La décision que vient de prendre la Commission américaine des télécommunications (FCC) est de nature historique. Après un marathon juridique et politique interminable, Internet est désormais considéré comme un bien qui appartient à tous et dont tous pourront en jouir sans entrave. Une décision qui entraine de fortes conséquences malheureusement encore limitées au territoire américain : en effet, Internet y est considéré comme un espace de neutralité au sein duquel ne seront plus tolérées les mesures visant à restreindre ou limiter l’accès.
La Federal Communications Commission (FCC), le régulateur des communications américain peut désormais interdire aux fournisseurs d’accès à Internet de bloquer arbitrairement des contenus légaux, de ralentir ou d’accélérer les flux de données sans justification ou de prioriser certains contenus transitant par leur réseau moyennant paiement.
Les opérateurs Internet ont bataillé farouchement pour empêcher cette décision qui forge la neutralité d’Internet. Ce principe de neutralité implique que les fournisseurs d’accès à Internet comme Orange, SFR, AT&T ou Verizon ont obligation d’acheminer dans les mêmes conditions les données de leurs clients. Un géant comme Google, comme la plus petite association, ont ainsi les mêmes droits dans l’acheminement de leurs données sur le réseau. Interdites donc toutes les tentatives de favoriser ceux qui pourront se payer un acheminement de luxe et les autres.
Interdit un Internet à deux vitesses risquant d’entraver l’innovation en empêchant par exemple une startup de lancer de nouveaux services concurrents des grands acteurs établis.
Du côté des consommateurs, cette décision élimine les pratiques consistant à ralentir la connexion à un site s’il ne satisfait pas aux critères économiques de l’opérateur. Les américains en avaient déjà eu l’expérience avec les abonnés de l’opérateur Comcast qui ont vu leur débit de connexion à Netflix chuter parce que le carnet de chèque n’avait pas été suffisamment ouvert par le producteur de services.
On imagine que la puissance de feu des lobbys d’Internet a dû atteindre des sommets pour empêcher cette neutralité. En vain ; l’administration Obama ayant fait preuve ici d’une remarquable ténacité, aidé par une mobilisation sans précédent des internautes qui ont adressé quatre millions d’emails à la FCC pour les encourager dans leur effort de faire adopter ces règles.
Cette décision, pour l’instant américaine, aura vraisemblablement un fort impact dans le reste du monde. Le parlement européen a adopté un texte en avril dernier qui défend la neutralité du Net. Ce texte est actuellement étudié par les Etats-membres ; leur décision ira-t-elle dans le sens du modèle initié par les américains ? Il est permis de penser que cela ne se fera pas sans mal. En effet, un document de négociation a été publié le 20 janvier dernier préconisant d’autoriser les fournisseurs d’accès ou de services à passer des accords commerciaux avec les fournisseurs de contenus ou les utilisateurs d’Internet pour « garantir une qualité de service minimale », remettant ainsi en cause le principe de non-discrimination, qui était inscrit dans le texte voté par le Parlement en avril 2014. La bataille fait donc rage contre les lobbys d’internet qui font feu de tout bois pour ralentir le mouvement en faveur des droits et intérêts des citoyens européens pour la neutralité du Net.
Alors qu’aux États-Unis la neutralité du Net est aujourd’hui actée, les membres du Parlement européen doivent, à l’instar de la détermination politique dont a fait preuve Barack Obama dans ce dossier, jouer vraiment leur rôle dans ce débat international, et faire en sorte que l’Europe montre la voie législative qui permettra de protéger l’Internet libre.
Crédit Photo : ©Pablo-Martinez-Monsivais AP
Ugo Yaché, Journaliste UP’ Magazine