Une équipe internationale de chercheurs, utilisant la station optique au sol de l’ESA dans les îles Canaries, a établi un nouveau record mondial de distance de «téléportation quantique» en séparant sur 143 kms de distance un photon. Financés par l’ESA, des chercheurs autrichiens, canadiens, allemands et norvégiens ont transféré les propriétés physiques d’une particule de lumière – un photon – vers son « double » via la téléportation quantique, sur une distance de 143 km entre le télescope Jacobus Kapteyn de La Palma et la station au sol de l’ESA à Tenerife.
Il ne s’agit pas de faire disparaître de la matière à un endroit pour la faire apparaître à un autre. Pourtant, ce phénomène, qui parait tout droit sorti de la science fiction, est bien réel. Dans la téléportation quantique, ce qui est téléporté, c’est un état, une structure, entre deux particules qui peuvent être séparées par une grande distance. Des succès en laboratoire avaient été obtenus sur des particules distantes de quelques kilomètres. Une équipe chinoise avait atteint les 100 km. L’expérience de l’ESA est donc un nouveau bon en avant.
Les deux particules en question sont certes séparées physiquement mais elle ne sont pas indépendantes. Pour observer le phénomène de téléportation, les deux particules doivent être liées, couplées. Les physiciens parlent d’intrication. Deux particules intriquées ne forment pas un système composé de deux particules superposées mais un système unique, c’est à dire dans lequel chaque particule perd son individualité. Les apports théoriques de la mécanique quantique avaient permis de comprendre que cette intrication entre les particules demeure même si celles-ci sont séparées physiquement. Leurs destins sont liés de telle sorte que le fait de perturber l’une des deux particules a un effet direct sur l’état de l’autre particule.
Dans leur expérience, les chercheurs de l’ESA ont utilisé des photons. Ils les ont intriqués puis les ont séparés de 143 km. La difficulté de l’exercice consiste à maintenir l’intrication des particules lors de ce processus. Une fois séparées, une perturbation appliquée à une des particules produit un changement d’état sur la seconde. Enfin, en apparence. Car en fait, les chercheurs perturbe non pas une particule mais une partie du système (formé des deux particules intriquées), le système réagissant par une modification de l’état de l’autre particule. En faisant une mesure sur cette dernière, les chercheurs peuvent vérifier qu’il y a bien eu téléportation de l’état.
Au-delà de surprendre ou fasciner, la téléportation quantique est amenée à jouer un rôle central dans les communication cryptées du futur. Le problème du cryptage concerne la sécurité de la transmission entre l’émetteur et le récepteur, la clef de décryptage pouvant être interceptée. La téléportation quantique, par ses propriétés intrinsèques basées sur les lois de la mécanique quantique, rend cette interception impossible et la transmission sûre à 100%. Par la méthode qu’ils ont utilisé et les résultats qu’ils ont obtenus, les chercheurs de l’ESA ont démontré la possibilité de réaliser dans la pratique ces communications quantiques. La prochaine étape pour eux : établir une téléportation quantique entre la Terre et un satellite en orbite.
Albert Einstein appelait cela l’intrication quantique, une sorte « d’action fantôme » à distance. Et ce phénomène physique est au cœur de la nouvelle génération à venir d’ordinateurs quantiques ultra-puissants « bits quantiques » de l’information, ainsi que des systèmes de communication immunitaire à interception.
«Cette réalisation ouvre de nouvelles perspectives pour les communications quantiques de longue distance», a expliqué Eric Wille, qui supervise le projet pour l’ESA.
« La première téléportation quantique a eu lieu dans des conditions de laboratoire. Le défi ici était de maintenir l’intrication entre deux photons séparés par 143 km, en dépit des conditions atmosphériques, de telle sorte qu’il pourrait être utilisé pour la téléportation quantique. «
Il s’agissait d’un faible rapport signal-sur-bruit afin que l’expérience puisse être très soigneusement conçue. Des détecteurs de photons ultra bas de bruit ont été installés et un processus distinct de l’intrication quantique a été utilisé pour garder les horloges synchronisées dans les trois milliardièmes de seconde les uns des autres.
Création de photons intriqués
L’expérience à démontré que les photons ont été correctement détectés : le meilleur résultat des signaux GPS aurait dû être de 10 milliardièmes de seconde ! En 2011, l’équipe avait échoué en raison de conditions météorologiques exceptionnellement mauvaises. Les deux stations de télescopes situées à 2400 m au dessus du niveau de la mer avaient dû faire face à des conditions difficiles : pluie, brouillard, vents forts ou même de la neige et des tempêtes de sable.
L’expérience a finalement eu lieu en mai, établissant un nouveau record pour la distance de téléportation.
«La prochaine étape sera d’atteindre la téléportation quantique sur un satellite en orbite pour démontrer la communication quantique à l’échelle mondiale», a commenté le Dr Rupert Ursin de l’Académie autrichienne des sciences.
La campagne de mesures inter-îles a été commandée par l’ESA au sein de son Programme d’études générales dans le but de démontrer la faisabilité sur longue distance de la téléportation quantique pour les futures missions spatiales. C’est aussi une très belle expertise pour les scientifiques des états membres de l’ESA.
Crédit photos © Agence Spatiale Européenne.
(Source : http://www.esa.int – Sept 2012)
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