La scène aurait pu prêter à rire si elle n’était pas tragique. À New York, Donald Trump invective la communauté internationale et se moque des énergies vertes, qualifiant le climat d’ « arnaque » inventée pour brider les nations. À Pékin, Xi Jinping promet des gigawatts de solaire et d’éolien, mais dans le même souffle maintient son pays sous la dépendance écrasante du charbon. L’un insulte la science, l’autre joue double jeu. Et au milieu, le reste du monde, pris en otage d’un duel stérile où l’avenir de la planète se réduit à une lutte d’influence.
Le 23 septembre 2025, la scène internationale a offert un saisissant contraste. À Pékin, Xi Jinping annonçait de nouveaux objectifs climatiques pour la Chine : réduction de 7 à 10 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2035 par rapport à leur pic, et montée en puissance des capacités solaires et éoliennes jusqu’à 3 600 GW. À New York, Donald Trump, de retour à l’Assemblée générale de l’ONU, tonnait que « le changement climatique est la plus grande escroquerie jamais perpétrée contre le monde », réduisant les énergies renouvelables à des solutions « pathétiques » et ruinant l’idée même d’une coopération internationale pour le climat. Ces deux prises de parole résument l’état du rapport de force mondial sur le climat : une Amérique redevenue ouvertement climatosceptique, et une Chine qui, tout en investissant massivement dans les technologies propres, refuse de trancher son lien vital avec le charbon.
Le paradoxe chinois : champion des renouvelables, prisonnier du charbon
Sur le plan technologique, la Chine domine aujourd’hui sans rival. D’après l’Agence internationale de l’énergie, elle représentera à elle seule près de la moitié des nouvelles capacités renouvelables installées dans le monde d’ici 2030, soit environ 3 200 GW. En 2023, Pékin a raccordé à son réseau autant de panneaux solaires que l’ensemble de la planète l’année précédente. L’éolien connaît une croissance similaire, avec une augmentation de 66 % en un an. L’empire du Milieu est ainsi devenu le premier fournisseur mondial de panneaux photovoltaïques, de batteries et d’équipements éoliens, façonnant les conditions économiques de la transition énergétique à l’échelle globale.
Cette avance industrielle, indéniable, nourrit un paradoxe : comment un pays capable de déployer à cette vitesse les énergies propres peut-il rester prisonnier d’un modèle charbonnier du XXᵉ siècle ?
La réponse tient dans la sécurité énergétique. En juin 2025, le charbon représentait encore plus de la moitié de la production électrique chinoise, soit environ 51 %. Les centrales thermiques assurent la stabilité du réseau et accompagnent une demande électrique en pleine explosion — alimentée par l’urbanisation, la croissance industrielle et désormais les immenses data centers qui soutiennent l’essor de l’intelligence artificielle. Résultat : malgré la construction de gigaprojets solaires dans le désert de Gobi et d’éoliennes offshore géantes, Pékin continue d’approuver de nouvelles centrales au charbon, provoquant l’alarme d’ONG comme Global Energy Monitor et CREA.
Tant que ces infrastructures perdurent, les gains climatiques des renouvelables sont en grande partie annulés. ONG et analystes dénoncent une stratégie schizophrène : chaque gigawatt de solaire supplémentaire est annulé par des tonnes de CO₂ issues des centrales thermiques.
Les experts du Climate Action Tracker rappellent que les promesses chinoises, déjà jugées « hautement insuffisantes », laissent la planète sur une trajectoire bien au-dessus des 2 °C.
Ce qui manque n’est donc pas un miracle technologique, mais une réallocation des priorités politiques. Le Parti communiste chinois a montré qu’il pouvait transformer un secteur entier en une décennie, qu’il s’agisse des trains à grande vitesse, de la 5G ou des batteries électriques. Rien n’empêcherait d’appliquer la même logique au charbon. Là se joue la crédibilité de Pékin : tant qu’elle se contentera de demi-mesures et d’objectifs trop lointains, elle se présentera comme une « puissance verte » en façade, mais restera une « puissance noire » dans les faits. Or elle a aujourd’hui la capacité de renverser cette équation et d’assumer le rôle de leader climatique mondial qu’elle revendique. Faute de le faire, ses annonces ne seront perçues que comme des compromis timides, incapables de modifier la trajectoire planétaire.
Trump à l’ONU : la négation comme arme politique
Le discours de Donald Trump à l’ONU marque un retour tonitruant au climatoscepticisme frontal. En qualifiant le dérèglement climatique de « con job », il rejette d’un bloc la science, l’économie et la diplomatie qui sous-tendent l’Accord de Paris. Sa diatribe contre les renouvelables — jugées « pathétiques », trop coûteuses et fragiles — a rappelé les accents de sa présidence passée, lorsqu’il avait notifié en 2019 le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, effectif en novembre 2020.
Ce rejet brutal survient alors même que des États insulaires, menacés de disparition, appelaient à l’ONU à considérer le climat comme une « question de survie ». L’effet diplomatique est dévastateur : si la première économie mondiale tourne le dos au multilatéralisme climatique, pourquoi les autres accepteraient-ils de consentir des efforts coûteux ?
Xi face à Trump : deux récits contradictoires, un même blocage
À première vue, la mise en scène est claire : Trump incarne le déni, Xi la responsabilité. Pékin se présente comme garant de l’Accord de Paris, répétant sa volonté de « construire une civilisation écologique », et profite des dérapages américains pour se poser en alternative crédible. Mais cette image se fissure dès que l’on gratte la surface.
Car si Trump nie la science et glorifie les fossiles, Xi ne ferme pas non plus la porte au charbon. Il mise sur une montée en puissance massive des renouvelables, mais sans calendrier crédible de sortie des combustibles fossiles. L’un détruit la scène internationale par son discours, l’autre brouille son leadership par ses contradictions. Dans les deux cas, l’intégrité de l’Accord de Paris est fragilisée.
Le monde est désormais suspendu entre deux trajectoires bancales. Les États-Unis oscillent au gré des élections entre climatoscepticisme agressif et volontarisme fragile. La Chine, elle, avance à grande vitesse sur le plan industriel, mais reste figée dans une dépendance fossile qui réduit à néant l’impact de ses annonces.
Et pourtant, c’est peut-être là que réside la clé. Car la Chine dispose des moyens — financiers, techniques et humains — de sortir plus vite du charbon. Elle pourrait fermer ses centrales les plus polluantes, instaurer un moratoire sur les nouveaux projets, accélérer le déploiement des réseaux et du stockage. Elle pourrait surtout transformer son leadership industriel en leadership climatique.
Car la Chine dispose bel et bien des moyens techniques, financiers et humains pour sortir du charbon plus vite qu’elle ne le prétend. D’abord parce qu’elle a déjà prouvé sa capacité industrielle : en une seule année, elle a installé plus de capacités solaires que l’ensemble de l’Europe, et elle construit des parcs éoliens offshore de taille inédite. Ensuite parce que son système financier public lui en donne les moyens : les grandes banques d’État et la China Development Bank sont capables de réorienter des flux colossaux en quelques mois, comme elles l’ont démontré lors du plan de relance post-Covid. Pékin a su injecter des centaines de milliards de yuans dans des filières stratégiques lorsqu’il s’agissait de relancer la croissance ou de renforcer la souveraineté technologique.
La question n’est donc pas celle de la faisabilité, mais du choix politique. Il serait possible, par exemple, de fermer progressivement les centrales les plus polluantes et les plus anciennes, celles qui ont dépassé vingt ou vingt-cinq ans d’âge et dont l’efficacité énergétique est faible. Une telle décision, intégrée dans un calendrier clair, enverrait un signal décisif. Dans le même temps, Pékin pourrait cesser d’autoriser de nouvelles centrales thermiques. Ces projets sont encore justifiés par la crainte de coupures d’électricité, mais en réalité ils enferment le pays dans un cercle vicieux : plus on ajoute de charbon, plus on retarde l’intégration massive des renouvelables. Enfin, l’obstacle majeur n’est pas la production d’électricité verte mais sa gestion. Une partie du solaire et de l’éolien est encore gaspillée faute de réseaux suffisamment robustes et de capacités de stockage. Les solutions techniques existent déjà : batteries géantes, stations de pompage-turbinage, hydrogène vert. La Chine en possède l’appareil industriel et pourrait les déployer à grande échelle.
À l’heure où la COP 30 approche, le monde a besoin d’un signal fort : si les États-Unis se retirent du combat, Pékin doit démontrer que ses ambitions ne sont pas qu’une façade. Faute de quoi, l’horizon 1,5 °C ne sera plus un cap à défendre, mais un souvenir à méditer.







