Le transfert horizontal des gènes, un outil pour reconstituer l’« arbre » des espèces
Il n’y a pas que la transmission génétique de parent à enfant. Le transfert « horizontal » de gènes entre deux individus est loin d’être négligeable chez les organismes unicellulaires, et notamment les bactéries et les archées. Grâce à ce phénomène, une équipe de chercheurs du laboratoire de Biométrie et biologie évolutive de Lyon (CNRS/Université Claude Bernard Lyon1/INRIA/Hospices civils de Lyon) a mis au point un modèle informatique permettant de reconstituer l’arbre « généalogique » d’un groupe d’espèces. A terme, c’est tout l’arbre du vivant qui pourrait être ainsi reconstitué.
Comment retracer l’histoire du vivant lorsque l’on sait que les 3/4e de cette histoire démarrée il y a quatre milliards d’années se sont déroulés sous forme microbienne et n’ont laissé pour ainsi dire aucune trace ?
Avec l’essor de la biologie moléculaire, la phylogénie – la science qui s’efforce de reconstruire les liens de parenté entre les espèces en vue de comprendre l’évolution – avait trouvé un nouveau moyen de procéder : en reconstituant les « arbres » de transmission des gènes, on devait pouvoir établir les liens de parenté entre les espèces qui les possèdent. C’était compter sans un sacré trouble-fête : le transfert horizontal de gènes. On sait aujourd’hui que ce phénomène, connu depuis les années quarante et longtemps sous-estimé, est une façon courante pour les unicellulaires, les bactéries et certains eucaryotes d’enrichir leur patrimoine génétique, en plus de la transmission classique de « parent » à « enfant ». Inconvénient : il brouille les pistes de la phylogénie, puisque les arbres décrivant la transmission des gènes ne sont plus le miroir de la seule transmission verticale.
Le laboratoire de Biométrie et biologie évolutive de Lyon, lui, a choisi d’y voir une opportunité : « c’est un marqueur historique fantastique, s’enthousiasme Vincent Daubin, chargé de recherche au CNRS. S’il y a transfert horizontal entre deux espèces, cela signifie qu’elles ont été contemporaines. »
Restait à construire le modèle informatique permettant de calculer de façon probabiliste l’ensemble des transferts horizontaux au sein d’un groupe donné d’espèces. Pour l’étalonner, les chercheurs l’ont appliqué aux cyanobactéries, un des plus anciens groupes de bactéries, via trente six espèces les représentant. La raison de ce choix ? Ces bactéries produisent des concrétions organiques, aussi appelées stromatolites, qui laissent des traces fossiles. « Ainsi, nous avons pu comparer les résultats obtenus à ces archives fossiles et valider la chronologie établie par notre modèle », indique Vincent Daubin.
Les gènes sont portés par des espèces et suivent donc leur histoire… En partie seulement : chez les organismes unicellulaires, les transferts horizontaux entre individus viennent brouiller les cartes © Vincent Daubin et Sophie Abby
Références : « Phylogenetic modeling of lateral gene transfer reconstructs the pattern and relative timing of speciations », par Gergely J. Szöllosi, Bastien Boussau, Sophie S. Abby, Eric Tannier et Vincent Daubin, dans PNAS du 4 octobre 2012
Contact chercheur : Vincent Daubin, Laboratoire de Biométrie et biologie évolutive de Lyon, vincent.daubin@univ-lyon1.fr
(Source : CNRS – 18 oct 2012)