/2012/02/23/fab-lab-la-pharmacopee-anti-crise/
Sabine Blanc pour owni.fr / 2012.
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